Putsch du 26 juillet : Les raisons d’une crise au sommet

Cinq mois depuis le putsch du 26 juillet dernier, l’opinion scrute toujours l’horizon à la recherche des vraies raisons qui ont poussé l’armée à faire irruption sur la scène pour interrompre le régime de Bazoum Mohamed.

Les explications données par le général Abdourahamane Tiani, le 28 juillet dernier pour sa première sortie publique ne sont que la version officielle que l’on peut mettre sur la place publique. Elles sont loin d’être les véritables mobiles du putsch.

Du côté du Président renversé, les raisons avancées par son entourage ne tiennent aucunement pas la route, surtout celle qu’ils cherchent obstinément à mettre en avant, et selon laquelle, « Bazoum a été renversé par l’ancien Président de la République, Issoufou Mahamadou ». Cette version des faits procède plus d’une réaction de dépit et d’irritation d’un régime qui vient d’être renversé et qui ne peut que se retourner sur sa famille politique, l’accusant de ne l’avoir pas soutenu.

D’ailleurs, aucun argument de taille n’est venu corroborer cette idée de l’implication d’Issoufou Mahamadou dans le putsch. Une autre piste serait que le projet de création du parti Hamazari qui doit être érigé sur les cendres du PNDS pourrait avoir mis Bazoum en conflit avec l’establishment du parti Tarayya. Après avoir fait tous les recoupements, cet argument aussi ne pourrait être validé, puisque Hamazari n’est encore qu’une idée abstraite et n’a aucune existence réelle pour menacer le PNDS-Tarayya.

Une autre tentative d’explication a été donnée dans les milieux des experts et connaisseurs des pratiques africaines. Aussi, a-t-on entendu sur les ondes de Rfi notamment, d’un conflit sur la répartition de la manne pétrolière, que la restructuration opérée dans le secteur du pétrole donnait tous les avantages à l’ancien ministre du pétrole, par ailleurs fils de l’ancien Président Issoufou Mahamadou.

Cet argument va être balayé par l’ancien Premier ministre. Le démenti apporté à ce sujet est d’autant plus convaincant que Ouhoumoudou Mahamadou est un très proche du président Bazoum Mohamed.

L’implication de l’ancien Président Issoufou Mahamadou, la piste de Hamazari ou les antagonismes sur la manne pétrolière, sont toutes des pistes invalidées. Quelle serait alors la raison profonde de cette intervention militaire qui a renversé Bazoum, le mercredi du 26 juillet dernier ?

Des divergences sécuritaires

À l’évidence, les vraies raisons, il faut les chercher ailleurs, du côté de la gestion du dispositif sécuritaire et aussi dans les rapports de Bazoum avec la hiérarchie militaire. Les premiers échos qu’on a recueillis à ce sujet font que les déclarations à l’emporte-pièce du président Bazoum ne passent pas du côté de l’armée, notamment lorsqu’il dit de manière prémonitoire, que « les terroristes sont plus forts et plus aguerris que les éléments de l’armée nationale ». Que le Président de la République a reçu, au palais de la présidence, plusieurs chefs terroristes, et qu’il en a ordonné « la libération de 9 chefs terroristes ». Ces déclarations du chef suprême des armées n’ont pas manqué de choquer l milieu militaire.

Il y a aussi cette campagne d’acharnement contre les juntes militaires au pouvoir au Mali et au Burkina Faso. Une maladresse politique immense lorsque Bazoum et le général en charge de la haute autorité à la consolidation de la paix, Abou Tarka se sont lâchés sur les pouvoirs militaires des pays voisins. Cela ne saurait laissés indifférents la hiérarchie militaire des forces armées nationales.

Une situation doublée par des rapports qui n’ont rien d’harmonieux qu’entretient le Président Bazoum Mohamed avec sa garde présidentielle. Il n’a aucune considération ni pour le patron de sa garde, le général Abdourahamane Tiani, ni pour ses éléments. Les personnels de la présidence  indiquent qu’ils sont déjà habitués aux coups de gueule  très fréquents du président Bazoum sur la garde présidentielle qu’il n’hésite pas à traiter de voleurs et d’escrocs.

Et à certaines occasions, le cortège du Président Bazoum a l’habitude de sortir sans en informer le Général commandant de la garde présidentielle. Dans cette rupture de confiance et le climat de mépris pour les éléments de sa sécurité, le Président va jusqu’à nommer l’ancien chef rebelle Rhissa Ag Boulla, ministre d’État en charge de la sécurité à la présidence de la République. Du fait de cette position, il est ainsi le premier conseiller de Bazoum en matière de sécurité. Un véritable pied de nez au général Tiani. Pour les agents de la présidence, ce putsch était prévisible depuis fort longtemps.

L’autre pomme de discorde avec l’armée a été le redéploiement de la force Barkane, chassée du Mali. Cet épisode a sans doute pesé dans la dégradation des relations entre le Président Bazoum et les FDS. En effet, dans un contexte où la présence miliaire française est rejetée de partout, cela a été une très grande prise de risque pour Bazoum d’accepter le repli de Barkane sur le sol nigérien, et cela sans engager des consultations avec les institutions de l’État.

Il faut dire que Bazoum a accumulé énormément de maladresses, les unes plus dangereuses que les autres. Aucun Président au monde n’a trusté autant de foyers de tensions et rester au pouvoir.

Le projet de recrutement des éléments communautaires dans sa sécurité et ses liens présumés avec la rébellion soudanaise, notamment avec le général Hametti, tout cela a contribué à alourdir un climat relationnel déjà suffisamment porteur de germes de menaces. Et l’autre grosse erreur du Président Bazoum Mohamed est d’avoir compté sur les 1500 hommes du contingent français sur la base de l’escadrille pour le prémunir de tout projet de renversement de son gouvernement.

Visiblement, dans la situation où il se trouvait, le Président Bazoum ne pouvait que compter sur l’armée française pour déjouer toute tentative de putsch. Et c’est justement ce que la France a voulu faire le 26 juillet dernier dans l’opération intitulée « sauver le Président Bazoum Mohamed », mais sans aller jusqu’au bout, puisque la France n’a pas d’accord dans ce sens avec le Président Bazoum comme c’est le cas dans certains pays de l’Afrique centrale du giron français.

 Cette volonté de vouloir agir pour sauver un partenaire donne un éclairage tout particulier de l’activisme de la CEDEAO à intervenir, y compris par l’utilisation des frappes militaires pour rétablir Bazoum. Une position de la CEDEAO qui, en réalité, ne constitue qu’un canal pour permettre à la France d’intervenir mais sous bonne couverture.

Aujourd’hui, avec le temps, on s’aperçoit de plus en plus que toutes les raisons invoquées de part et d’autre par l’entourage de Bazoum comme par son tombeur, ne sont en réalité que de prétexte de façade. Mais les raisons profondes du coup d’État du 26 juillet 2023 sont à chercher dans les relations troubles que Bazoum entretenait avec son armée.

Ibrahim Elhadji dit Hima