Aucun pays au monde n’échappe aux crises dans son évolution socio-politique. Quand un pays est en crise, ses citoyens doivent faire preuve de beaucoup plus de circonspection et de sagesse pour éviter que la crise ne s’éternise. Qui plus est, quand le destin du pays est en jeu, les réflexions et les discussions productives deviennent un devoir citoyen. Aujourd’hui, la situation du Niger interpelle tous les Nigériens sans exclusive. En effet, depuis le 26 juillet, notre pays est en crise à cause d’une énième irruption de la grande muette sur la scène politique. Cette crise qui consacre un autre recul démocratique suscite différentes réactions. De surcroît, des antagonismes et des divisions apparaissent au grand jour, dans la population, au sein et entre des structures organisées.
D’ailleurs, cette situation de crise a conséquemment instauré un climat de méfiance, d’animosité et d’incertitude qui engendre différents comportements dans la population. Pendant que certains manifestent et s’exaltent parce qu’ils n’ont pas eu la liberté de manifester pendant des années, d’autres s’inquiètent sérieusement de l’issue de notre processus démocratique. Il y a aussi une autre frange dont la préoccupation n’est pas la démocratie, mais sa seule et unique préoccupation, c’est le pouvoir. Dans cette frange, il y a deux groupes qui se distinguent ; un groupe composé de gens qui tempêtent parce qu’ils sont dans le désarroi d’avoir perdu le pouvoir ainsi que ses privilèges indus, et un autre groupe composé de gens qui jubilent parce qu’ils sont dans l’illusion de le conquérir par le truchement de cette crise. Dans cette condition éprouvante pour notre pays, chacun de ces deux groupes cherche à s’attirer la sympathie du peuple nigérien sans se soucier de ses problèmes quotidiens. Comme quoi pouvoirisme et altruisme ne font pas bon ménage.
En outre, les décisions excessives de la CEDEAO comprenant une batterie de sanctions et les différentes menaces d’une intervention militaire sont venus exacerber les antagonismes et les divisions entre Nigériens. Il y a d’un côté, une majorité de citoyens qui réprouve ces décisions, et de l’autre côté une minorité qui se frotte les mains. Pour ce qui est des sanctions draconiennes et exécrables, elles affectent les citoyens à des degrés différents. Il est indéniable que la minorité ne les ressent pas et peut les supporter aussi longtemps qu’elles dureront, tandis que la majorité écrasante en souffre, elle subit et vivote. Cela va sans dire, car c’est la triste réalité de la dichotomie entre les nantis et les démunis au sein d’une même société.
Si dès les premières heures l’opinion a majoritairement condamné le putsch, l’attitude condescendante, belliqueuse et inhumaine du Président français et de certains dirigeants de la CEDEAO a contribué au fil du temps à faire inverser la tendance. C’est ainsi que pour faire face à l’asphyxie de notre pays et l’escalade guerrière, une vaste mobilisation s’est tout naturellement constituée. Nonobstant son caractère hétéroclite, elle est jusqu’à preuve du contraire, le reflet d’une prise de conscience pour un dévouement à la patrie et pour une véritable gouvernance démocratique. Cependant, face à la triste réalité des problèmes de tous jours auxquels sont confrontés les masses populaires, le triomphalisme doit céder la place au réalisme pour alléger leurs souffrances.
Certes, la situation est explosive à cause des enjeux ici au pays et ailleurs, mais n’oublions pas que notre pays a son histoire socio-politique. Même si elle évolue en dents de scie, elle doit nous servir de repère. Par le passé, le Niger a connu des interruptions de son processus démocratique, mais à chaque fois qu’il est interrompu, les Nigériens se sont entendus pour le remettre sur les rails. Cette fois ci, la situation s’est complexifiée à cause des immixtions et des injonctions flagrantes venant des puissances qui ont des intérêts majeurs dans notre pays. Elles font feu de tout bois pour protéger leurs intérêts, rien que leurs intérêts.
Quant à la classe politique nigérienne, elle brille par son manque d’inspiration et d’initiative pour sortir le pays de l’ornière. Même si les activités des partis politiques sont suspendues, dans la vie d’un pays, les réflexions et les discussions ne s’arrêtent pas. Malheureusement, au Niger, les politiciens sont déboussolés et tétanisés, ils attendent médusés que les solutions viennent d’ailleurs. Certains militants qui ne savent pas à quel saint se vouer sont pris en tenaille entre le subjectivisme et le fatalisme qui les empêchent d’approcher la crise sous tous ses aspects. En plus, ils baignent dans des fausses informations, des propos déplacés et des commentaires décousus parce qu’ils ne prennent pas la mesure réelle de la situation.
Dans tous les cas, nous devons tous nous ressaisir et faire des réflexions conséquentes pour une sortie de crise afin d’éviter des souffrances unitiles à notre peuple déjà meurtri par la pauvreté et l’insécurité. C’est en allant dans ce sens que nous pouvons contribuer à sauvegarder la quiétude, le vivre-ensemble, la fraternité et la paix dans notre chère patrie. Le dogmatisme et le jusqu’au-boutisme qui poussent certains dans l’obstination et confinent d’autre dans la déraison ne mènent nulle part. Ceux qui sont dans ces postures débordantes doivent s’assagir; ils ont l’obligation morale de tenir compte de la majorité écrasante de leurs compatriotes qui sont dans le dénuement et la détresse.
Au Niger, la mobilisation et ses résultats probants en si peu de temps sont un motif de satisfaction. Toutefois, la vigilance doit être de mise; les manœuvres de déstabilisation de notre pays pour faire main basse sur ses richesses ne cesseront pas. Tirons des enseignements de ce qui s’est passé ailleurs. Ne perdons pas de vue qu’il y a des gens à l’intérieur comme à l’extérieur qui caressent le rêve de voir le Niger déstabilisé, balkanisé et détruit. Il est du devoir de tous de veiller sur la patrie.
Le patriotisme n’est ni exclusif, ni parcellaire, ni circonstanciel. A l’étape actuelle de l’évolution socio-politique de notre pays, si tant est que nous voulons édifier un pays uni, stable, paisible et prospère, nous devons être capables de transcender les subjectivités, les divergences, les pesanteurs qui nous maintiennent dans les querelles de clocher et l’immobilisme. Dans cette optique, nous ne pouvons pas faire l’économie des réflexions, des discussions productives et des propositions pour relever les défis multiples et multiformes.
Le Niger est à un tournant décisif de son histoire. C’est pourquoi, il revient aux membres du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie de mettre en avant leur engagement patriotique pour créer les conditions d’une transition sereine ainsi que d’un retour raisonnable au contexte republicain et démocratique en accord avec les différents acteurs de la démocratie. En procédant ainsi, l’opinion nationale et internationale reconnaîtra qu’ils ont fait preuve d’un sens élevé de l’intérêt général, de sagesse et de vision dans l’intérêt supérieur de la nation.
Quoi qu’on dise, cette crise a eu le mérite de permettre aux Nigériens de bien comprendre la dialectique de la prise en compte de leurs aspirations par les dirigeants politiques et leur entêtement à vouloir défendre les intérêts des différentes puissances étrangères qui sont à la manœuvre dans notre pays. Incontestablement, cette situation a permis d’exposer les limites objectives de la conviction politico-idéologique et de la combativité de certains militants politiques, de tous bords, selon les circonstances et selon leurs intérêts qui sont souvent aux antipodes de ceux du plus grand nombre.
Somme toute, le Niger ne mérite pas l’instabilité politique récurrente qui le secoue et l’entrave dans sa marche vers son développement. La stabilité et le développement sont irréalisables en dehors d’une gestion véritablement démocratique de la cité. Les hauts et les bas qu’à connus notre processus démocratique doivent nous édifier, pour que plus jamais des gens ne viennent de l’extérieur, sous aucun prétexte, pour oser mettre de l’ordre dans notre pays. C’est d’ailleurs l’occasion de repenser la république, la démocratie et le développement dans notre pays en favorisant et privilégiant les débats contradictoires.
Je ne réfute pas l’apport de l’extérieur, mais j’ai la conviction que la solution à la crise se trouve au Niger, entre les mains des Nigériens.
Zakaria Abdourahaman