Adamou Louché Ibrahim © NigerInter.com

Adamou Louché Ibrahim, un jeune nigérien aux grandes idées

Diplômé en Economie Banque et Finance Internationales avec comme spécialité Mondialisation et Stratégies Internationales, ce jeune nigérien est attachant. Il abat sur son blog un véritable travail citoyen traitant avec expertise des questions économiques, la bonne gouvernance, l’éducation et bien d’autres sujets de société. Adamou Louché Ibrahim répond au critère d’un intellectuel tant il assume ce rôle de veille citoyenne et de prise de conscience de ses compatriotes sur les défis et enjeux du moment. Dans cet entretien, il analyse l’économie et la gouvernance de notre pays et se prononce sur certaines préoccupations majeures des nigériens. On découvrira également le profil intéressant de ce jeune qui s’inscrit résolument sur la perspective d’un leadership de qualité.

Niger Inter :             Présentez-vous à nos lecteurs et internautes.

Adamou Louché Ibrahim : Natif de Matamèye, j’ai fait mes études primaires et secondaires dans différentes villes du Niger : le collège à Zinder et le Lycée Technique Dan Kassawa de Maradi, car mon père faisait l’objet de plusieurs affectations étant fonctionnaire à l’époque. J’ai obtenu ma licence en Monnaie Finance Banque à Tizi Ouzou (Algérie) et intégré ensuite l’Université de Bordeaux (France) en 2011. Je réside actuellement à Gradignan (France) mais envisage à terme d’effectuer des navettes voire un retour au pays pour concrétiser mes projets et participer à son développement économique.

Niger Inter : Etudier l’économie est-ce votre choix personnel ?

Adamou Louché Ibrahim : Mon rêve de « gosse » était de devenir pilote d’avion. Et jusqu’au secondaire, je nourrissais ce rêve. Après l’obtention du BEPC, sous la suggestion de mon père, j’ai opté pour une filière sociale : la comptabilité au lycée et l’économie et la finance à l’université. Un choix moins évident, certes, mais que j’ai fini par assumer au vu des perspectives que ce domaine offrait. Surtout dans des pays comme le nôtre.

Niger Inter : Parlant de la bonne gouvernance sur votre blog, vous comparez le Niger au Burkina Faso et selon vous depuis 1985 l’écart entre les deux pays se penche en faveur du Burkina. Qu’est-ce qui explique la mauvaise performance de notre économie  et comment y remédier ?

Adamou Louché Ibrahim : L’année 1984 symbolise l’une des années sombres de l’histoire économique de notre pays : la famine « El Buhari », due essentiellement au déficit pluviométrique de l’année précédente, s’est abattue sur le Niger entraînant dans son sillage la chute brutale du PIB d’environ 20%.  Au-delà de cette famine, notre décrochage a été accéléré par de mauvais antécédents de politique économique et la non mise en œuvre de réformes structurelles contrairement au pays de Sankara. En d’autres termes, notre pays a été victime de la mauvaise gouvernance. Rappelons qu’à contrario, la bonne gouvernance renvoie à  » la transparence de l’action publique, le contrôle de la corruption, le libre fonctionnement des marchés, la démocratie et l’Etat de droit »(Agence Française de Développement).

Notre décrochage n’étant pas une fatalité, on peut donc y mettre fin. Le Rwanda, qui a connu un génocide, a su se relever et est le 7ème pays le mieux géré de la planète, selon le World Economic Forum(2015). Le Niger, qui a tout pour réussir, peut s’inspirer de leur schéma de développement. Maintenant à nous d’exploiter nos atouts pour rattraper notre retard par rapport à nos voisins. Pour cela, nous, Nigériens, devrons axer nos efforts sur les objectifs suivants :

  • Promouvoir la bonne gouvernance;
  • Dynamiser le secteur privé : Financer et accompagner les porteurs de projets! L’Etat doit inciter les opérateurs économiques à investir davantage dans le pays et les sensibiliser sur les inconvénients de la thésaurisation sur notre économie;
  • Accélérer la diversification de l’économie ;
  • Concevoir et mettre en place un système de collecte d’impôts efficace pour financer correctement les dépenses sociales, la dette ne pouvant assurer ce rôle indéfiniment!
  • Motiver les Nigériens à travailler avec rigueur et abnégation;
  • Etc.

Ainsi, nous ferons de notre pays le « Grand Niger » dont nous ne cessons de rêver et vanter dans notre Hymne National.

Niger Inter : Vous dites dans un commentaire que « Certes les 3N sont ambitieux. Néanmoins, les discriminations d’ordre « politiciennes » ou autres qui subsistent, les rendent inefficaces : plus de 4 ans après leur adoption, elles peinent à produire l’effet escompté. » Avez-vous fait une approche directe c’est-à-dire scientifique de ce projet selon votre expertise et quel est votre constat sur les 3N et comment rectifier le tir en cas de défaillance dans la mise en œuvre ?

Adamou Louché Ibrahim : Près de 30 ans après « El Buhari », nos autorités semblent avoir tiré « pleinement » les leçons de cette famine (et bien d’autres) à travers « l’initiative 3N », une des mesures phares du quinquennat de S.E Mahamadou Issoufou, et qui s’est assigné deux objectifs :

  • Objectif global est de « Contribuer à mettre les populations Nigériennes à l’abri de la faim et leur garantir les conditions d’une pleine participation à la production nationale et à l’amélioration de leurs revenus » ;
  • Objectif spécifique : « Renforcer les capacités nationales de productions alimentaires, d’approvisionnement et de résilience face aux crises alimentaires et aux catastrophes ».

Une initiative très louable mais dont les résultats restent mitigés plus de quatre (4) ans après son lancement et l’on peine encore à « maitriser » l’eau. Conséquence, notre agriculture (40% du PIB environ) reste encore vulnérable aux chocs climatiques et aux fluctuations des cours des matières premières. Puis, « une enquête menée dès décembre 2014 a indiqué que 15,7 % de la population, soit 2 588 128 personnes, sont dans une situation d’insécurité alimentaire, dont 410 297 en insécurité sévère », a déclaré le ministre de l’agriculture Maïdagi Allambeye. Enfin, selon le Fonds Alimentaire Mondial (FAO), le nombre de personnes sous-alimentées est estimé pour les périodes  2014-16 à 1,8 millions contre 1,7 millions pour les périodes de 2010-12. Ces quelques mauvais chiffres doivent susciter des interrogations sur l’efficacité de certaines mesures contenues dans ce programme ou du rythme d’exécution de ce dernier.

Comme nous l’avons mentionné ci-dessus, l’initiative 3N est ambitieuse dans la mesure où elle est conçue pour faire face à l’insécurité alimentaire chronique et de carences nutritionnelles qui affectent notre pays. Cet objectif est tout à fait réalisable compte tenu des atouts dont dispose notre pays : terres agricoles 35,4% % du territoire selon la Banque Mondiale (contre 34,1 pour le Mali et qui connait moins d’insécurité alimentaire), le fleuve Niger et ses affluents, les nappes phréatiques….

Malheureusement, sur le terrain la situation contraste avec la version papier de ce programme. Il n’est un mystère pour personne que certains responsables censés conduire ce projet noble opèrent des choix incohérents sous l’influence de certains hommes politiques. Il s’agit notamment de privilégier la circonscription de tel ou tel député, issu de la mouvance présidentielle, quoique sa localité ne soit pas une terre « potentiellement »  agricole. Des choix qui contrastent également très souvent avec les recommandations des experts de ce domaine. Je déplore, en outre, la mauvaise allocation des moyens qui en est faite aujourd’hui : Certains tracteurs et autres matériels agricoles finissent dans les mains de quelques hommes politiques au détriment des agriculteurs. On se trompe dès lors de cibles.  En d’autres termes, les cibles étant moins atteintes,  il serait difficile dans ces conditions d’obtenir de résultats probants. Rappelons que les vivres qui seront produites vont servir à nourrir tous les nigériens voire au-delà, sans distinction de coloration politique.

Compte tenu du caractère structurel de la crise alimentaire au Niger, il faudrait prendre des mesures structurelles. Cela suppose de réinventer le modèle agricole nigérien : passer d’une agriculture vivrière de subsistance à une agriculture industrielle et moderne, avec davantage de moyens et une formation pointue des agriculteurs… Je pense que les mesures contenues dans les initiatives 3N vont globalement dans le bon sens. Maintenant quitte aux différents responsables en charge de cette notable mission de les appliquer rigoureusement dans leur plénitude. Il faudrait également accompagner ces mesures des études d’impact pour  s’assurer de leur efficacité. Et d’apporter d’éventuels changements. Enfin, ces réponses devront intégrer l’évolution démographique du pays. Ainsi, on deviendra autosuffisant en denrées alimentaires et même exportateur de céréales comme dans les années soixante. En ce moment, on ne parlera plus de 3N mais plutôt de « 5N ». Puisque les non nigériens seront nourris et servis également [à travers nos exportations]. Et notre balance commerciale [de marchandises] retrouvera son équilibre voire devenir excédentaire.

Niger Inter : Le problème d’électricité est chronique  au Niger tant la Nigelec peine à satisfaire les nigériens dans ce domaine. Selon vous la Nigelec est-elle victime de la mal gouvernance puisque jusqu’ici les gouvernements successifs ont failli quant à trouver la solution durable à ce problème ?

Adamou Louché Ibrahim : Le problème d’électricité est induit de la mauvaise appréciation des besoins énergétiques du pays de la part des responsables en charge de cette question. La population du Niger augmente. Les besoins énergétiques, aussi. Si de nos jours, l’électricité reste un luxe malgré les sources d’énergie disponibles (uranium, soleil…) dans le pays, cela signifie qu’il y a une faille quelque part. Je déplore beaucoup la réaction souvent « timide » et un manque d’anticipation de nos autorités. Notre décollage économique pâtît malheureusement de cette inaction.

Il conviendrait de rappeler que l’accès à l’énergie, l’électricité en particulier, reste un droit universel au même titre que l’accès à l’eau. Puisque l’article 147 de la 7ème Constitution stipule déjà que « l’État s’attelle à développer son potentiel énergétique en vue d’atteindre la souveraineté énergétique, l’accès à l’énergie et à bâtir un secteur industriel, minier, pétrolier et gazier dynamique et compétitif, orienté vers la satisfaction des besoins nationaux et des exigences du développement ». Il suffit juste de regarder autour de vous pour vous s’apercevoir qu’on est loin du compte.

On martèle très souvent que « mieux vaut tard que jamais ». La construction des centrales thermiques en cours, le projet d’électrification avec de groupes électrogènes de 1000 villages annoncé récemment par le premier ministre vont dans le bon sens, malgré leurs couts environnementaux non négligeables. Cependant, ces projets permettront d’atténuer certes le problème de délestage. Mais il faudrait plus pour y mettre fin. Comme les autorités actuelles sont animées par une culture progressiste, je pense que c’est l’occasion de doter la Nigelec des moyens de ses ambitions pour électrifier tout le pays, contre 10% [environ] actuellement, en exploitant toutes les sources d’énergies disponibles et particulièrement les énergies renouvelables et produire le fameux « courant » pour tous.

Niger Inter : Vous avez sur votre blog proposez des astuces pour une consommation plus économique d’énergie. Pouvez-vous les partager avec nos lecteurs ? 

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Adamou Louché Ibrahim © NigerInter.com

Adamou Louché Ibrahim : Cela peut paraître paradoxal, mais nous sommes nombreux à gaspiller le « peu » d’électricité que nous fournit la Nigelec. Ce qui explique la « note salée » de la facture d’électricité dans certains foyers à la fin du mois.  Même si aucune donnée ne soit disponible sur la consommation moyenne annuelle des ménages nigériens, il est possible de réduire la facture d’électricité en adoptant des réflexes simples et en se procurant des équipements adaptés permettant de réduire la consommation d’électricité et de réaliser des économies. Je reprends ici quelques astuces simples et pratiques pour payer moins,  livrées par Elwina (2009) :

Astuce n°1- Choisissez des appareils à basse consommation. Les appareils de catégorie A sont plus chers, mais consomment jusqu’à 10 fois moins.

Astuce n°2- Remplacez vos ampoules traditionnelles par des ampoules à économie d’énergie (ampoules basse consommation, ampoules LED) qui durent trois fois plus et consomment trois fois moins. Pensez également à profiter au maximum de la lumière du jour…gratuite !

Astuce n°3- La consommation du congélateur dépend de l’écart de température avec l’extérieur, donc il vaut mieux le placer dans une cave, dans une dépendance non chauffée.

Astuce n°4- Dégivrez (déglacez) régulièrement votre réfrigérateur avant que la couche de givre n’atteigne 3 mm d’épaisseur, ce qui vous permettra d’économiser jusqu’à 30 % de sa consommation d’électricité.

Astuce n° 5- Lorsque vous préparez le repas, sortez du réfrigérateur tout ce qu’il vous faut avant de commencer, vous éviterez la déperdition d’air froid.

Astuce n°6- Ne laissez aucun appareil électrique en veille. Débranchez-les dès que vous ne les utilisez plus, si possible. Puisque certains appareils en veille consomment autant d’énergie que lorsqu’ils sont en marche.

Dans un pays où la précarité reste très ancrée, les économies induites de ces bons réflexes pourraient être allouées à d’autres fins : achats de vêtements, manger sainement….

Niger Inter : Vous parlez de croissance économique du Niger dans un article intitulé « Pour une croissance plus vigoureuse du Niger ». Comment définissez-vous techniquement la croissance économique d’un pays ?

Adamou Louché Ibrahim : La croissance est l’augmentation soutenue et durable du niveau d’activité. Pour une économie, cette augmentation concerne plus spécialement la production en volume et elle est mesurée en général par la progression du produit intérieur brut (PIB) à prix constant. Rappelons, au passage, que notre pays, le Niger, a enregistré une croissance de 7,1% en 2014, ce qui lui confère la place du vice-champion de l’UEMOA, juste derrière la Côte d’Ivoire avec 8,3%, selon les estimations de la Banque Africaine de Développement (2015).

Niger Inter : Ces dernières années en Afrique on parle de croissance économique même à deux chiffres pour certains pays mais pourquoi la croissance économique ne rime-t-elle pas forcément avec de changements qualitatifs du quotidien du peuple ?

Adamou Louché Ibrahim : A très court terme, la croissance économique s’accompagne de création d’emplois (qualifiés, moins qualifiés) et empêche ainsi le chômage de s’aggraver et éventuellement des baisses d’impôts pour les ménages. L’ampleur des recrutements dépend de la vigueur de cette croissance. Et pour les personnes ayant décroché un poste qualifié ou non qualifié, le  travail leur permettra de gagner leur vie,  subvenir à leurs besoins et sortir progressivement de la pauvreté. Ce qui devrait se traduire par une amélioration des conditions de vie de nos concitoyens. La situation de la Chine est très illustrative. L’empire du milieu a en effet enregistré une croissance à deux chiffres (10% en moyenne) pendant près d’un quart de siècle. Néanmoins, il n’a fallu que récemment pour que la classe moyenne chinoise découvre les joies de la villégiature. Je suis optimiste pour les années à venir pour qu’une pareille situation puisse se (re)produire au Niger, voire en Afrique.

Niger Inter : Comment inverser la tendance c’est-à-dire faire en sorte que quand on parle de croissance économique que le peuple soit le grand témoin des déclarations du politique ?

Adamou Louché Ibrahim : Dans un pays comme le nôtre où l’Etat est plus présent dans la sphère économique et les défis à relever restent très nombreux, les effets de la croissance sont certes moins perceptibles/observables à [très] court terme pour la majorité de la population. En revanche, dans le moyen et long terme, une meilleure redistribution des fruits de la croissance devra se traduire, au-delà des emplois, par un meilleur accès aux soins, à l’éducation, aux infrastructures… pour celle-ci. Ce qui aura pour effet d’améliorer leur bien-être et faciliter le changement de mentalité. Nos hommes politiques doivent donc œuvrer pour une meilleure répartition de la richesse et favoriser la justice sociale dans le pays.

Niger Inter : D’aucuns diront que ce vœu ne saurait être satisfait sous la gouverne de l’économie libérale et capitaliste actuelle qui a tendance à enrichir davantage les riches et appauvrir les pauvres…

Adamou Louché Ibrahim : Non. A mon avis loin de là ! En effet, au lendemain de la crise financière de 2008, plusieurs mesures ont été prises par les gouvernements de certains pays occidentaux (France, Etats-Unis) réputés pourtant libéraux pour stimuler leur activité économique, réduire le chômage et par ricochet baisser le nombre de pauvres.   Nonobstant, la tendance au creusement des inégalités est, selon plusieurs experts, une conséquence inéluctable du capitalisme financier qui est de plus en plus déconnecté de l’économie réelle.

Niger Inter : Vous dites dans une réflexion : « Œuvrons pour l’égalité des chances pour en finir avec la mendicité ». Quelle est votre analyse de ce phénomène social qu’est la mendicité et quelles sont vos propositions pour une solution alternative de la situation des personnes handicapés et en général des exclus de la société ?

 Adamou Louché Ibrahim : Les handicapés représentent une part non négligeable de la population nigérienne estimée à 20 millions d’habitants selon les Nations Unies en 2015.  Malheureusement, le phénomène de la mendicité reste bien ancré dans notre société et continue à se développer particulièrement chez les personnes à mobilité réduite : les handicapés. Je constate avec effarement qu’être handicapé rime avec toute la misère du monde au Niger et considéré comme une personne de second rang. Pourtant, l’article 22 de la Constitution stipule que « l’Etat veille à l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard de la femme, de la jeune fille et des personnes handicapées. Les politiques publiques dans tous les domaines assurent leur plein épanouissement et leur participation au développement national». On voit bien que sur le terrain, la majorité des handicapés sont victimes de l’exclusion sociale puisque livrés à eux-mêmes, et sont contraints d’exercer la mendicité, une activité peu glorieuse, pour subvenir à leurs besoins primaires.

Malgré leur handicap, cette catégorie de personnes a d’énormes potentiels : douée d’intelligence, apte à diriger, à créer…. Au Niger, malheureusement, ce potentiel est très mal exploité. En outre, très peu de structures (Citoyenneté Solidarité Niger, etc.) œuvrent à leurs côtés et disposent de moyens maigres pour les suivre correctement. Je lance ainsi un vibrant appel au gouvernement et autres bonnes volontés de créer les conditions favorables à leur insertion sociale. Et cela suppose de construire davantage d’infrastructures ou structures pouvant les accueillir, les former, les accompagner pour monter leurs propres entreprises ou chercher du travail. C’est de cette façon qu’on va atténuer voire éliminer ce fléau [de la mendicité] au Niger.

Il faut également déplorer le cas des jeunes valides exclus de la société. Les jeunes se « lançant » de plus en plus dans la délinquance faute d’une « meilleure » insertion sociale. Sécurité publique oblige, l’Etat mobilise des moyens conséquents pour juguler ce fléau. Si l’on peut se réjouir du taux de réussite quasi satisfaisant des traques, l’idéal serait pour nos dirigeants d’attaquer ce problème à la source en offrant une alternative à ces jeunes désœuvrés pour la plupart. Pour ce faire, nos autorités doivent prévenir la délinquance en utilisant une bonne partie de ces moyens dans le renforcement ou la création de nouveaux centres de formation où l’on peut apprendre des métiers « manuels » : agriculture, pâtisserie, boucherie, plomberie, Menuiserie, maçonnerie, etc. Et apporter un soutien financier à ceux qui désireront créer leurs entreprises une fois leur formation terminée. L’objectif étant de permettre à ces jeunes de prendre leur destin et d’en finir, à terme, avec la délinquance.

Enfin, les jeunes doivent savoir qu’il n’y a pas de sous-métiers. Tous les métiers peuvent nous servir dans la vie lorsqu’on est passionné.

Niger Inter : Un autre phénomène handicapant notre économie c’est bien la corruption. En tant qu’expert en stratégies internationales, comment selon-vous éradiquer efficacement la corruption au plan national et international ?

Adamou Louché Ibrahim : A l’instar des autres pays en développement, la corruption constitue l’un des freins à notre décollage économique. Mais, pas que ! Avant d’y remédier, je pense qu’il s’avère intéressant d’identifier les causes qui l’engendrent. Quoique nombreuses, la précarité des fonctionnaires, notamment ceux qui exercent le métier de « veille sur la conformité » tout domaine confondu, semble à mes yeux l’une des causes essentielles au développement de la corruption dans notre pays. Car, faute de salaires décents ou de meilleures conditions de travail, les agents de l’Etat sont facilement tentés par le « surplus » facile. Contre quelques billets, ils sont en effet nombreux à montrer du laxisme et de l’indifférence vis-à-vis du non-respect des normes en vigueur. Ce qui explique la mauvaise qualité de certains médicaments, infrastructures (routes….), pour ne citer que ceux-là, dans le pays. Infrastructures, pourtant vitales pour l’émergence d’un pays. L’idéal pour le gouvernement serait donc de créer les conditions quasi optimales de travail : salaires « justes », logement de fonction… ; pour ces agents de l’Etat pour limiter la tentation.

Un autre facteur non négligeable qui contribue à entretenir la corruption au Niger au sommet de l’Etat, c’est l’enrichissement illicite qui participe, par ailleurs, au financement des partis politiques au Niger. Il faudrait donc repenser, réformer la façon dont se financent ces partis pour espérer atténuer, voire endiguer ces fléaux.

En matière de lutte contre la corruption, je pense que notre pays a enregistré quelques progrès notables puisqu’il est passé de la 134ème place en 2011 à la 103ème en 2014 sur les 175 pays que retienne Transaparency International dans son classement annuel ; ce qui laisse penser que certains dispositifs créés en 2011 et entrés en vigueur depuis ont commencé à porter leurs fruits. On espère que le classement de 2015 confirmera cette tendance. Cependant, on ne doit pas lâcher du lest. Il faudrait renforcer notre arsenal juridique. La France et les Etats Unis étant une référence en la matière peuvent beaucoup nous inspirer. On doit mettre aussi l’accent sur la sensibilisation des parties potentiellement exposées à ce phénomène. Inciter les citoyens à collaborer en dénonçant toute tentative de corruption. Enfin, il faudrait restreindre la circulation des espèces (argents liquides), à terme,  car propices au développement de la corruption. La BCEAO et les autres banques commerciales devront être mises à contribution pour accélérer cette mutation. En clair, il faudrait accélérer la dématérialisation de la monnaie : plus de chèques et de cartes bancaires qui permettent de tracer les transactions et de déceler facilement toute opération suspecte et prévenir les enrichissements illicites et autres fraudes.

A l’échelle planétaire, une lutte efficace contre la corruption requerra forcément une mutualisation des forces, énergies. L’Organisation de la Coopération et du Développement Economique (OCDE) produit d’excellents travaux et formulent de brillantes recommandations pour aider les Etats à agir dans ce sens. Ce serait bien que nos Etats y jettent  un coup d’œil et surtout agissent en conséquence.

Niger Inter : Dans une autre pensée, vous parlez du travail et du bonheur. Selon vous avoir un bon boulot s’accommode-t-il forcément avec le bien être ?

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Adamou Louché Ibrahim © NigerInter.com

Adamou Louché Ibrahim : Chaque matin, ce sont effectivement des centaines de milliers de mes concitoyens : fonctionnaires de l’Etat, salariés du privé ou travailleur libéral, qui arpentent le chemin du travail. A pieds, à vélo voire en voiture, chacun – du moins une bonne partie – se précipite pour arriver à l’heure sur son lieu d’occupation. Comme la majorité d’entre nous cherche le bonheur au quotidien, et qu’elle passe une bonne partie de sa vie à travailler, il y a lieu de se poser alors la question suivante : qui peut se vanter d’être heureux sur son lieu de travail?  Selon Issac Getz (2015), il existe trois (3) catégories de travailleurs :

–  Travailleurs engagés : C’est à dire ceux qui se lèvent le matin avec un sourire pour aller travailler. En France et en Allemagne, leur pourcentage s’établit à 11%.

–  Travailleurs désengagés : C’est à dire des gens qui y vont globalement pour chercher leur salaire mais pas pour prendre des initiatives : 61% en France et 58% en Allemagne.

– Travailleurs activement désengagés : Ce sont des travailleurs tellement malheureux au travail qu’ils y viennent pour démonter leur malheur et donc globalement pour saboter ou détruire.

Quoiqu’il n’existe, à ce jour, au Niger aucune statistique sur ce sujet, et de l’absence d’une pression et d’un contrôle majeurs dans la fonction publique, je pense que chez nous, le fait d’occuper « un bon poste» et donc de salaires décents, rime avec bien-être. Il faudrait admettre par ailleurs que la notion du bonheur est très relative en ce sens que la réussite matérielle en elle-même ne suffit pas pour être heureux même si elle y contribue considérablement.

Niger Inter : Qu’est-ce qui vous a le plus motivé durant votre parcours à réussir dans les études ?

Adamou Louché Ibrahim : Tout étudiant a besoin de savoir dans quel but il travaille et surtout, pourquoi, vers quoi il se dirige. Je n’échappais guère à cette règle. Et cela m’avait beaucoup aidé à évoluer dans mon parcours. Voici très humblement quelques méthodes qui pourraient aider à mieux réussir ses études :

–           Bâtir un projet qui donne sens aux études

–           Etre à l’aise dans son école, se faire des amis

–           Se fixer des objectifs intermédiaires

–           Persévérer pour vaincre les premiers obstacles

–           Découpez vos efforts, ne travaillez pas au dernier moment

–           Bien interpréter ses résultats : ne pas se décourager

–         avoir de la passion pour son domaine d’étude

Un accompagnement financier (bourse ou aide décente) sera également nécessaire pour l’étudiant afin de lui permettre de se consacrer exclusivement aux études.

Niger Inter : Citez trois livres qui ont impacté votre vision du monde.

Adamou Louché Ibrahim :    1) Devenir soi de Jacques Attali (2014),

2) Pourquoi il faut partager les revenus de Patrick Artus et Marie-Paule Virard (2010) et 3) L’horreur économique de Viviane Forrester (1996)

Niger Inter : Quels sont vos deux leaders modèles au plan politique et scientifique (dans votre domaine s’entend) ?

Adamou Louché Ibrahim : Politiquement parlant, j’ai un faible pour Mao Zedong pour ses fortes valeurs : le travail notamment. Et économiquement, Thomas Piketty, auteur d’un bestseller [mondial] intitulé Le capital au XXIe siècle.

Niger Inter : Quelle votre meilleure passion dans la vie ?

Adamou Louché Ibrahim : J’ai plusieurs passions dans la vie. Néanmoins, le fait de voyager pour découvrir la nature et  admirer ses merveilles et méditer souvent m’arrive en tête. J’aime bien lire, débattre sur les questions contemporaines. En tant que citoyen, je suis également très sensible aux grandes causes et valeurs qui touchent la vie de mes concitoyens et du genre humain en général. En un mot, je me définis comme un serviteur de Dieu en ce sens que je m’investis pour la défense de l’intérêt général, la sensibilisation de nos concitoyens , Nigériens en particulier, sur leurs droits et devoirs vis-à-vis de la Nation et pour mieux faire face à certains de nos dirigeants parfois peu scrupuleux; d’inciter les Jeunes à prendre leurs destins en main – soit par le travail ou l’entrepreneuriat. Je désire également partager mes connaissances notamment en Economie et Finance.

Niger Inter : Qu’est-ce qui vous a motivé a créé votre cyber carnet ?

Adamou Louché Ibrahim : C’est justement l’une de mes passions. Je suis parti d’un simple constat. Très peu de médias nigériens axent leur ligne éditoriale dans le décryptage de l’information. En outre, la politique a pris le dessus au détriment des autres sujets majeurs et constituant la principale préoccupation de notre société : santé, économie, pauvreté…. Ce modèle semble révolu et compte tenu des mutations que subit notre monde, l’information doit être décryptée pour être mieux comprise. Ma démarche a été motivée par le souci de décrypter l’information économique. D’autres objectifs, de nature citoyenne, s’y sont greffés par la suite. On y retrouve ainsi des conseils pratiques sur la vie quotidienne, de la sensibilisation …., et tout ce qui peut concourir à améliorer le bien-être de nos concitoyens dans un pays aussi merveilleux qu’est le Niger.

Réalisée par Elh. Mahamadou Souleymane