Hier, mercredi 19 janvier 2022, l’Association Alternative Espaces Citoyens (AEC) a organisé une conférence publique à son siège sur le thème : « L’actualité de Frantz Fanon ». Cette conférence-débat a été animée par Pr Salim Mokaddem, philosophe, conseiller en éducation du président de la République, Père Mauro Armanino, anthropologue et Moussa Tchangari avec comme modérateur Albert Chaibou, journaliste. L’on retient de ce débat de haut niveau que F. Fanon est plus que jamais d’actualité.
En introduction, Moussa Tchangari, Secrétaire Général d’Alternative E. C a bien voulu rappelé comment l’idée d’organiser ce débat avait germée. En effet, selon lui, c’était le Père Mauro Armanino qui a suggéré l’initiative de partager avec les jeunes la vie et l’œuvre de Frantz Fanon. Et à l’occasion d’une autre conférence sur ‘’violence et politique’’, Tchangari a annoncé le projet de célébrer l’auteur de ‘’ Les damnés de la terre’’. C’est ainsi que Pr Salim Mokaddem a proposé ce thème ‘’Actualité de Frantz Fanon’’.
Une fois ce décor planté, le modérateur Albert Chaibou a rappelé la très riche et courte vie de Frantz Fanon avant de passer la parole au Pr Salim Mokaddem. Ce dernier a renseigné l’assistance sur le cheminement intellectuel de Frantz Fanon. Il a expliqué comment Frantz Fanon a procédé à la déconstruction en passant du psychiatre au combattant contre l’impérialisme et la colonisation. En effet, selon Pr Salim Mokaddem, Frantz Fanon à travers ses études cliniques des patients aussi bien ceux du camp des colonisés que les colonisateurs, s’est rendu compte qu’ils sont tous affectés par le même mal à savoir l’aliénation, la déshumanisation voire la chosification de l’homme. « Frantz Fanon a renoncé à la psychiatrie lorsqu’il s’est rendu compte que ce qui rend les gens fous c’est autre chose que le trouble psychique d’ordre biologique ou anatomo-physiologique », dira Pr Mokaddem. Et comme il fallait attaquer le mal à racine, F. Fanon a décidé de s’opposer, de dire non à la violence quelle que soit sa forme. « Fanon a découvert les effets de la colonisation et de l’exploitation déshumanisante à partir de deux événements tragiques : la deuxième guerre mondiale et l’usage abusif de la taxinomie psychiatrique pour pathologiser les effets de l’infériorisation corrélative au racisme et à l’exploitation coloniale », a dit en substance Pr Salim Mokaddem.
Pour le père Mauro Armanino, Frantz Fanon a trois dimensions : le prophète, le révolutionnaire et le martyr. L’anthropologue a préféré plutôt parler de la nécessité de Frantz Fanon. « Frantz Fanon c’est d’abord un cri, le cri d’une blessure ». Fanon est un prophète en ce sens que ‘’le prophète est celui qui sait dire dans l’histoire où passe le futur’’, selon le père Mauro A. Et comme révolutionnaire, Fanon fut celui qui a l’urgence que quelque chose arrive mais ne peut pas attendre, celui qui voit et ne peut pas accepter ce qui est établi comme ordre qui est en réalité un désordre. Il démasque, il a le courage de démasquer. Selon cet anthropologue, pour Fanon, ‘’c’est à partir des opprimés que viendra la transformation du monde’’ en rappelant la vie d’autres modèles comme Lumumba et Sankara. « Frantz Fanon n’a pas vécu de manière superficielle et éphémère », a martelé le Père Mauro A. qui a appelé l’assistance de tous ses vœux de prendre au sérieux notre histoire et notre vie. Frantz Fanon est ‘’d’une actualité importante en ce sens qu’il existe toujours des opprimés et des exclus dans le monde’’, a dit le Père Mauro A. qui rappelle ‘’les théologiens de la libération’’.
Moussa Tchangari, en altermondialiste motivé par les propos très engagés des deux premiers panélistes, a commencé par rappeler dans le sillage du père Mauro que plus d’un milliard de personnes sont victimes d’insécurité alimentaire dans le monde. « Pourtant le monde a les moyens de mettre fin à cette situation dramatique », a déclaré le Secrétaire général d’Alternative Espaces Citoyens.
Dans son témoignage très poignant, Tchangari a mis en exergue comment l’assassinat de Lumumba a marqué Frantz Fanon. A travers ce témoignage nourri de ses recherches sur la vie de Fanon, Moussa Tchangari a dit que l’écriture de ‘’Les damnés de la terre’’ était une véritable course contre la montre’’ tant il avait envie de dégager les enjeux du moment et de partager ses préoccupations et ses peurs pour l’Afrique et le monde.
Une autre leçon tirée par Tchangari de sa lecture de Frantz Fanon c’est l’annonce avant la lettre de la ‘’bourgeoisie prédatrice de l’Afrique’’. Ce qui est d’une criarde actualité, dira l’altermondialiste.
Les interventions très pertinentes des panélistes ont donné l’occasion à un fructueux débat où les étudiants, venus nombreux, ont été ressourcés sur la nécessité d’assumer leur mission ou la trahir. En réponse à une question sur la colonisation, Pr Salim Mokaddem a renseigné sur la violence inouïe et la déshumanisation de la colonisation en Algérie.
Selon Pr S. Mokaddem : « L’oppression coloniale est transgénérationnelle, insidieuse et porte à la fois négativement sur la culture de l’autre racisé, son langage, ses mœurs, sa subjectivité, son être au monde, et détruit le peuple opprimé jusque dans son monde intime. Frantz Fanon a rappelé comment cette violence destructrice est à l’origine de l’état émotionnel du colonisé et il a aussi analysé comment les femmes et les jeunes se sont découverts dans l’acte de résistance au racisme colonial libres d’inventer leur existence et leur liberté dans et par l’émancipation de l’oppression coloniale extérieure et intérieure. »
Elh. M. Souleymane