Au Niger, les poursuites se multiplient contre l’épouse de Hama Amadou, le numéro un de l’opposition. Depuis six mois, Hadiza Hama Amadou est inculpée pour participation à un présumé trafic de bébés entre le Nigeria et le Niger. Et depuis hier, lundi 5 janvier, elle est également poursuivie pour rébellion. En effet, elle est accusée de s’être opposée samedi dernier, le 3 janvier, aux forces de l’ordre qui voulaient l’empêcher de se rendre de Niamey à Tahoua, à l’intérieur du pays. De son côté, Hama Amadou, son mari, est poursuivi pour complicité dans ce présumé trafic de bébés. Depuis le mois d’août dernier, il vit en France. L’ancien président de l’Assemblée nationale du Niger répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
Après cinq mois de prison, votre épouse Hadiza Hama Amadou a de nouveau été interpellée ce week-end alors qu’elle voulait quitter la capitale par la route pour se rendre en province. Quelle est votre réaction ?
Hama Amadou : Je ne suis pas du tout surpris parce que c’est la manifestation évidente de l’acharnement dont je suis l’objet. Comme je suis absent, on fait peser sur mon épouse les tourments qu’on aurait pu me faire subir si j’étais moi-même au Niger, le ministre de l’Intérieur caressant l’idée d’avoir un jour la possibilité de me menotter, de me mettre dans un véhicule 4×4 ouvert et de me promener dans toute la ville de Niamey. Donc pour le moment, ne pouvant pas me traiter de cette manière, ils s’acharnent sur mon épouse.
Elle a été relâchée. Mais votre épouse est accusée de supposition d’enfant, c’est-à-dire de s’être attribué la maternité de deux enfants qu’elle n’aurait pas mis au monde. Cette accusation est-elle fondée ou non ?
En ce qui me concerne, elle n’est pas du tout fondée. Je l’ai dit et répété à maintes reprises. Et l’instruction judiciaire qui en a été faite n’a apporté aucune preuve sur cette accusation fantaisiste. Mais je l’ai dit, le dossier est purement politique. Il faut une condamnation qui va me disqualifier en tant que candidat aux élections.
Vous dites qu’il n’y a pas de preuves, mais il y a tout de même un procès qui s’est ouvert vendredi dernier avec une ordonnance de renvoi, à la fois contre votre épouse, contre vous et contre une vingtaine d’autres personnes ?
Tout à fait. Mais par exemple, quand on accuse ma femme d’avoir été au Nigeria acheter des bébés, ce qui serait bon en l’affirmant c’est de dire : « Tel jour à telle heure, vous avez été dans cette prétendue usine à bébés, et qu’il y a telle femme qui vous a accueillie, voilà les documents qui l’attestent ». Est-ce que ces pièces existent ? Nulle part on a établi de lien entre ma femme et cette prétendue usine à bébés.
Votre épouse n’est pas la seule femme accusée. D’autres femmes sont accusées d’être allées dans cette usine ?
Je ne connais que le cas de ma femme. C’est des cas différents.
Vous reconnaissez qu’il y a bien d’autres femmes qui ont fréquenté ces usines à bébés ?
Je ne peux dire que je reconnais parce que je ne sais pas. Je dirais simplement parce que je sais qu’on m’accuse à tort, je considère qu’on les accuse également à tort.
Il y a une vingtaine de personnes au total qui sont accusées. Vous parlez de complot. Est-ce que vous pensez que la justice de Niamey a mis en accusation un ministre de l’Agriculture et son épouse, un officier supérieur et son épouse, dans le seul but de vous atteindre vous et votre épouse ?
Je dirais que ce n’est pas la justice qui est en train de me poursuivre, c’est le gouvernement.Mais pour donner une apparence de neutralité à la chose, on a pris à droite, à gauche, mais le fait est là. La preuve, c’est que, avec l’arrêt de mise en liberté provisoire, tous les gens concernés vont et viennent, ils vont dans leur village. Le ministre d’Etat, Abdou Labo, a été à Maradi sans aucun problème.
Le ministre de l’Agriculture qui est actuellement poursuivi comme votre épouse et vous-même ?
Voilà, mais dès que ma femme s’est présentée pour dire qu’elle va rendre visite à son père à Tahoua, automatiquement on a déclenché toute une procédure contre elle. Et on l’accuse de rébellion par voie de fait, une infraction qui pour le moment n’existe pas dans le Code pénal nigérien.
Du côté du pouvoir, le ministre des Affaires étrangères, Mohamed Bazoum, dit que si votre femme veut mettre fin à toute cette procédure, c’est très simple : il suffit qu’elle se soumette à un test ADN. Et si ce test est positif, elle sera immédiatement disculpée ?
Monsieur Mohamed Bazoum devrait savoir que le principe de présomption d’innocence est la règle. Celui qui accuse doit apporter forcément la preuve des accusations portées. Aucune obligation ne pèse sur aucun citoyen nigérien de faire un test ADN. Et la preuve, c’est que le juge d’instruction dans son instruction, lui-même n’a jamais demandé à personne de faire un test ADN
Mais si demain votre épouse et vous-même, vous voulez éviter toute condamnation, est-ce que vous n’auriez pas intérêt au-delà des questions de droit, à vous soumettre à ce test pour éteindre toute polémique ?
C’est vrai. C’est la voie la plus facile. Mais j’ai des avocats qui m’ont conseillé de ne proposer cette solution que le jour où on aura apporté devant le tribunal les preuves des accusations portées. A ce moment, en contre-proposition, on peut demander le test ADN, mais pas avant.
C’est une arme que vous gardez pour plus tard ?
Pour plus tard. Nous sommes dans un procès politique. Donc puisqu’ils disent qu’ils ont des preuves, nous attendons qu’au procès, ils exhibent les preuves et qu’à ce moment, nous proposions des contre preuves. A ce moment, on peut dire, puisque vous avez cette preuve, nous proposons le test ADN.
Le ministre de l’Intérieur, Hassoumi Massaoudou, affirme que si, à l’issue du procès, vous êtes condamné, vous devrez vous livrer à la justice de votre pays sans quoi le Niger lancera contre vous une procédure d’extradition ?
Je vous dis que ce sont des analphabètes en droit. Dès le début, j’ai dit, lancer contre moi un mandat d’arrêt international, demandez l’extradition afin que le dossier soit envoyé en France et que des juges dont la compétence et la neutralité ne peuvent pas être mis en doute, examinent si oui ou non il y a des charges qui pèsent contre moi. Donc ils seront obligés d’envoyer le dossier ici et ça m’arrangerait d’ailleurs parce qu’à ce moment, on verra si les juges nigériens ont rendu un jugement objectif ou s’ils ont répondu aux instructions du gouvernement. Il faut prouver que le procès n’est pas politique.
Par Christophe Boisbouvier (RFI).