La représentation nationale tchadienne a conféré au président Idriss Déby Itno « la dignité de maréchal », ultime grade de la hiérarchie militaire. Tollé, dans l’opposition du pays et d’ailleurs, qui rappelle, à loisir, les sinistres antécédents des défunts dirigeants centrafricain et zaïrois : Jean-Bedel Bokassa et Mobutu Sese Seko. « Du folklore ! », clament-ils, à tout vent. Du moment que l’armée tchadienne intervient hors de son territoire, les autres Sahéliens peuvent s’inviter au débat.
Le fait de reconnaitre à un dirigeant une qualité donnée équivaut-il à accorder un blanc-seing à l’ensemble de sa gouvernance ? Telle est la question qu’on pourrait poser aux adversaires du maréchalat du président Idriss Déby Itno. La réponse est non car, dans toute critique d’une action, un tableau à double entrée s’impose : les forces et les faiblesses. Sans cette condition, un déséquilibre subsistera, qui rendra le lecteur ou l’auditeur sceptique. Le président tchadien est, avant tout, un militaire, un chef de guerre. L’essentiel de ce qu’il a obtenu, dans sa vie, lui vient de l’armée : son éducation, son arrivée et sa pérennisation au pouvoir, ainsi que sa survie, au plan physique. Faut-il rappeler qu’en 989, alors conseiller militaire à la présidence, il a dû fuir N’Djaména, avec deux cousins, sous l’accusation de complot ? Dans leur fuite, l’un d’eux sera rapidement tué ; l’autre, blessé et capturé, sera achevé à coups de marteau, en présence de leur accusateur : un certain Hissène Habré, autre chef de guerre, alors au pouvoir. C’est à partir du Soudan que le futur chef d’État créera le Mouvement patriotique de salut (MPS), un mouvement politico-militaire, pour revenir, en 1990, victorieux, chasser du pouvoir Hissène Habré, qui se réfugia au Sénégal, où il croupit en prison.
Que de coups d’État déjoués !
Il serait fastidieux d’égrener tous les hauts-faits d’armes du nouveau maréchal. Citons-en quelques-uns, pour mémoire. Son étoile a commencé à briller lors des batailles contre les Libyens, qui avaient envahi puis occupé la Bande d’Aouzou, au Tchad. Une aura qui avait commencé à inquiéter son chef, toujours un certain Hissène Habré, qui l’avait renvoyé « sur les bancs » d’une école de guerre en France. Déjà installé au sommet de l’État, et élu président, en 1996, lors du premier scrutin pluraliste au suffrage universel du pays, Idriss Déby Itno va déjouer au moins huit coups d’État, de 2001 à nos jours ! La dernière tentative a eu lieu en février 2019. Le régime tchadien avait été sauvé par la France. Ce sont les avions la Force Barkhane qui ont opéré une série de frappes contre les rebelles de l’Union des forces de la résistance (UFR), une coalition militaire basée en Libye, alors en position avancée dans le Nord-Est du Tchad, en direction de N’Djaména. La France a agi sur demande du président Idriss Déby Itno, qui fait face à d’autres défis. En effet, que de désertions dans son armée et de déchirements politiques dans la famille même du chef de l’État : les tentatives de renversement du régime les plus menaçantes émanent de deux neveux du président, les frères jumeaux, Timan Erdimi, chef de l’UFR, et son frère Tom Erdimi, en exil. Les deux, anciens collaborateurs directs du président, se seraient brouillés avec leur oncle, entre autres, à cause de sa longévité au pouvoir, d’où leur détermination à le faire partir, par les armes.
La majorité MPS, au pouvoir, a, ainsi, justifié sa décision d’élever le président Idriss Déby Itno au rang de maréchal : « Les députés, élus du peuple, jettent un regard rétrospectif sur ce qui a été accompli en 60 ans et ils ont identifié un des enfants du pays qui a consacré le plus clair de son temps à défendre l’intégrité du Tchad, la sécurité de nos concitoyens, donc ils ont décidé de l’élever à la dignité de maréchal le jour des 60 ans de notre pays. C’est symbolique, pour lui dire : « nous sommes fiers de votre engagement pour assurer l’intégrité de notre territoire et la défense de nos concitoyens ». »[i] L’Assemblée nationale tchadienne semble avoir été particulièrement impressionnée par le dernier exploit militaire du général président. Lundi 23 mars 2020, au moins 92 soldats tchadiens sont tués dans des affrontements avec Boko Haram à Boma, dans la province du Lac. Idriss Déby Itno « refuse » cette défaite cuisante de son armée, et déclenche l’opération de représailles baptisée « Colère de Boma ». Le président en prend lui-même la tête. En dépit d’un certain scepticisme du côté français, l’armée tchadienne semble avoir causé de lourdes pertes à Boko Haram, sur son propre territoire, à l’intérieur du Niger puis du Nigeria. Les députés ont voulu mettre en valeur cet acte de courage physique personnel du président, qui a forcé l’admiration, non seulement, de Tchadiens, mais encore, d’autres Sahéliens. Une façon aussi de magnifier une tactique militaire : venger toute attaque de son territoire. En prenant des risques personnels, le président tchadien a voulu aussi donner un avertissement aux insurgés : son armée n’a pas peur d’eux. Idriss Déby Itno ne cache pas la fierté qu’il savoure de son armée. Après les premiers exploits de celle-ci au Mali, contre les groupes armés, il s’était écrié : « Il y a soldat dans soldat ! »
Un bâton mérité
Maintenant, en dépit de l’apparat de son costume de maréchal et du luxe de détails ayant entouré sa confection, faut-il comparer le maréchal Déby à ses « prédécesseurs », Bokassa et Mobutu ? Non ! Juste quelques faits. Le premier « exploit » du premier, lors de sa prise du pouvoir, la nuit de la Saint-Sylvestre 1965 à son neveu, David Dacko, fut d’aller étrangler, de ses propres mains, l’un des plus brillants officiers de gendarmerie de la République Centrafricaine, le commandant Jean-Henri Izamo[ii], alors en prison au Camp De Rouch, qui jouxte le Palais de la Renaissance[iii], à Bangui. Sa faute ? Être mieux formé et plus respecté que lui ! Pour Bokassa, ce titre, auto décerné, correspondait plutôt à une forme de bouffonnerie et de soif de prestige, puisque, à son reversement en septembre 1979, il était empereur… Quant au second, lui-même avait, en son temps, rabaissé sa propre dignité de maréchalat qu’il décrivait comme « une mesure technique destinée à permettre l’avancement de généraux zaïrois ». Mobutu s’est acharné à détruire son armée, pour des raisons politiques, plus précisément pour protéger son pouvoir contre les coups d’État. Dans les années 80, quand il se proposa d’envoyer son armée au Tchad, afin de sécuriser le président Goukouni Weddeye, contre le renvoi éventuel des soldats libyens qui protégeaient son pouvoir, le commandant Wadal Abdelkader Kamougué, alors vice-président du Gouvernement d’union nationale de transition (GUNT), avait glosé sur les capacités combattantes des troupes zaïroises, par cette énonciation : « Avec ces soldats pleins de bière… ». Pire, le 17 mai 1997, quand les troupes du rebelle Laurent-Désiré Kabila, avec leurs puissants tuteurs angolais, ougandais et rwandais, étaient aux portes de Kinshasa, ce sont des officiers zaïrois qui leur ont communiqué les informations les plus stratégiques pour s’emparer de leur propre pays, sans coup férir : effectifs, positions et armements !
À l’observation empirique, un pays ne peut gagner une guerre, sans l’émergence d’un chef militaire charismatique, reconnu et admiré par la troupe, pour l’exemple de bravoure donné sur le champ de bataille. Le président tchadien a gagné des guerres, même si l’on peut dire, sans conteste, que l’appui de la France ne lui a, jamais, fait défaut. Mais on ne soutient que ceux qui sont combattifs et motivés. La preuve, les déboires du maréchal libyen, autoproclamé comme ses pairs Bokassa et Mobutu, Khalifa Belqasim Haftar …
André Marie POUYA
Journaliste & Consultant
[i] https://www.msn.com/fr-xl/afrique-centre-et-est/actualite/tchad-le-titre-de-maréchal-décerné-à-idriss-déby-le-jour-des-60-ans-de-lindépendance/ar-BB17Oa1y?ocid=spartan-dhp-feeds
[ii] Interrogés, par nos soins, dans les années 2009 – 2010 et 2013 – 2014, les jeunes Centrafricains se sont montrés incapables de dire qui il est, faute de l’avoir appris à l’école. Pourtant, un camp de gendarmerie porte son nom, à Bangui. Comme à d’autres Africains, « on » leur vole leur histoire…
[iii] Il s’agit du palais présidentiel de la République Centrafricaine.