Pour faire face à la pandémie du coronavirus au Niger, le Gouvernement a édicté quelques mesures préventives parmi lesquelles le couvre-feu à Niamey. Une décision qui comme une pilule amère, se trouve aujourd’hui être difficile à avaler par une bonne partie de la population. Dr Didier J-P Allagbada, psychologue clinicien et consultant indépendant chez Interface Yeleen Cabinet Conseil à Niamey, explique comment les familles peuvent tirer profit de cette période inhabituelle.
Le Républicain : le monde est depuis quelques mois soumis à la menace de la pandémie du Covid-19. L’une des mesures prises par le gouvernement nigérien en rapport avec cette situation, est le couvre-feu décrété le 27 Mars dernier de 19 heures à 6 heures du matin. Quelle attitude doit-on adopter face à cette nouvelle donne ?
Dr Didier Allagbada : l’attitude du gouvernement est tout à fait correcte et pratique, c’est clair qu’il faut protéger la population, prendre des mesures barrières et je crois que tout ça a été mis en pratique. À l’évidence ça fonctionne. En fait au Niger ce n’est pas un confinement. A part ceux qui sont malades et hospitalisés, on n’est pas en confinement. Ce qui nous intéresse ici c’est le couvre-feu de la nuit qui va de 19h à 6h du matin, couvre-feu auquel les gens ne sont pas habitués. Il y’a des gens qui ne sortent pas pendant la nuit hommes et femmes, mais les jeunes et certaines familles ont tendance à aller dehors pour se rencontrer. Et voilà, avec le couvre-feu, quelque chose de nouveau s’est introduit dans le comportement des nigériens surtout dans les centres urbains. C’est aussi quelque chose de nouveau pour les parents qui ne sont plus habitués à voir leurs enfants en tout temps, ils sont obligés maintenant de vivre, cohabiter ensemble à partir de 19h au moment où tout le monde vit dans la même concession. Tout le monde est astreint à rester à la maison. Ça va créer des champs nouveaux et permettre de renforcer les relations entre parents et enfants, entre famille, permettre de manger ensemble, de faire le ménage ensemble, regarder la télé ensemble, etc. Je suis psychologue clinicien je travaille sur cette question. Depuis le couvre-feu les jeunes adolescents sont vraiment agités et ont tendance à braver les lois et certains adultes aussi. C’est une façon de montrer qu’on est libre, qu’on peut échapper à la police on voit ce qui se passe, on les ramasse, on les tabasse, ce qui n’est pas vraiment nécessaire parce qu’il suffit de dire aux gens de rentrer chez eux. Il y a un travail de communication à faire avec les forces de l’ordre mais c’est les jeunes qui vont chercher tout ça. Ce que je donne comme conseil aux familles est qu’on apprend à se connaitre, à parler, à échanger et à manger ensemble. Il y’a de nouveaux champs relationnels qui se créent et qu’il faut mettre à profit. C’est le moment pour les parents qui peuvent retravailler un peu les programmes scolaires avec les enfants, c’est le moment de lire un peu, de revisiter les littératures nigériennes et il y a beaucoup de journaux et aussi la littérature africaine. Il y a tout un travail de reconquête de soi, soit en tant qu’individu, soit en tant qu’unité familiale qui permet d’échanger et de mieux se connaitre.
Le Républicain : Comment selon vous les citoyens peuvent-ils tirer profit de cette situation ?
Dr Didier Allagbada : C’est pourquoi il faut prendre ce couvre-feu comme une occasion exceptionnelle dont il faut profiter pour construire ou reconstruire même les familles. Il y a des parents qui ne mangent pas avec leurs enfants alors que c’est fondamental de prendre le petit déjeuner, le déjeuner et le diner ensemble, parce que c’est à travers ces instants que les parents arrivent à mieux connaitre leurs enfants et se connaitre eux-mêmes. Au lieu de laisser l’éducation de son enfant à l’extérieur, il y a des valeurs que les parents devront transmettre à leurs enfants, parce qu’un parent ce n’est pas seulement pour faire un enfant, le nourrir et l’abriter et lui donner de grosses voitures. Non seulement il met sa vie en danger mais aussi la vie des autres. Je crois qu’il y a une question de morale et d’éthique qui est enjeu et que ce moment de couvre-feu peut aider à résoudre. Cela va éviter d’autres conséquences comme par exemple les crises liées à la toxicomanie, l’alcoolisme, le cambriolage, la violence gratuite, la psychiatrisation, la prison, la justice…etc. C’est le moment pour les familles de tout faire ensemble comme le ménage, la cuisine etc. c’est également l’occasion pour les parents d’éduquer et de rééduquer les enfants. J’ai remarqué que maintenant les jeunes couples commencent à se connaitre, à s’accepter et partager des points de convergences en discutant et partageant les temps de couple. Ce sont des choses qui ont l’air superficiel pour la plupart des gens mais c’est très important pour un couple surtout les jeunes couples, pour une famille. C’est l’occasion aussi de développer des comportements structurant parce que vivre à deux ce n’est pas spontané, ce n’est pas naturel ça s’apprend. C’est quand on fait des enfants qu’on va rencontrer des difficultés parce que être papa ça s’apprend et être maman aussi ça s’apprend. En tout cas, de mon point de vue le couvre-feu aide, c’est une opportunité. Ce n’est pas mauvais parce qu’à Diffa ils ont été longtemps dans le couvre-feu. Dans les camps des réfugiés aussi, ils ont l’espoir parce qu’ils se disent qu’un jour tout va finir et reprendre leur cours de vie normale.
J’étais à Diffa quand le couvre-feu a commencé. Les gens sont coincés à la maison. Vous savez les suicides dans les camps des réfugiés c’est extrêmement rare. Et pourquoi ? C’est parce que ce sont des gens qui ont de l’espoir qu’un jour ça va finir, que c’est une épreuve. Le Manga par exemple, les gens ne sont pas concentrés, ils sont éparpillés, maintenant on ne sort plus, on ne circule plus à moto. Est-ce qu’on pense à eux ? On est là on pleure à Niamey, je crois que ces gens-là doivent être des exemples pour nous. Pensons aux autres qui sont dans des situations pires que nous ici. Moi je pense que le couvre-feu, c’est un désagrément de protection qu’il faut respecter, ensuite il faut le mettre à profit. A quelque chose, malheur est bon parfois, ça va beaucoup aider. Je pense surtout aux jeunes. Il y a une information j’ai eu hier, dans le classement de tous les pays du monde, le Niger est le pays le plus jeune, c’est-à-dire le pays qui contient plus de jeunes. C’est toute une richesse, un potentiel. Une population comme cela, il faut l’éduquer, il faut qu’elle ait de l’éthique. Il faut la former, l’informer et l’encourager à créer des opportunités d’emplois, de business, ainsi de suite. Quand les gens sont occupés, ils n’ont pas le temps de se laisser aller à des dérives vicieuses. Comme on le dit souvent, l’oisiveté est la mère de tous les vices.
Le Républicain : comment les élèves et les étudiants peuvent-ils mettre à profit cette période ?
Dr Didier Allagbada : C’est ce que je disais tout à l’heure. C’est la lune qu’on décroche. On a le temps de lire. En notre temps, il n’y avait pas la télé, il n’y avait que les salles de cinéma et on allait en groupe. Mais le soir on lisait beaucoup. Moi c’est dans la période là que j’ai lu toute la littérature africaine des années 70. Malheureusement c’est un constat, il y a beaucoup de relâchement. Les gens ne lisent plus. Les parents ne partagent plus rien avec leurs enfants. Et c’est le moment pour les parents qui peuvent aider les enfants à se réapproprier l’école, le savoir, la connaissance, la recherche, le questionnement. Et ça ne peut se faire que par la lecture et travailler les exercices ensemble. C’est vrai que les parents sont les pires pédagogues qu’on puisse avoir, mais c’est un éducateur. Maintenant, l’école est fermée et on parle d’enseignement par Whatsapp, c’est un peu chercher des histoires là où il n’y a pas, c’est créer encore d’autres problèmes. Combien de jeunes ont d’ordinateur, même à Niamey le réseau ne marche pas très bien. On a eu l’expérience de l’enseignement télévisé, pourquoi on ne reprendrait pas ça ? Donc c’est apprendre aux enfants à s’intéresser à la littérature, l’histoire, la géographie, la SVT où il y a des images et il y a des exercices où on peut poser les questions. Moi j’ai pratiqué avec mes parents quand on était jeune. Etant parent, on doit apprendre aux enfants ce qu’on sait faire et qu’on aime. Il y a la prière aussi, c’est le moment aussi de se recueillir.
Les jeunes quand ils sortent trop, ça dépense de l’argent. Quand il n’y a pas d’argent on vole ses parents. Et ça c’est parce qu’il y a manque d’éducation, il y a manque de communication dans les familles, dans les couples surtout avec les jeunes qui sont dans un mouvement mondial des réseaux sociaux, de nouvelles formes d’information avec des risques d’intoxication. Moi je dirais que tout n’est pas mauvais. Il y a du bon et du mauvais dans tout, mais quand on a une bonne éducation de base, surtout venant des parents, là ça veut dire que les parents sont des modèles. Ils sont présents, ils se cultivent, c’est important. Ça passe par le dialogue, la communication. Qui va nous apprendre à faire le tri entre le bon et le mauvais ? Ce sont nos aînés.
Le Républicain : Quels sont vos conseils pour surmonter psychologiquement cette période de couvre-feu ?
Dr Didier Allagbada : Normalement entre 19h et 6h on est à la maison. Qu’est- ce qu’on peut faire d’autres ? On mange ensemble, on lave les assiettes ensemble, on regarde la télé ensemble et ça nous amène jusqu’à 22 h. Donc le problème c’est entre 19h et 22h à 23h. Sur une journée de 24 heures, on est dehors, mais on n’est pas confiné. On n’est pas comme en Europe. Mon fils en Europe, il est à moitié fou, il m’appelle trois fois par jour parce qu’il est confiné.
Ce que je veux dire comme conseil, c’est de profiter de ce temps. C’est du bon temps d’être ensemble, de se reposer. On n’est pas confiné. Pas de confusion entre couvre-feu et confinement. Le couvre-feu, nous on a connu ça avec Diori, avec Kountché, Baré. Vous savez que la région de Tillabéri est sous couvre-feu, Diffa et Tahoua. Donc pour moi, le couvre-feu ce n’est pas un problème, ce n’est pas une solution absolue non plus, mais c’est une opportunité dont il faut profiter obligatoirement. Ce n’est pas la peine de pleurer là-dessus. Pour les élèves et les étudiants, c’est l’occasion de revisiter leurs cahiers, leurs cours. C’est de se réapproprier leur temps, profiter de 19h à 6h pour faire tant de choses. Pour ceux qui sont dans les classes d’examen, il y a des annales des années passées, des exercices et voir les corrigés. Voilà comment il faut travailler : tu prends une heure ou deux heures au maximum pour la SVT, même chose pour histoire et géographie et tu lis et tu en discutes avec tes parents. Si les parents ne savent pas, on va sur internet faire des recherches pour avoir les réponses.
Cette question que je pose aux parents est de savoir quelle est l’économie qu’ils ont faite et qui va les aider plus tard à la rentrée en septembre, pour mieux équiper les jeunes ? Vous pouvez les économiser pour leur acheter un ordinateur par exemple.
Interview réalisée par Koami Agbetiafa et Ismaël Abdraouf (stagiaire)