L’affaire Dr Dillé Issimouha, une spécialiste du cancer, a eu le mérite de toucher du doigt le sulfureux dossier des évacuations sanitaires, qui constitue un gouffre financier pour l’État. Un véritable réseau de saprophytes qu’il faille démanteler au nom de l’intérêt général.
La question des évacuations sanitaires continue de défrayer la chronique. À l’Assemblée nationale, cette question a fait l’objet de débats et une mission parlementaire serait commise pour voir clair dans ce gouffre financier. On attend d’ailleurs les conclusions de cette mission parlementaire pour éclairer la lanterne des Nigériens. Dans son bras de fer avec l’Hôpital national de Niamey, Dr Dillé a dénoncé l’affairisme dans les évacuations sanitaires. Elle a déclaré qu’un patient aurait bénéficié de 16 millions pour son évacuation, ce qui aurait suffi pour quatre patients, selon elle. Après vérification, il est vrai que les 16 millions suffisent justement pour 4 personnes pour uniquement la radiothérapie sans tenir compte de la prise en charge des autres services pour le séjour du patient en Tunisie. Elle n’a pas tenu compte des examens médicaux, la location en ce sens que le patient doit rester en Tunisie au moins 7 semaines. Il y a également la nourriture et le déplacement.
Pourtant après l’inauguration de l’Hôpital de référence de Niamey, la question des évacuations sanitaires avait fait l’objet d’une communication en Conseil des ministres. Les Nigériens étaient rassurés que, désormais, la bonne gouvernance serait de mise dans ce domaine au profit de la majorité des patients. Mais à l’épreuve des faits, l’assainissement n’est pas pour demain. Du moins, il incombe aux autorités de revoir leur copie sur cette question.
Qui fait quoi et avec qui ?
Contre toute attente, de sources bien informées, certains médecins spécialistes sont les premiers responsables de la gabegie dans les évacuations sanitaires. À la vérité, nos médecins font de la sous-traitance avec des sociétés d’assistance qui elles-mêmes sont de connivence avec des cliniques souvent moins cotées que certaines de nos cliniques privées à Niamey. Pour le cas de la Tunisie, le mode opératoire est le suivant : le médecin traitant contacte une société d’assistance médicale à Nabeul, une ville qui est à 70 km de Tunis et 90 km de Sousse. Elle n’a pas de centre de radiothérapie. La combine consiste à emmener le malade à Tunis ou à Sousse où se trouvent les centres de radiothérapie. Chaque sortie du véhicule de la société est facturée à 160 dinars (environ 34 000 fcfa). La radiothérapie s’effectue à raison de cinq séances par semaine, du lundi au vendredi, soit 160 dinars durant 7 à 8 semaines.
De sources dignes de foi, nous apprenons qu’en Tunisie l’Etat a payé une évacuation à plus de 200 000 euros soit environ 131 millions de francs CFA juste parce que la clinique a gardé le malade pendant un an de séjour soit 350 dinars multipliés par 365 jours. C’est ainsi que selon nos sources, avec la complicité des médecins spécialistes, les cliniques et sociétés d’assistance en Tunisie comme E2A, TMS et Clinique-Mon-Plaisir grugent l’État du Niger. Grâce aux rétro-commissions, ces médecins spécialistes évacuent des patients dans des cliniques périphériques qui ne disposent d’aucune compétence. Il y a lieu de se demander quelle leçon de conscience professionnelle ceux qui s’adonnent à de telles pratiques peuvent donner aux citoyens ? Il se raconte qu’un médecin néophyte ayant raccompagné une patiente s’est vu attribuer une grosse enveloppe par le responsable de la clinique. De retour au pays, il aurait, de bonne foi, remis cet argent à la patiente. Quand son gourou de médecin lui a réclamé l’argent, il lui a répondu avoir remis l’enveloppe à la patiente, pensant que c’était un reliquat de ses frais d’évacuation. Mais il ne savait pas que c’était de la rétro-commission ! Les mauvaises pratiques de certains médecins ne se limitent pas seulement au pays où certains abusent de leurs patients au profit de leurs cliniques privées. Et certaines sources nous ont révélé une certaine complicité entre certaines cliniques et des responsables du ministère de la Santé, qui bénéficient, eux et les membres de leurs familles, de bilans de santé gratuits.
Quel rôle jouent le ministère de la Santé et le conseil de santé ?
Le ministre de la santé, Dr Idi Illiassou Mainassara, fait des efforts dans la gestion de son département. Il a pris des mesures très courageuses dont la fermeture de certaines cliniques et cabinets de santé qui violaient la réglementation en vigueur. Mais dans les évacuations sanitaires, de sources bien informées, le principal défaut du ministère de la Santé est le manque de contrôle. D’aucuns pensent que si seulement le Conseil de santé et le ministère se permettaient de vérifier les compétences des cliniques où les patients nigériens bénéficiaires sont évacués, ils allaient découvrir beaucoup d’anomalies. Le comble du ridicule, selon nos sources, c’est que, souvent même, des personnalités sont prises en charge par des petites cliniques, au détriment de leur statut. La responsabilité ou complicité de ces personnalités est-elle en cause ? Les exemples sont légion dont un cas frise vraiment le scandale. Comment expliquer par exemple que malgré le vol Niamey-Tunis, un patient victime d’un AVC (accident cardio vasculaire) se voit déposer dans une clinique qui n’a pas de compétences. Dans ce sens, une source nous a confié qu’un ambassadeur du Niger aurait fait un deuxième AVC dans une clinique de ce genre par manque de soins appropriés en temps réel.
Que faire ?
Il faut simplement démanteler ce réseau de ces médecins spécialistes qui opèrent au Maroc, en France et en Tunisie de concert avec des sociétés d’assistance ou des cliniques complices de ce trafic. Pour ce faire, il faudrait que cesse le laxisme du ministère de la santé et/ou de l’Etat. Il serait indiqué qu’une véritable enquête parlementaire fouille les dossiers des évacuations sanitaires. La Haute autorité de lutte contre la corruption et infraction assimilées (HALCIA) déjà saisie par le Syndicat des medecins spécialistes (SMES) pourrait également contribuer à l’éclairage des Nigériens sur cette question cruciale, au regard des besoins pressants en matière de santé dans notre pays. Nous disons qu’il y a mal gouvernance dans les évacuations sanitaires, mais certains médecins ont également une lourde responsabilité dans cette gabegie. C’est pourquoi il est urgent de procéder à une véritable inspection d’Etat pour freiner cette hémorragie. (Nous y reviendrons).
Elh. M. Souleymane