Depuis bientôt sept (7) mois, Kalla ANKOURAO est chef de la diplomatie nigérienne. Il est également Secrétaire Général Adjoint du Comité Exécutif du PNDS Tarayya. Dans cet entretien exclusif, il fait l’état des lieux de la diplomatie d’avant-garde du Niger sous la 7ème République et se prononce sur certains faits saillants de l’actualité internationale. C’est avant tout à un homme du sérail que le président Issoufou a confié les commandes de la politique du Niger dans ses relations avec les autres nations du monde.
Niger Inter Magazine : Vous avez pris les commandes de la diplomatie nigérienne en Mai dernier comme Ministre des Affaires Etrangères, de la Coopération, de l’Intégration Africaine et des Nigériens à l’Extérieur. En quoi consiste précisément la mission à vous confiée par le président de la République ?
Kalla Ankourao : Je vous remercie de me donner l’opportunité de m’adresser à vos lecteurs pour leur livrer les sentiments qui m’animent depuis que je me suis vu confier la responsabilité du département en charge des affaires étrangères. Comme vous le savez, le premier objectif de la diplomatie est la défense des intérêts du pays par le biais de négociations et d’établissement de relations d’amitié. Le deuxième objectif assigné à la diplomatie est la sauvegarde de la paix et de la sécurité. Les enjeux de la mission dévolue à la Diplomatie sont tellement importants que les responsables ne doivent rater aucun rendez-vous international. Ils doivent aussi s’appuyer sur une administration performante, comprenant des cadres engagés pour la cause du pays. Ils doivent enfin être doués de l’art de convaincre.
Niger Inter Magazine : Le Président de la République, S.E.M. Issoufou Mahamadou accorde une importance capitale à la diplomatie, en attestent ses nombreux voyages à l’extérieur et également des visites d’importantes personnalités du monde dans notre pays. Quelles sont les retombées de cette offensive diplomatique du chef de l’Etat ?
Kalla Ankourao : Je dois d’abord vous dire que ce ne sont pas les voyages qui attestent l’importance qu’on accorde à la diplomatie. Les voyages ne constituent qu’un moyen, comme tant d’autres, de mise en œuvre de l’orientation définie en matière de diplomatie. Ceci dit, que le président Issoufou Mahamadou accorde une importance capitale à la diplomatie me semble une évidence.
Mais à quelle fin ? D’abord pour assurer la sécurité intérieure, la sécurité dans l’espace sahélo-saharien, en Afrique et dans le monde ; ensuite pour promouvoir une coopération et un partenariat gagnant gagnant avec tous les pays et toutes les organisations ; enfin pour contribuer à l’émancipation politique et économique de l’Afrique. Les efforts diplomatiques déployés par notre administration, sous l’impulsion du Chef de l’Etat, sont tous orientés vers l’atteinte des objectifs énumérés ci-dessus et, en termes de résultats, au plan sécuritaire, notre pays connait une sécurité et une stabilité dignes d’admiration au regard de tous les foyers d’insécurité qui nous entourent. L’option de mutualisation des moyens dans le combat contre les terroristes a contribué à stabiliser les fronts dans le Bassin du lac-Tchad avec la force multinationale mixte (FMM) et aux frontières du Mali et du Burkina Faso avec la force conjointe du G5 SAHEL.
Le partenariat et la coopération au développement ont permis à notre pays d’accéder à des ressources importantes comme cela a été le cas lors des deux tables rondes de Paris en 2012 et en 2017 pour financer les PDES 1 et 2 ; c’est aussi le cas du Forum Chine-Afrique de septembre 2018 à l’occasion duquel notre pays a obtenu d’importants financements destinés à la construction des routes et ponts , à l’exploitation pétrolière et à la construction d’un pipeline pour l’évacuation du brut vers les ports . C’est également le cas avec l’Inde qui, en plus des projets courants, a consenti à notre pays la construction d’un superbe centre de conférences. C’est enfin le cas des Etats Unis d’Amérique qui ont accordé à notre pays le bénéfice du compact incluant des investissements de près d’un demi-milliard de dollars. Il s’agit dans chaque cas de montants colossaux que seule l’efficacité de notre diplomatie peut justifier.
Il convient de noter par ailleurs la confiance faite par ses pairs africains au président Issoufou Mahamadou pour , d’une part, conduire avec le président ghanéen , le processus de création d’une monnaie unique et, d’autre part, se voir désigné Champion de l’UA pour la création d’une zone de libre-échange continentale( ZLACAf).
Toujours parmi les succès de notre action diplomatique, je voudrais relever l’ouverture, à Niamey, d’au moins cinq chancelleries en moins d’une année (Soudan, Italie, Ghana, Pays Bas, et bientôt la Grande Bretagne).
J’allais oublier de mentionner l’intérêt manifesté par les responsables des trois agences des Nations Unies qui interviennent dans le domaine de la sécurité alimentaire à savoir le PAM , le FIDA et la FAO vis-à-vis de notre pays , lequel intérêt n’a été rendu possible, là encore, que grâce à l’efficacité de notre diplomatie et l’excellence de notre gouvernance. Sinon comment expliquer que ces agences s’accordent à retenir le Niger comme modèle pour intensifier leurs interventions, convaincues que les conditions sont réunies pour aboutir à des résultats positifs ? Les exemples ci-dessus énumérés prouvent que les retombées de notre offensive diplomatique sont réelles, palpables.
Niger Inter Magazine : Présentement quel est l’état des lieux de la présence du Niger dans le monde ?
Kalla Ankourao : Je comprends, à travers cette question, que vous cherchez la confirmation de ce que, vous journalistes, savez déjà. Et bien je puis vous affirmer que le Niger jouit d’une immense crédibilité aujourd’hui dans le monde. Si l’Union Africaine sollicite le président Issoufou pour être son champion dans le processus de création de la zone de libre échange continentale, ce n’est certainement pas par hasard , si la CEDEAO confie au président Issoufou le projet de création d’ une monnaie unique , ce n’est pas non plus par hasard, si le président de la République est sollicité partout pour intervenir dans les conférences ou animer des panels , il y a certainement de bonnes raisons , si l’Union Africaine décide d’organiser son 33ème sommet à Niamey , ce n’est évidemment pas par hasard. En vérité, je suis le témoin privilégié de la très haute considération dont notre pays jouit aujourd’hui dans le monde. Nous n’arrivons même plus à honorer, en tant que ministre des affaires étrangères, les nombreuses sollicitations pour des rencontres bilatérales à l’occasion des sommets internationaux, ou les nombreuses invitations pour visiter des pays amis.
Niger Inter Magazine : Six mois après votre prise de fonctions, le Niger a participé à des grandes rencontres dans le monde : entre autres une visite d’Etat en France, la conférence Afrique/pays nordiques au Danemark, la Conférence des Ministres des Affaires Etrangères de l’Organisation de Coopération Islamique (OCI) au Bangladesh, le Sommet Chine/Afrique de septembre à Beijing, la 73ème Session de l’Assemblée Générale de l’ONU à New York, le 17ème Sommet de l’Organisation Internationale de la Francophonie en Arménie, etc. Quels commentaires faites-vous sur la participation du Niger à ces grands rendez-vous diplomatiques ?
Kalla Ankourao : Vous faites bien de me rappeler combien notre calendrier international a été très dense au cours de ces six derniers mois. Nous nous sommes fait l’obligation d’assister à tous les rendez-vous que vous venez de citer et à bien d’autres que vous avez oubliés comme le dialogue Europe-Afrique sur les migrations à Marrakech , la conférence Italie- Afrique récemment à Rome, les sommets de Paris , en Mai et de Palerme en début novembre sur la crise libyenne ou encore le sommet conjoint CEDEAO /CEAC en fin juillet 2018 à Lomé sur la sécurité et la migration en Afrique de l’Ouest et du Centre, les conseils des ministres du G5 Sahel, la réunion du Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union Africaine consacrés à la recherche de la paix et la restauration de la sécurité dans l’espace Sahélo sahélien, etc. Notre présence à tous ces rendez-vous était nécessaire pour partager notre expérience et coordonner nos actions dans tous les domaines. A l’occasion de tous ces rendez-vous nous avons constaté avec fierté que la voix du Niger compte plus que jamais. Je vous rappelle que le Niger assure cette année, la Présidence en exercice du G5 Sahel et vous n’ignorez pas les préoccupations sécuritaires et de développement de cette organisation.
Niger Inter Magazine : Dans ses relations avec les pays Occidentaux, le Niger semble occuper une place stratégique sur les questions de sécurité et de migration. Que répondez-vous à ceux qui ne voient que les bases militaires et le bradage de notre souveraineté dans la coopération militaire avec l’Occident ?
Kalla Ankourao : S’agissant de la lutte contre le terrorisme et le crime organisé, notre gouvernement a défini et mis en œuvre une stratégie basée sur trois options : d’abord celle du renforcement des moyens et des conditions de vie des forces de défense et de sécurité, allant jusqu’à leur consacrer plus de 15% du budget chaque année depuis 2013, ensuite celle de la mutualisation des moyens avec ceux des pays dits du Champ et enfin celle de la coopération avec les pays amis dans les domaines où certaines faiblesses sont constatées, par exemple la formation, le renseignement et l’appui aérien. Cette stratégie nous a permis d’assurer jusqu’à cette date la paix et la sécurité à l’intérieur de nos frontières et de préserver au maximum les vies de nos soldats. Je suis convaincu que les 20 millions de nigériens, y compris ceux qui critiquent, probablement pour le principe, nos choix, sont aujourd’hui satisfaits de la situation de paix et de sécurité que nous vivons. Ceux qui nous reprochent d’abriter des bases étrangères font de l’amalgame à des fins de propagande. Par contre, nous sommes en train de démontrer que nous savons aussi être réalistes quand il le faut, et agir en fonction des intérêts supérieurs du peuple nigérien. Les pays que nous avons sollicités pour une coopération dans la lutte contre le terrorisme (exclusivement) interviennent déjà au Mali, en Syrie, en Irak, en Afghanistan, etc. Pour nous, la critique est donc sans fondement, ce d’autant plus qu’elle émane de gens qui n’ont jamais condamné les attaques de la secte BOKO HARAM, ni celles des terroristes qui sèment la terreur dans la bande Sahélo Saharienne. Ils sont donc discrédités et mal fondés à critiquer ceux qui se battent efficacement pour la paix et la sécurité dans leur pays.
Niger Inter Magazine : A propos de la coopération sur la migration, d’aucuns pensent que le Niger n’a pas mobilisé assez de ressources pour offrir des opportunités aux jeunes. Quel est votre appréciation de l’action diplomatique du Niger sur cette question relative à la migration ?
Kalla Ankourao : S’agissant de la gestion des flux migratoires, nous sommes à l’aise pour défendre notre contribution, appréciée par tous les partenaires. Nous avons respecté les engagements auxquels nous avons souscrit au sommet de La Valette. Ce faisant, notre pays fait l’objet d’hommage et de reconnaissance par tous les partenaires.
Cependant, malgré le succès de la lutte que nous avons engagée contre la migration irrégulière depuis trois ans, le soutien promis par les partenaires européens n’a jusqu’à présent pas été à la hauteur. Nos partenaires de l’Union Européenne invoquent une certaine complexité de l’outil créé aux fins de soutien à la lutte contre cette forme de migration. Il s’agit du Fond Fiduciaire de l’Union Européenne pour l’Afrique qui a reçu de l’UE une première dotation de 500 millions d’euros et à travers lequel les pays européens, pris individuellement, sont appelés à contribuer à la lutte contre ce fléau. Mais, il faut l’avouer, à cette date notre pays n’a pu accéder à ce fonds pour des montants importants, à la hauteur des enjeux économiques des régions affectées par la réduction drastique des activités liées à la migration. Une rencontre est prévue en novembre 2018 à Addis Abeba pour trouver les moyens d’accélérer les décaissements.
Niger Inter Magazine : Dans votre allocution à l’AG de l’ONU vous avez déclaré : «S’agissant d’abord de la question migratoire, le Niger se félicite de la finalisation du Pacte mondial sur des migrations sûres, ordonnées et régulières, premier arrangement international mis en place par les Nations Unies pour la gouvernance de la migration. » Peut-on en savoir plus sur les dispositions de ce pacte mondial sur les migrations ?
Kalla Ankourao : Le pacte mondial sur les migrations sûres, ordonnées et régulières, est un document unique qui traite la question migratoire dans sa globalité, avec toutes ses dimensions. Il pose les bases de principes communs d’une gouvernance mondiale des migrations. Il réitère des principes importants telle que la protection des droits humains des migrants, assure les services de base à ces migrants et renforce la coopération entre les pays d’origine, de transit et de destination des migrants. Le pacte énonce 23 objectifs et dispose d’un mécanisme de mise en œuvre et de suivi. Ce document est historique ; la communauté internationale l’a voulu et l’a enfin obtenu. Sa mise en œuvre permettra de ne plus vivre les spectacles désolants de morts dans le Désert ou la Méditerranée.
Niger Inter Magazine : S’agissant justement de la dernière Assemblée Générale de l’ONU certains pensent que le président Issoufou n’y était pas parce qu’il a boudé le fait que la force du G5 Sahel n’a pas été inscrite sur le chapitre 7 de la charte des Nations Unies. Que répondez-vous ?
Kalla Ankourao : Cette question à mon sens ne mérite même pas d’être posée. Est-ce que vous connaissez un président qui participe à toutes les sessions de l’Assemblée Générale des Nations Unies à New York ? Depuis bientôt huit ans que le président Issoufou est au pouvoir, il n’a pris part qu’à 3 sessions. Pourquoi chercher des raisons de son absence cette année, alors que tout le monde le sait, le Président de la République avait un calendrier extrêmement chargé en ce moment là ? La question de la force conjointe du G5 Sahel est traitée beaucoup plus en Afrique, qu’ailleurs. Ces genres d’élucubrations ne servent nullement les intérêts de notre pays.
Niger Inter Magazine : La Récente désignation de la rwandaise Louise Mushikiwabo pour remplacer Michael Jean à la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) a fait couler beaucoup d’encre et de salive du fait que le Rwanda serait un anti modèle sur les valeurs démocratiques. Que répondez-vous à ceux qui pensent que cette élection serait un mauvais deal pour l’image de l’OIF ?
Kalla Ankourao : Je voudrais d’abord vous faire rectifier qu’il ne s’agit pas d’une désignation mais d’une élection du Secrétaire général de l’OIF, comme le stipulent les textes régissant le fonctionnement de cette Organisation. Elles étaient deux candidates à ce poste. Mais avant la séance consacrée à l’élection, la candidate Michaelle Jean a retiré sa candidature, facilitant ainsi l’élection de Louise Mushikiwabo, par acclamation. J’ai connu cette ex-ministre Rwandaise des affaires étrangères à l’occasion de nombreuses rencontres internationales. Croyez-moi si un seul instant les pays membres de l’OIF doutaient de ses convictions démocratiques et francophones, elle n’aurait pas pu faire l’unanimité aussi facilement. Donc il faut laisser ces histoires d’anti/modèle ou de deal que moi je considère comme étant de critique facile et sans fondement.
Niger Inter Magazine : En Août dernier, les trois leaders des Agences de Rome à savoir la FAO, le PAM et le FIDA ont effectué une visite conjointe à Niamey. Quelle signification donnez-vous à cette grande rencontre autour du président Issoufou ?
Kalla Ankourao : Les leaders des trois agences des nations unies ont réaffirmé sans détour, dans leur intervention à l’issue de leur séjour au Niger, toute la confiance qu’ils placent en la gouvernance du Niger et leur conviction que, de part le sérieux et la vision du président Issoufou Mahamadou, notre pays est tout indiqué pour servir de modèle à leur démarche commune tendant à consacrer des investissements conséquents pour éradiquer durablement la précarité dans le domaine de la sécurité alimentaire. Peuvent- ils choisir le Niger sans être convaincus de l’excellence de sa gouvernance ? Je ne le crois pas. Personnellement, c’est la seule signification que je donne à cette rencontre.
Niger Inter Magazine : L’autre grand rendez-vous diplomatique pour le Niger c’est incontestablement la tenue de l’UA-Niger 2019. Quelle est votre message particulier sur ce grand événement pour notre pays ?
Kalla Ankourao : Le Niger a eu l’insigne honneur d’être désigné pour abriter le 33ème sommet de l’UA en juillet 2019 avec comme principal point à l’ordre du jour le lancement de la zone de libre échange continentale africaine (ZLECAf). C’est un évènement inédit pour notre pays. Le message particulier du ministre des affaires étrangères du Niger que je suis est que tout le pays se mobilise pour réussir ce rendez-vous et engranger les dividendes découlant habituellement des grands évènements.
Niger Inter Magazine : Quel est votre dernier mot ?
Kalla Ankourao : Le Niger est sans conteste un poids lourd en Afrique de l’ouest et dans la bande sahélienne. Il bénéficie de par le monde d’une crédibilité grandissante. Il faut que nous sachions en profiter et pour cela nous ne devons avoir aucune divergence quand il s’agit de grandes questions nationales, notamment les questions sécuritaires, diplomatiques ou électorales entre autres. Nous sommes bien placés pour le dire, car ça a été notre comportement pendant les 20 ans d’opposition que nous avons vécus. Il n’est pas inutile de rappeler que tout progrès enregistré par notre pays profite à toute la population nigérienne. Cette vérité doit nous convaincre tous qu’il faut savoir raison garder.
Interview réalisée par Elh. Mahamadou Souleymane
Niger Inter Magazine N0 17