Intervention de S.E MAHAMADOU ISSOUFOU A Aqaba, sur le thème de la Paix et de la Sécurité en Afrique de l’Ouest

Majesté Abdullah II, Roi de Jordanie, Majestés, Altesses, Excellences Messieurs les Chefs d’Etat et de Gouvernement,

Mesdames, Messieurs,

Je voudrais renouveler mes félicitations à Sa Majesté Abdullah II pour son investissement personnel dans la recherche de solutions aux défis que partage la communauté internationale. La retraite d’Aqaba constitue une des manifestations. Majesté, Je vous remercie sincèrement de m` y avoir invité.

L`examen des défis à la paix et à la sécurité internationale dans une vision qui prend en compte ses différentes déclinaisons régionales et locales permet en effet de les appréhender avec d’avantage de lucidité et, par conséquent, de développer des réponses plus adaptées.
Je suis heureux de pouvoir contribuer aux échanges d’aujourd’hui, afin de présenter des observations qui sont celles du Niger mais qui reflètent  certainement les réalités des autres pays du sahel et de l’Afrique de l’Ouest.

Consacrer nos réflexions, partager nos analyses sur la situation sécuritaire en Afrique de l’Ouest en ce moment précis de l’évolution de cette sous-région, est d’une extrême opportunité tant il parait urgent de mettre fin au drame humain qui s’y déroule et tant les risques pour le continent et pour le reste du monde sont énormes.

Majesté,

Mesdames, Messieurs,

Ces dernières années, l’Afrique de l’Ouest et en particulier sa zone sahélienne, frontalière du Maghreb est devenu le théâtre d’opération des groupes terroristes et mafieux de tous genres portant une atteinte grave à la sécurité des personnes et des biens et menaçant même l’existence des Etats.

Les principaux groupes terroristes opérant dans la région sont les groupes affiliés à Al Qaida au Maghreb Islamique(AQMI) ou à l’Etat Islamique et se cachent sous divers acronymes tels que Boko Haraam, Al Mourabitoune, Ansar Dine, Moujao , etc.    A ces groupes s’ajoutent les milices tribales arabes, Peuhles, Toubous et Touareg.

Les modes opératoires des groupes terroristes présents au Sahel diffèrent de peu de ceux des autres branches d’Al Qaïda (Afghanistan et Yémen) et de l’EI. Leur stratégie meurtrière s’appuie sur les modes opératoires suivants : attentat suicide (par véhicules piégés ou par kamikazes humains), attaque ou embuscade contre les FDS (usage de mines antichar et antipersonnel), enlèvement de militaires et de policiers, prise d’otages civils. En plus des modes décrits ici, la secte Boko Haram adopte d’autres modes opératoires des plus meurtriers ayant des effets psychologiques dévastateurs sur la population civile et les FDS notamment les exécutions collectives par égorgement,  la destruction de maisons ou de villages entiers par le feu, l’enlèvement massif de femmes et d’enfants, utilisation de colis piégés transportés par des enfants, etc. Les Etats et zones situés plus au sud ne sont pas épargnés comme en témoignent les attentats perpétrés à Abuja au Nigéria, à Grand Bassam en Côte d’Ivoire, à Ouagadougou au Burkina Faso et à Bamako au Mali.

En résumé, comme partout ailleurs, ils mènent des actions d`éclat notamment à des fins de propagande et pour intimider et contrôler les populations.

S`agissant du financement du terrorisme, le trafic de  drogue, les prises d`otages, le trafic humain y compris l`esclavage, le pillage, le trafic d`armes et cigarettes, en constituent les principales sources.  Certaines associations dites caritatives servent également de couverture pour le financement du terrorisme. C`est notamment grâce à toutes ces ressources que ces groupes recrutent de jeunes frustrés ou des désœuvrés surtout victimes du chômage et de la pauvreté. S`y ajoutent les jeunes radicalisés des milieux islamistes et les jeunes filles et garçons enlevés de force.

Majesté,

Mesdames, Messieurs,

Il me parait important que nous nous penchions sur les causes profondes de la détérioration de la situation sécuritaire en Afrique de l’Ouest ainsi que les facteurs aggravants de cette situation.
Au titre des causes fondamentales il faut noter l’extrême pauvreté et l’ignorance.

Le Sahel subit de plein fouet les conséquences des changements climatiques. Les ressources en eau sont insuffisantes et les sols deviennent de moins en moins fertiles. De ce fait, les productions agricoles ne permettent pas d’atteindre un niveau acceptable d’autosuffisance alimentaire, exposant une bonne frange de la population à l’insécurité alimentaire. L`illustration parfaite des effets du changement climatique sur la pauvreté est donnée par la situation dans le bassin du Lac Tchad qui a perdu 90% de sa superficie. Par ailleurs dans le Sahel, la pauvreté est rurale. Au Niger par exemple 3 pauvres sur 4 vivent en milieu rural. Cette pauvreté est aggravée par la croissance démographique. En effet le Sahel est l’une des régions du monde les plus prolifiques. Avec un taux de croissance supérieur à 3%, sa population pourrait atteindre 200 millions d’habitants en 2050 au rythme actuel, contre 85 millions en 2015.

La quasi absence d’industries et la faiblesse des exportations, limitées souvent à quelques produits miniers et pétroliers, constituent des facteurs aggravants de la pauvreté surtout avec l’effondrement des prix de ces matières. Ces situations ne permettent pas aux Etats de faire face aux besoins primaires des populations (éducation, formation, santé, alimentation) et de créer des sources de revenus aux bras valides d’où le désarroi dans lequel se trouve une frange importante des populations, notamment les jeunes qui peinent à trouver du travail ou à recevoir une bonne éducation les exposants à la merci des vendeurs d’illusion. Dans le sahel, les taux d’analphabétisme des adultes dépassent 50% dans certains pays.

La crise Libyenne, est aussi un facteur aggravant de la situation que vit le Sahel. En effet, les évènements intervenus en 2011, n’ont pas produit les résultats escomptés notamment l’instauration d’un régime démocratique. La Libye est devenue un pays sans Etat, un pays de non droit laissé aux mains de milices à obédience tribales ou religieuses ainsi que les groupes terroristes et les criminels de tout bord et surtout un magasin d’armes de tous calibres à ciel ouvert.

Le Sahel vit également sous la menace d`une progression dangereuse du radicalisme religieux. Des mouvements islamistes réformateurs viennent avec leurs propres projets de société et de civilisation et une stratégie insidieuse et installent des institutions parallèles à celle de l’État : un directoire avec une feuille de route, des écoles, collèges et lycées, université, centres de santé, centre d’enseignement des adultes, services sociaux, instances de conciliation et de justice, micro finance et réseaux financiers, marchés, ONG, milices et service d’ordre, etc. Dotés de grands moyens, ces réformateurs investissent en priorité dans divers secteurs sociaux : santé, eau, école, encadrement des jeunes pour une citoyenneté islamique, moralisation, particulièrement ; c’est à dire là où, justement, l’État éprouve beaucoup de difficultés à remplir son rôle.

C’est là une tendance très inquiétante, du point de vue sécuritaire, et qui constitue la menace la plus grave à l’existence même de tout État démocratique et laïc comme le nôtre. En effet, le modus operandi de ces mouvements religieux radicaux vise à se substituer à l’État, à prendre le contrôle de ses missions fondamentales, in fine, à favoriser l’institution d’un État islamique. En cela ils rejoignent les mouvements terroristes dans leur objectif de création d’un Etat Islamique en Afrique de l’Ouest.

Majesté,

Mesdames, Messieurs,

Le terrorisme et la migration irrégulière ont des points communs. Pays de transit par excellence pour la migration vers l`Europe via la Libye, le Niger subit les conséquences de cette liaison entre migration et terrorisme.  En effet, pour se constituer un fonds de voyage, les candidats à l’immigration travaillent pour les groupes criminels ou opèrent pour leur propre compte en s’investissant dans le trafic de drogues, d’armes et le trafic d’êtres humains. Ces trafics sont des sources potentielles de financement du terrorisme.

La dimension internationale du terrorisme constitue un risque majeur pour les pays du Sahel. En effet avec la défaite de DAESH en Irak et en Syrie un nombre importants de combats seront tentés, via la Libye,  de rejoindre les djihadistes de DASEH et d’AQMI qui opèrent au Sahel et leur apporter leur expérience de combat, leur expertise de fabrication de bombes et d’explosifs ainsi que celle du maniement d’armes modernes et sophistiquées. Ceci est d’autant plausible que le renforcement de l’arsenal juridique et des frontières rend difficile le retour en Europe de combattants islamistes.

Cette dimension internationale transparait également dans le développement de la cybercriminalité.  Elle prend de l’ampleur avec l’intérêt grandissant des populations pour les ordinateurs et Smartphones. Au regard de l’absence de frontières en matière de TIC et de systèmes législatifs et réglementaires répressifs, les cybercriminels internationaux utilisent souvent les systèmes nationaux comme les nôtres, pour commettre leurs forfaits à travers le monde.

Majesté,

Mesdames, Messieurs,

En ce qui concerne la réponse apporté par les Etats pour faire face à la situation permettez-moi de vous présenter le cas particulier du Niger qui vit sous la menace terroriste à trois encoignures de ses frontières : le côté Libyen, le côté Malien et le côté du Lac Tchad.
Au Niger, les réponses apportées par le gouvernement s’inscrivent dans une approche sécuritaire à trois volets : la répression ; le développement et l’idéologie.

L’approche répressive a consisté à déployer les Forces de Défense et de Sécurité sur tous les fronts et à renforcer l’arsenal juridique. Ainsi, d’Ouest en Est et du Nord au Sud, les FDS ont été déployées pour mener des opérations nécessaires à la neutralisation des forces obscurantistes et à l’interdiction de l’accès du territoire pour les groupes djihadistes et criminels, qui sévissent dans l’espace sahélo-saharien. Ces actions sont parfois appuyées par des détachements militaires étrangers basés au Niger, à travers la fourniture de renseignements militaires et la mise à disposition de moyens logistiques et la formation. Le Niger consacre désormais plus de 15 % de son budget annuel aux dépenses de défense et de sécurité́. L’arsenal juridique de lutte contre le terrorisme ainsi que le dispositif national de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme qui comprend  des institutions comme la Cellule Nationale de Traitement des Informations Financières, le Pôle judiciaire spécialisé en matière de lutte contre le terrorisme, et le Service Central de Lutte contre le Terrorisme et la Criminalité Transnationale Organisée a été renforcé.

Ce cadre juridique et institutionnel a permis de mener efficacement la lutte contre le terrorisme dans le respect des droits humains. Les résultats obtenus sont relativement satisfaisant car il n’existe à ce jour aucun sanctuaire de terroristes au  Niger.

Le volet développement procède d’une vision prospective soutenue par des programmes ambitieux  comme la Stratégie de Développement Durable et de Croissance Inclusive (SDDCI Niger 2035, le programme de Renaissance du Niger et le Plan de Développement Économique et Social.  Ces initiatives nationales ont le mérite de poser un diagnostic clair des défis majeurs du développement socio-économique et d’inscrire les politiques publiques dans une perspective plus globale de lutte contre la pauvreté à travers un cadre inclusif de réflexion et d’édification de vision commune.

Quant au volet idéologique, il consiste à promouvoir la modération en matière religieuse par des actions de formation, de sensibilisation, de promotion de dialogue inter et intra religieux et le cas en cas de nécessité d’utilisation de la répression.

L’une des initiatives phares du Ministère chargé des affaires religieuses est la création des comités de dialogue inter religieux et intra religieux. Il existe 190 associations  religieuses légalement reconnues au Niger dont 120 associations musulmanes et 70 associations chrétiennes. Ces associations sont organisées en faitières au niveau régional et au niveau national. Des comités de dialogue inter religieux et intra religieux sont créés au niveau départemental et au niveau régional pour débattre de toutes questions ayant trait aux pratiques religieuses ainsi que de tout différent entre associations qu’elles soient de la même obédience religieuse ou non. Compte tenu du succès enregistrés par ces comités, un comité National de dialogue inter religieux est en cours de création pour la prise en charge des mêmes questions au niveau national.

A ces différentes réponses au niveau national, il faut ajouter les initiatives communes de la lutte et de collaboration en matière de conflit, de  terrorisme et de crime organisé au niveau des instances sous régionales et régionales. Au titre de ces initiatives il me plait de souligner la Force Mixte Multinationale de la Commission du Bassin du Lac Tchad, composée des contingents des pays riverains du Lac Tchad et qui a en charge la guerre contre les terroristes de BOKO HARAM avec beaucoup de réussite et la Force conjointe du G5 Sahel en gestation pour combattre les terroristes opérant dans ces Etats.

Majesté,

Mesdames, Messieurs,

Pour conclure mon intervention, je voudrais partager avec vous quelques réflexions sur les éléments indispensables pour assurer et sauvegarder la paix et la sécurité au Sahel et en Afrique de l’Ouest.

Le premier élément est le règlement urgent de la question Libyenne
Tant qu’il n’y a pas une stabilisation de la Libye avec une autorité politique ayant la légitimité et  les moyens de faire régner l’ordre et la justice sur toute l’étendue du territoire il est illusoire d’espérer la paix et la sécurité dans les pays voisins de la Libye et par conséquent l’Afrique de l’Ouest. Il faut que l’Etat Libyen soit en mesure de désarmer les milices et les extrémistes religieux, de contrôler les entrées et les sorties du territoire national, de réprimer la fraude, le racket et le crime organisé. Il faut mettre fin à l’ingérence des puissances étrangères en Libye et pousser les forces politiques vers une réconciliation inclusive et véritable.

Le deuxième élément est la nécessaire lutte contre la pauvreté et l’ignorance
La pauvreté et l’ignorance étant les causes principales de l’insécurité les pays de l’Afrique de l’Ouest doivent mettre un accent particulier sur les programmes de lutte contre la pauvreté. A cet effet les orientations retenues par les Nations Unis dans le cadre des objectifs de développement durable constitue une bonne base de départ. Compte tenu de la fragilité économique des pays du Sahel, le soutien de la communauté internationale s’avère indispensable que soit à travers l’aide au développement, l’investissement direct, les organisations caritatives, les agences des nations unies, les fonds de développement. Bref c’est d’un véritable plan Marshal que ces pays ont besoin et il y a urgence.

Le troisième est élément est la nécessité de coordination en matière de lutte contre le terrorisme au niveau des Etats concernés et la coopération de  communauté internationale.
Les mouvements terroristes n’ont pas de frontières, ils ont des objectifs transnationaux, ils recrutent et opèrent dans tous les pays. Il est illusoire de penser que chaque Etat puisse venir à bout de la menace terroriste qui l’affecte. Les Etats doivent mutualiser leurs forces armées et leurs services de renseignements. La communauté internationale doit aussi se sentir concernée par la lutte contre le terrorisme et s’impliquer dans le combat que mènent les pays affectés. Cette implication doit se faire  de façon à aider les Etats concernés à se doter de vecteurs aériens, d’armement, d’équipements militaires ainsi que la formation, l’appui technique et financier, le partage d’information  et de renseignements bref toute chose de nature à leur permettre une supériorité sur l’ennemi et une victoire rapide.

Le quatrième élément est le règlement de la situation du Nord  Mali
La situation du Nord Mali est une source de préoccupation pour les pays du Sahel. En effet le Nord du Mali est devenu un sanctuaire pour les groupes terroristes et les trafiquants. Une mission des Nations Unies s’évertue à aider à la restauration de la paix au Mali suite aux accords d’Alger entre gouvernement du Mali et les groupes rebelles touareg. Cette mission qui est devenue la plus meurtrière des missions des nations, a montré ses limites par rapport à cet objectif de paix. En effet sans une victoire franche sur les groupes terroristes qui côtoient les groupes rebelles et qui s’entraident, la MINUSMA ne pourra jamais atteindre son objectif. C’est pourquoi les pays du Sahel ont mis en place une force conjointe chargée de la lutte contre le terrorisme et le crime organisé.  Cette force qui a fait l’objet d’une résolution des Nations Unies a besoin d’être financée et soutenue. Il est fondamental que cette force soit rapidement opérationnelle et qu’elle crée le rapport de forces de nature à favoriser la mise en œuvre des accords d’Alger et la réussite de la mission de la MINUSMA.

Et enfin le dernier élément est relatif à la lutte contre l’extrémisme et le radicalisme religieux.
Nos pays doivent s’organiser pour freiner la radicalisation rampante véhiculée par des organisations qui profitent de la démocratie et de la liberté d’association pour endoctriner les jeunes et les femmes dans le but de les radicaliser et de tuer la démocratie. De même il est important de surveiller les autres méthodes de radicalisation notamment celles utilisant les nouvelles technologies de l’information.

Ce sont là, Majesté, Altesses, Excellences, Mesdames et Messieurs les réflexions et observations que m’inspire cet important thème que constitue les  questions de paix et de sécurité en Afrique de l’ouest.

Je vous remercie de votre attention.