Invité Afrique/Mohamed Bazoum: «La plupart des repentis de Boko Haram sont sincères»

Peut-on déradicaliser les combattants de Boko Haram ? Le gouvernement du Niger veut y croire et annonce que les membres nigériens de la secte islamiste ont jusqu’au 31 décembre pour se repentir. Un premier groupe de 160 ex-combattants vient même d’être accueilli dans un « camp de repentis », près de Diffa. Au Niger, Mohamed Bazoum est ministre d’Etat et ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique. Au micro de Christophe Boisbouvier, il s’exprime aussi sur l’embuscade meurtrière du 4 octobre 2017, qui a coûté la vie à quatre Nigériens et quatre Américains.

RFI : Pourquoi ces camps de repentis de Boko Haram ?

Mohamed Bazoum Nous n’en avons qu’un seul, dans la région de Diffa. Nous l’avons conçu à la fin de l’année 2016, lorsqu’il nous semblait avoir perçu des signes indiquant que certains jeunes, qui étaient enrôlés dans les troupes de Boko Haram, pourraient revenir de leur propre chef à condition que nous leur garantissions leur sécurité et leur immunité, on va dire. Et de cette idée, nous avons conçu ce camp. Et nous avons lancé un appel à tous ceux qui seraient prêts à venir intégrer ce camp pour y apprendre des métiers, pour être recyclés en vue d’une autre vie totalement différente de celle qu’ils ont passée dans les rangs de Boko Haram.

Pour l’instant, il n’y a que 163 pensionnaires dans ce camp. Est-ce que ce n’est pas une goutte d’eau ?

Pour les effectifs des jeunes enrôlés dans Boko Haram, ce n’est pas conséquent, mais c’est honorable. Et nous ne nous lassons pas pour qu’ils viennent.

Est-ce que ces premiers « repentis » peuvent appeler d’autres combattants de Boko Haram à les rejoindre ?

Pour cela, il faudrait que notre camp soit bien fonctionnel. Ce qui n’est pas encore le cas malheureusement. Et nous pourrions mettre à leur disposition des téléphones. Pour le moment, nous n’avons pas envisagé ces choses-là comme ça, mais l’idée existe.

Quelle est la sincérité de ces « repentis » ?

Pour la plupart, ils sont sincères. Nombreux parmi eux se sont retrouvés à Boko Haram pour des raisons purement alimentaires tout simplement. Un certain nombre de personnes, un nombre très réduit ont eu un comportement qui indique qu’ils sont manifestement envoyés par Boko Haram pour infiltrer ceux du camp. Ceux-là, nous les avons identifiés et nous les avons neutralisés.

Le 4 octobre, dans la région de Tillabéri à la frontière malienne, quatre soldats du Niger et quatre soldats américains sont morts dans une embuscade tendue par des jihadistes. Est-ce qu’on connait aujourd’hui l’identité des assaillants ?

Non. Nous ne connaissons pas l’identité des assaillants, mais nous savons qu’il s’agit des jeunes qui sont sous la férule de monsieur Abu Walid al-Sahraoui [leader de l’Etat islamique dans le Grand Sahara (EIGS)] qui a des bases dans cette région entre Gao et Tillabéri. Certains agresseurs auxquels nous avons affaire depuis déjà très longtemps sont des résidus du Mujao [Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest] qui se sont retrouvés dans cette zone et qui sont en train de mettre en place une coordination qui va au-delà du réduit dans lequel ils sont.

C’est une organisation chapotée par Iyad ag Ghali, chef jihadiste malien ?

J’imagine que nous sommes dans une mouvance, oui, qui est coiffée par lui très certainement.

Comment une embuscade aussi meurtrière a pu être possible ?

A mon avis, cela est dû au fait qu’elle a eu lieu dans une localité qui était considérée comme sûre. Il y a eu beaucoup d’audace de la part de l’adversaire et son audace a payé en partie.

Cela s’est passé à hauteur du village de Tongo Tongo, à environ 80 kilomètres au nord-ouest d’Ouallam. C’est un endroit où a priori, les jihadistes n’étaient pas présents ?

Voilà, c’est ce que nous considérions en effet. Pour le coup, les éléments, qui étaient plus dans une mission de renseignements qu’autre chose, n’étaient pas très vigilants et n’avaient pas le comportement d’une mission qui pourrait imaginer qu’elle puisse avoir affaire à une telle attaque.

Apparemment, les jihadistes étaient bien préparés. Ils étaient à bord d’une dizaine de véhicules et d’une vingtaine de motos. Est-ce qu’il n’y a pas eu une défaillance dans le renseignement ?

Certainement. Pour nous au Niger, nous considérons que c’est surtout le renseignement humain qui aura fait défaut.

Alors que l’adversaire dispose de ce renseignement humain apparemment ?

C’est une zone où ils ont été en mesure d’être plus présents que nous, pour inspirer la peur et certainement disposer d’éléments à même de leur donner des renseignements très précis.

Est-ce qu’il ne faut pas aussi plus d’appui aérien, demande la presse américaine ?

Possiblement, oui mais les Américains qui sont ici, jusqu’ici du moins, n’avaient pas vocation à agir avec des moyens aériens. Ce qui se prépare dans le cadre de la mise en place de la force du G5-Sahel [Mali, Tchad, Mauritanie, Niger et Burkina Faso] nous semble être la réponse appropriée à la situation que je viens de décrire.

Et est-ce qu’après cet évènement meurtrier, vous ne craignez pas un retrait des forces spéciales américaines ?

Non, je ne pense pas. C’est une mission qui n’était pas une mission militaire classique, il faut le savoir. Tout simplement, ce genre de question ne se pose même pas ni pour les Américains ni pour nous.

Oui, mais enfin les Américains, quatre d’entre eux ont été tués. Est-ce qu’après cet évènement, ils ne risquent pas de vouloir repartir chez eux ?

Ils sont là dans le cadre d’une mission globale qui ne concerne pas que le Niger et qui, a fortiori, ne concerne pas que le nord de Tillabéri ou la zone affectée par le groupe de ce monsieur Sahraoui. Donc, vous voyez, un accident isolé sur un théâtre qui n’est pas forcément le plus important, cela ne peut pas amener à tirer des conséquences extrêmes.

http://www.rfi.fr