Problème d’accès à l’électricité au Niger : à qui la faute ?

L’accès à l’électricité est un droit fondamental, reconnu comme tel par de nombreuses conventions internationales. Il ne s’agit pas uniquement d’un confort moderne, mais d’un besoin vital pour garantir l’accès à l’éducation, à la santé, à l’eau potable, à l’information, et pour stimuler la croissance économique. Pourtant, au Niger, ce droit demeure largement théorique. La réalité sur le terrain montre une situation très alarmante : seuls 20,1% environ des Nigériens ont accès à l’électricité en 2023, selon la Banque Mondiale, un des taux les plus faibles en Afrique subsaharienne, où la moyenne est pourtant déjà peu reluisante (53,26) (voir graphique « Accès à l’électricité »).

Dans les zones rurales, la situation est encore plus critique : moins de 10% de la population y a accès à l’électricité. Ce manque d’énergie entraîne des conséquences directes sur la qualité de vie des citoyens, mais aussi sur la compétitivité des entreprises, la qualité des services publics, la scolarisation des enfants ou encore la sécurité dans les quartiers. Alors, comment expliquer cette contre-performance persistante ? Et surtout, à qui la faute ? L’analyse montre que cette situation résulte d’une responsabilité partagée entre l’État, la Nigelec et les citoyens eux-mêmes. Chacun, à des degrés divers, a contribué à ce marasme.

L’État : le principal responsable

L’État nigérien porte une part majeure de la responsabilité dans la crise de l’accès à l’électricité. Depuis l’indépendance, les politiques publiques mises en place dans ce secteur stratégique ont souvent été marquées par des retards, des improvisations ou encore un manque d’anticipation face aux besoins croissants de la population.

Il est évident que la demande en électricité a connu une croissance exponentielle, liée notamment à l’augmentation démographique du pays (plus de 25 millions d’habitants en 2025, contre environ 12 millions en 2000), à l’urbanisation rapide et aux besoins de plus en plus sophistiqués des ménages, des services publics et du secteur privé. Pourtant, l’offre n’a pas suivi. Les infrastructures sont restées sous-dimensionnées, obsolètes ou mal entretenues, et les investissements massifs nécessaires pour combler l’écart entre l’offre et la demande n’ont pas été faits à temps.

Certes, depuis 2011, certains efforts ont été consentis (voir graphique « Evolution de la puissance installée »). De nouveaux projets de centrales thermiques et solaires ont vu le jour, des partenariats publics-privés ont été initiés, et des réseaux ont été étendus à certaines zones rurales et l’importation en provenance du Nigeria n’a cessé de croitre. Mais ces progrès demeurent très en deçà des attentes et des besoins réels. Pire encore, de nombreuses voix s’interrogent sur les choix opérés en matière de production. Pourquoi continuer à recourir massivement à des centrales thermiques fonctionnant au fioul lourd, un mode de production extrêmement coûteux, peu compétitif et fortement émetteur de gaz à effet de serre, alors même que le Niger bénéficie d’un fort ensoleillement qui pourrait être mieux exploité pour développer l’énergie solaire ? Pourquoi si peu de volonté politique pour développer les énergies renouvelables alors que leur coût est aujourd’hui compétitif ?

À cela s’ajoute une autre défaillance : celle de l’État en tant que client. En effet, l’État est l’un des plus mauvais payeurs du pays. Les arriérés de paiement des administrations publiques envers la Nigelec atteindraient près de 40 milliards de francs CFA. Cette situation pèse lourdement sur la trésorerie de l’entreprise, limite ses capacités d’investissement et compromet ses efforts d’entretien et d’extension du réseau. Un État qui ne paie pas ses factures envoie un signal très négatif, aussi bien aux citoyens qu’aux investisseurs potentiels.

La Nigelec : une gouvernance critiquée

La Société nigérienne d’électricité (Nigelec) est en première ligne dans la fourniture d’énergie au Niger. À ce titre, elle est souvent la cible de critiques, parfois virulentes, de la part des citoyens, des entreprises et même des autorités. Il est vrai que cette entreprise publique peine à remplir sa mission de service public dans des conditions acceptables.

Mais si l’État ne met pas suffisamment de ressources à disposition, la Nigelec n’est pas exempte de reproches. Une meilleure gouvernance, une gestion plus rigoureuse et une utilisation plus efficiente des ressources auraient permis d’obtenir de meilleurs résultats, malgré les contraintes budgétaires. Or, plusieurs rapports de la Cour des Comptes ont mis en lumière une gestion marquée par le clientélisme, la gabegie et une absence de contrôle interne efficace.

Ce dysfonctionnement structurel limite fortement la performance de l’entreprise. Des projets sont mal exécutés ou retardés, les pertes techniques et commerciales sont importantes, les délais de raccordement sont longs, et le service client est souvent médiocre. Pourtant, la Nigelec regorge aussi d’agents compétents et dévoués, en particulier sur le terrain. Ces derniers travaillent parfois dans des conditions extrêmement difficiles, au péril de leur vie, pour réparer des lignes, remettre le courant ou entretenir les installations. Il est donc important de ne pas confondre les dérives managériales avec les efforts méritoires de ces agents de terrain, qui assurent un service essentiel malgré le manque de moyens.

Mais finalement, la Nigelec aurait pu – et dû – mieux faire avec les moyens dont elle disposait. Une gouvernance plus transparente et plus orientée vers la performance aurait permis de limiter les pertes, d’améliorer le rendement du réseau, de réduire les délestages et de renforcer la confiance des usagers.

Les citoyens : entre passivité et manque de civisme

Enfin, les citoyens eux-mêmes ne sont pas totalement en dehors de ce système défaillant. Leur responsabilité, bien que plus diffuse, n’en est pas moins réelle. Elle se situe à deux niveaux principaux : d’une part, en ce qui concerne le civisme fiscal ; d’autre part, sur le plan de la participation citoyenne.

Le civisme fiscal est un pilier du fonctionnement de tout État moderne. Les impôts et taxes payés par les citoyens permettent à l’État de disposer des ressources nécessaires pour investir dans les infrastructures, subventionner certains services de base, et assurer un fonctionnement optimal des institutions. Or, au Niger, l’incivisme fiscal est encore très répandu. Beaucoup de citoyens échappent à l’impôt ou s’y soustraient volontairement. Cette situation prive l’État et ses entreprises publiques, comme la Nigelec, de ressources précieuses. En ne s’acquittant pas de leurs obligations fiscales, les citoyens contribuent indirectement à la fragilité du système électrique.

Par ailleurs, le manque de culture du contrôle citoyen est un autre point faible. Trop souvent, les Nigériens adoptent une posture de résignation face à la mauvaise qualité des services publics. Peu nombreux sont ceux qui demandent des comptes à leurs autorités ou aux responsables des entreprises publiques. Pourtant, le droit de regard sur la gestion des affaires publiques est un droit reconnu à tout citoyen. Il est temps de transformer cette passivité en une vigilance active, pacifique mais ferme, pour exiger plus de transparence, d’efficacité et de responsabilité. Ce changement d’attitude est fondamental pour la construction d’un État plus juste et plus performant.

Des perspectives encourageantes… si la volonté est là

Malgré ce tableau sombre, le secteur de l’électricité au Niger n’est pas condamné à la stagnation. Bien au contraire, il peut connaître des jours meilleurs, à condition que des réformes profondes soient engagées et que les responsabilités soient pleinement assumées par tous les acteurs.

D’abord, l’État doit revoir sa stratégie énergétique. Il faut investir massivement dans les énergies renouvelables, notamment le solaire, dont le potentiel est immense au Niger. Il faut également diversifier les sources d’approvisionnement, réduire la dépendance aux énergies fossiles importées, et adopter une politique tarifaire plus juste et plus incitative. Surtout, l’État doit assainir sa propre situation financière vis-à-vis de la Nigelec et mettre fin à ses retards de paiement.

Ensuite, la Nigelec doit se réformer en profondeur. La priorité doit être donnée à la transparence, à l’efficacité et à la qualité du service. Les recrutements doivent se faire sur la base des compétences, la lutte contre la corruption doit être sans concession, et les investissements doivent être mieux planifiés et exécutés. L’entreprise doit également développer une politique de communication plus proactive avec ses usagers, pour regagner leur confiance.

Enfin, les citoyens doivent faire leur part. En s’acquittant de leurs obligations fiscales, en payant leurs factures, en refusant les branchements illégaux, mais aussi en s’engageant davantage dans la vie publique, en posant des questions, en exigeant des comptes et en proposant des solutions.

En définitive, le problème d’accès à l’électricité au Niger est réel, profond et multiforme. Mais il n’est pas une fatalité. Il résulte d’un enchaînement de responsabilités partagées entre un État déficient, une entreprise publique mal gouvernée, et des citoyens peu engagés. C’est en reconnaissant cette coresponsabilité que des solutions durables peuvent être mises en place. Car seule une mobilisation collective – et déterminée – pourra transformer ce sous-secteur vital en un levier réel de développement pour le Niger. L’avenir énergétique du pays est entre nos mains. À nous d’agir, sans plus attendre.

Ibrahim Adamou Louché

Economiste

@ibrahimlouche