Bazoum Mohamed : Les contours d’un échec

Tous les ressorts ont été mis à contribution pour vendre la cause du Président déchu Bazoum Mohamed, mais visiblement, les résultats ne sont pas au rendez-vous. Rien ne semble avoir marché pour donner à l’ancien Président du Niger, l’image d’icône que ses soutiens veulent donner de lui. L’échec de Mohamed Bazoum tient à beaucoup de paramètres. Des paramètres d’avant le putsch du 26 juillet 2023 qui l’a reversé, alors qu’il pensait tenir en main son affaire.

 La volonté de puissance

L’ancien Président Mohamed Bazoum est un philosophe de carrière dont la personnalité a très fortement été marquée par l’œuvre du philosophe allemand du 19ème siècle, Friedrich Nietzsche. C’est en effet Nietzsche qui a consacré beaucoup de travaux sur ce qu’il a appelé « la volonté de puissance » qui est définie comme une pulsion fondamentale chez l’homme qui cherche l’accroissement de sa puissance. Quand il était enseignant de philosophie dans les lycées à Tahoua, puis à Maradi, il a laissé de forts souvenirs chez ses étudiants sur ses références fréquentes aux théories philosophiques nietzschéennes.

Et plus tard dans sa carrière politique, c’est cette référence qui a continué à le marquer. Bazoum a fait de cette théorie du philosophe allemand la pulsion la plus forte en lui.

Parti de rien pour créer un empire par cette seule volonté de la puissance. Un témoignage clé de Sabo Saidou, son camarade de parti au sein du PNDS en dit long sur le travail de forcing qu’il poursuivait. En 1993, aux premières élections démocratiques du Niger au sortir de la conférence nationale, le dossier Bazoum sur sa candidature à la députation dans son fief de Tesker était sur le point d’être rejeté par la Cour constitutionnelle au motif que le certificat de nationalité introduit n’était pas valide. Bazoum n’était pas nigérien et la plus haute Cour était entrain de rejeter sa candidature.

C’est alors qu’après avoir frappé à différentes portes, le candidat Bazoum avait envisagé de rentrer dans son pays en Libye. Si en tout cas, la Cour constitutionnelle invalidait son dossier. C’est en tout cas le témoignage rapporté par Sabo Saidou, un acteur politique clé de cette époque parce qu’il était le No2 du Haut conseil de la République (HCR) qui était l’organe législateur sous la transition poste conférence nationale. Qu’est-ce qui s’est passé ? Comment a-t-il procédé ? Toujours est-il qu’il n’est pas rentré en Libye. Et, il a été élu député. Évidemment, là aussi, pas parce qu’il a bénéficié du suffrage des militants de sa localité, mais parce que par les dispositions du chevauchement, les votes exprimés d’une région pouvaient être répercutés sur une localité de la même circonscription. Ce qui a permis de sauver le siège de Bazoum à la députation, lors de la première législature du Niger.

Mohamed Bazoum avait-il été un artisan de ce mode de chevauchement ? En tout cas, cela a suffi pour relancer sa carrière politique et son statut de notable de l’échiquier politique. Et cela, en dépit de deux faiblesses: absence d’une nationalité nigérienne véritable et absence d’un charisme politique au sein des électeurs.

 La volonté de puissance sur le terrain syndical

Cette volonté de puissance, c’est sur le terrain syndical qu’elle va surtout fonctionner. Et elle va s’avérer être l’arme par laquelle le disciple de Nietzsche va s’accomplir. Après deux années d’enseignement, il va se retrouver à la tête du seul syndicat des enseignants de l’époque, le SNEN. Et le SNEN devient sa machine. C’est avec le SNEN, parce que les enseignants ont été un peu partout à la tête des structures PNDS que Bazoum en a fait son parti dans le parti.

Et c’est avec le SNEN que les soutiens de Bazoum veulent lui donner la même légitimité qu’Issoufou Mahamadou au sien du parti. Sur toute la ligne, on l’aura vu, Mohamed Bazoum tirer avantage d’une rente quand lui, dans l’effectivité, n’avait aucun poids électoral ou même aucune légalité dans le jeu politique.

Le travestissement du système, le chantage ou la terreur ont toujours été l’arme de Bazoum. C’est par ce chantage ou cette terreur  » je vais rentrer dans mon pays en Libye » qu’il a forcé ses camarades à lui trouver une couverture.

Une candidature au forceps

Alors que les militants PNDS regardaient ailleurs pour un nouveau candidat qui allait succéder à Issoufou Mahamadou, le Président sortant, Bazoum Mohamed a dû user du chantage habituel. Il n’a rien attendu pour prendre le chemin de la campagne avant même que son parti ne procède à l’investir comme candidat. Le candidat pressenti Hassoumi Massaoudou a été étouffé pour imposer la candidature de Bazoum.

 Bazoum ou la rupture avec le PNDS

Sitôt élu, Mohamed Bazoum avait entrepris son jeu favori. Cette pulsion de la volonté de la puissance, ici, n’a pas revêtu les formes de la terreur, puisque désormais, il cumule les pouvoirs entre ses mains. Cette fois, la pulsion va revêtir les formes de la trahison. Bazoum s’attelle à un grand chantier de casse du parti. Il va travailler à essuyer toutes les traces de son prédécesseur.

À travers quelques formules de ruse politique, il essaie de rassurer celui qu’il appelle son ami de 30 ans, le président Issoufou Mahamadou. Mais en vérité, Bazoum ne cherchait qu’à gagner du temps. Et cette volonté de la puissance va à nouveau s’exprimer lorsqu’il entreprend de liquider presque le parti PNDS qui l’a pourtant porté au pouvoir pour mettre en route, une sorte de joinvanture entre de nouvelles recrues et des militants de l’opposition qu’il va lancer à l’assaut des cadres PNDS et de l’ancien Président Issoufou Mahamadou. La marche vers la reconquête du pouvoir à travers un nouvel appareil de parti est déclenchée. Et cela a besoin de beaucoup de finances.

 Le business familial

La volonté de la puissance est ici sous le couvert d’une duplicité bien soignée. Lorsque tout l’entourage familial, proche de Bazoum et de son épouse, s’est lancé en politique, cela n’a pas manqué de faire interroger sur les contours du projet.

Un projet qui se fera jour sur les terres pétrolières d’Agadem. Loin de tous les regards des acteurs de la société civile, les cartels familiaux se partagent les zones d’influence. Les opérations se chiffrent en millions de dollars. Entre les pipelines, la maintenance des installations, les commandes de matériel,  les forages, ce sont des marchés immenses qui sont repartis en offshore à la famille. Les Mabrouk de la famille de l’épouse de Bazoum et les Ben Saad de la famille de Bazoum se partagent des milliards de francs en toute discrétion. Toute la rente pétrolière passe entre les mains d’une poignée de grands oligarques familiaux.

Une sorte de clans trabelsi du Sahel prend les commandes de tout le business autour exclusivement du pétrole. Le pouvoir politique est entrain de basculer entre les mains du clan, quand le putsch est intervenu. Un putsch provoqué, il faut le dire, parce qu’il n’était que l’expression de cette même volonté de puissance.

Quand Bazoum s’est bien assuré le contrôle du pouvoir en même temps qu’il avait dans ses bases arrières une terrible puissance financière en appui, il s’est pris d’une griserie et s’est mis à exprimer exactement cette pulsion. Le mépris sur les nigériens, notamment ceux qui étaient dans son entourage, comme les éléments de la garde présidentielle, l’humiliation qu’il portait sur tous ceux qui voulaient garder une certaine distance vis-à-vis de son empire, tout cela était la manifestation de cette volonté de puissance.

 Bazoum renversé

Lorsqu’il a été renversé, Bazoum n’a pas encore changé par rapport à cette déviance. Il n’a pas changé par rapport à sa vision ou sa perception des nigériens. Grand seigneur, il s’est frappé sous les oripeaux d’une fausse vertu démocratique et a attendu que les nigériens sortent par milliers pour s’immoler dans sa défense.

À la différence de tous les coups d’État au Niger et ailleurs dans le monde, Bazoum ne pouvait pas démissionner. Car cela ne correspondait pas à cette volonté de puissance. Le démocrate droit dans ses bottes, l’homme intègre, le symbole du courage et de la résistance, tout cela était un jeu qui n’avait qu’une seule explication. Cette pulsion travaillée par Friedrich Nietzsche.

Dans cette pulsion suicidaire, Bazoum Mohamed préférait voir le martyr de toute la population du Niger pour continuer à assouvir cette pulsion maladive qui a fait de lui un très bon client de la manœuvre française. Tant que Bazoum continuera à attendre que la population du Niger se mette en route pour le soutenir, la France va toujours penser qu’elle a encore une carte à jouer pour vouloir introduire la sédition, les manifestations et l’enrôlement des complices pour troubler le jeu de la transition. Et cette manipulation, il faut l’attendre, il faut compter avec dans ce contexte des enjeux autour des travaux des futures Assises nationales. La communication de la France et de Bazoum va essayer de brouiller la portée des Assises.

 Ibrahim Elhadji dit Hima

Niger Inter Hebdo  186 du Mardi 18 février 2025