L’ancien militant du Moden FA Lumana et candidat malheureux à la présidence de l’organisation des jeunes Lumana, reconverti acteur de la société civile veut-il aller en conflit ouvert avec les autorités de la transition ? Bana Ibrahim, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a-t-il lu son programme au nom de son ancien parti politique ou au nom du Front patriotique pour la souveraineté (FPS) dont il est un membre éminent du directoire ?
Des questions encore sans réponses. Sur le document de sa vidéo, il est apparu seul devant l’objectif de la caméra, personne autour de lui. Il n’y avait ni un membre du directoire du FPS ni un responsable de son ancien parti. Même si à l’entame de son discours programme, il dit parler en tant qu’acteur de la société civile. En effet, le mercredi 23 octobre dernier, quelques heures avant le décès de Hama Amadou, Autorité morale du Moden FA Lumana, Bana se fendait d’un discours sur la mission de la transition du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP). Un discours qui peut comporter deux failles majeures.
L’altération de la mission du CNSP
« Aucun individu, aucune fraction ne pourra s’arroger le droit de précipiter cette transition pour servir ses propres intérêts et ambitions égoïstes », annonce dans la foulée, l’activiste du Front Patriotique (FPS). Plus loin, il devient plus frontal et plus catégorique, voire menaçant quand il assène un retentissant « Nous refuserons catégoriquement que l’on dicte au peuple nigérien, le rythme d’une transition aussi cruciale ».
Une mise en garde peut-être à l’endroit d’un autre groupe de la société civile, à savoir la Dynamique citoyenne pour une transition réussie (DCTR) qui, à l’occasion de la célébration de son premier anniversaire, le 20 octobre dernier, a renouvelé son soutien total aux autorités de la transition autour de son engagement solennel. Dans sa lancée totale contre la DCTR, une faction de la société rivale, Bana Ibrahim oublie que ce n’est pas la DCTR qui a fixé les priorités de la transition mais plutôt le CNSP. À ce niveau, il y a un risque de collision ou de carambolage avec le patron de la transition qui, dans son discours programme, à précisé clairement la mission de la transition.
Il s’agit de « structurer le nouvel élan de patriotisme qui renaît au Niger (…) à travers un dialogue national inclusif », a affirmé le Général Tiani Abdourahamane dans son discours du 28 juillet 2023. C’est le président de la transition du Niger qui parle, pas un individu ou une fraction. Et le Président du CNSP de préciser les objectifs clairs du dialogue national inclusif visant à « définir les principes fondamentaux devant régir notre transition » ; « définir la période de la transition dont la durée ne saurait aller au delà de 3 ans »; « définir les priorités nationales durant la transition » et « rappeler les valeurs fondamentales devant guider la refondation de la République ».
Voilà ce qui est clairement annoncé dans le discours du Président de la transition, le Général Tiani Abdourahamane. La mission de la transition, l’allusion faite à un dialogue national inclusif, à une durée plafond de la transition, tout cela émane de qui ? D’un individu ou d’une fraction ? Il s’agit bien sûr des propos du patron même de la transition. Refuser ces aspects, c’est aller en croisade contre le CNSP. Tout est explicité dans le discours du président Tiani. Mais visiblement, les acteurs nationaux n’ont pas pris les soins de le lire et d’en tirer tous les enseignements. La position de la transition est encore très claire en faveur de la démocratie. Et cela aussi est bien édicté dans le discours prononcé par le Général Tiani. « Le soutien massif des populations au CNSP au Niger comme chez nos frères maliens, burkinabès et guinéens, entre autres, traduit non pas le désir d’une gouvernance autocratique mais un désir de démocratie véritable porteur de bien être pour tous ». Voilà encore la vision du CNSP au sujet de la démocratie.
Mais en marge de tout cela, ce leader du FPS a manœuvré pour opérer une autre vision de la transition. Il a fait une réinterprétation du discours du Général Tiani. Pourquoi ? Pour un agenda qui n’a absolument rien à voir avec la mission de la transition, agenda dans lequel les activistes voulaient s’investir.
Recours à une fausse légitimité
Comme en 2008 jusqu’en 2010, sous Tandja Mamadou, le débat public replonge dans le jeu de la manipulation du peuple. « Le peuple », « le peuple nigérien », un recours récurrent à ce vocable tout au long de son document vidéo. Sur un ensemble de 6mn50s qu’a duré l’élément vidéo, l’activiste a prononcé 14 fois le mot « peuple ». Le peuple, le peuple, toujours le peuple…. Le peuple a été martelé pratiquement toutes les 30s de son discours. Mais dans le fond, il parle de quel peuple ? Le peuple du CNSP ? Pas évident, car le CNSP a son porte-parole pour annoncer tout nouveau programme aux nigériens. Le peuple de Lumana, la question se pose, même s’il n’y avait aucun officiel Lumana autour de lui. Le peuple de la société civile ? Là non plus, ce n’est pas évident. La société civile est plurielle, une bonne composante ne se reconnaîtra pas dans son discours. Même au sein de son groupe, le FPS, on a l’impression que cette intervention a été un passage en force. Alors, quel est le peuple auquel Bana Ibrahim fait allusion à 14 reprises dans son document ?
En 2010 pourtant, Bana Ibrahim et d’autres acteurs opposés au tazartché ont caricaturé l’emploi, « le recours au peuple » par l’acteur de la société civile Nouhou Arzika qui voulait annoncer que c’est le peuple qui a demandé à Tandja de continuer son mandat, que c’est le peuple qui a réclamé le tazartché de Tandja. Bana et les autres opposants à la prolongation du mandat de Tandja disaient que Nouhou Arzika est un illuminé, qu’il a des visons, que c’est un hérétique…. Que fait Bana aujourd’hui avec le recours au peuple ?
S’il y a pourtant un seul acteur de la société civile pour parler au nom du peuple, c’est bien Nouhou Arzika. Lui, il connait les masses populaires et elles le connaissent. Il n’y a pas un marché où il n’a pas mis pieds, il n’y a pas de vendeur de salade ou de pain ou de poisson, il n’y a pas de vendeuse de beignets ou de commerçant détaillant qui n’a pas été en contact avec Nouhou Arzika qui a circulé dans toutes les localités du Niger. Il n’y a pas un acteur de la société civile qui connait les conditions de vie des nigériens comme Nouhou Arzika. Et pourtant, sous Tandja, il a été disqualifié pour parler au nom du peuple parce qu’il n’a reçu aucun mandat formel dans ce sens. Qu’est-ce Bana pour sa part connait du Niger ? Quel est son niveau de pénétration du Niger ? Quels sont les commerçants et autres détaillants qui ont rencontré Bana Ibrahim ? Quelle condition de vie des nigériens connaît-il ? Bana Ibrahim n’a rien d’un Nouhou Arzika. Il n’y a aucune commune mesure entre Bana et Nouhou Arzika qui n’a jamais été connu pour quelque trafic d’influence ou autres opérations de démarchage dans lequel les nouveaux activistes sont entrain de faire carrière.
Le braquage de la transition
Toute la complexité de ce discours de Bana, c’est sa base de légitimité. De toute évidence, il y a une réelle volonté qui transparaît tout au long de ce discours: avec moins de légitimité que Nouhou Arzika, réaliser les performances que lui. C’est-à-dire parvenir à prendre d’assaut le train du CNSP, le dérailler, puis le détourner pour le conduire sur une autre destination. Toute cette gloriole autour du peuple n’est que de la farce, ce que les Bana préparent, c’est le sacrifice du peuple. La DCTR qui semble être dans sa ligne de mire n’est qu’un prétexte. Ce qu’il a voulu, c’est lancer un message clair à l’endroit du CNSP.
Il n’y a pas encore longtemps, le président du Front patriotique pour la souveraineté a clairement déclaré que « le FPS n’est pas le comité de soutien de personne ». Ce qui signifie en filigrane que le FPS n’est pas dans le soutien du CNSP. Si les organisations de la société civile sont entrain de soutenir le CNSP dans la mission annoncée par la président Tiani, les Bana Ibrahim vont eux afficher une nouvelle ligne d’action dans laquelle ils vont orienter le CNSP. C’est en termes clairs, le message liminaire distillé par Bana. Ils ne sont pas un comité de soutien du CNSP, mais ils seront un comité d’orientation. Toute la subtilité du braquage est là. Maintenant, la grande question, c’est d’où vient cette initiative de Bana ?
Ibrahim Elhadji dit Hima