Migration transfrontalière Niger-Bénin : Un phénomène inquiétant qui compromet la scolarisation des jeunes

Un nombre important de jeunes traverse la frontière entre le Niger et le Bénin pour servir de main d’œuvre dans le pays d’accueil. Ces mouvements migratoires sont favorisés par les parents qui y voient une solution contre la pauvreté. Mais ces déplacements saisonniers sont une véritable entorse au droit à l’éducation des enfants ; ce qui compromet ainsi leur avenir.

Situés dans la partie occidentale du continent africain, le Niger et le Bénin partagent une frontière sur environ deux cent soixante six (266) kilomètres. De la portion suivant le long du fleuve Niger jusqu’au secteur de la rivière Mékrou, les populations vont et viennent depuis la nuit des temps, donnant ainsi naissance à un flux migratoire de plus en plus important. La question de l’âge des migrants se présente comme un simple «détail» sans grande importance. Ce qui, à tout point de vue, est erroné. Les statistiques n’accordent pas trop d’importance à cela, car les données se rapportant à l’âge des migrants font rarement ou jamais cas des migrants n’ayant pas atteint l’âge majeur.

L’absence des données statistiques fiables

Faute des statistiques fiables, le nombre des mineurs migrants n’est jamais connu avec précision. Cette situation qui dure depuis plusieurs décennies mérite une attention particulière. La migration internationale représente en effet un important enjeu aux plans politique, économique et social. Bien gérée, elle peut être profitable au développement des deux Etats. Ainsi, les seules données de référence sont les vieilles études qui datent de plus d’une décennie, commanditées, soit par l’Union Européenne (UE), soit par le programme des Nations Unies pour le développement (PNUD).

Pour le Bénin, c’est «l’Etude sur le profil migratoire du Bénin» de 2009 qui constitue la référence en la matière. Le rapport de cette étude financée par l’Union Européenne à travers le 10ème Fonds européen de développement (FED) fait ressortir que 22,9% des migrants venus des pays du sud à destination du Bénin ont moins de quinze ans. Ce rapport met à nue la tendance du Bénin à devenir un véritable pays d’immigration. Et ce, particulièrement pour les ressortissants des pays membres de la CEDEAO, dont le Niger. En effet, les jeunes nigériens ou transitant par le Niger, traversent quotidiennement et en grand nombre cette frontière par le corridor de Gaya, comme en attestent les témoignages de certains agents de services de la sécurité. Ces services précisent qu’ils ne procèdent guère à un décompte des personnes migrantes. Jeunes âgés de moins de quinze (15) ans pour l’essentiel, ces enfants servent de main-d’œuvre dans leur pays d’accueil. Au Bénin comme au Niger, ils se retrouvent dans des petits métiers comme employés domestiques ou de restaurants, apprentis mécaniciens, dans le secteur de l’agriculture ou petits revendeurs. Particulièrement, ceux en partance pour le Bénin exercent des métiers comme cireurs, petits revendeurs ambulants ou encore gardiens de douches publiques.

Quels sont les mobiles de cette forte migration ?

Dans toute migration, il importe de savoir le mobile de celle-ci. Dans l’ensemble, et comme partout ailleurs, les motifs de déplacement sont multiples et fortement interconnectés. Ils sont à la fois d’ordre économique, démographique, politique, social, culturel et environnemental. Cette première raison semble surclasser les autres dans les cas des mineurs migrants de part et d’autre de la frontière entre le Niger et le Bénin. «L’espoir d’un lendemain meilleur à l’étranger demeure le premier mobile de cet exode», selon M. Issoufou Idrissa, conseiller à la plateforme orientation jeunesse, une ONG spécialisée dans les conseils aux jeunes migrants ou candidats à l’émigration.

Cet avis est partagé par les jeunes migrants qui clament haut et fort vouloir partir pour y réussir. A l’évocation des dangers auxquels ils s’exposent à l’étranger, Ibrahim Ali répond, le sourire aux lèvres : «les risques se trouvent dans toute entreprise et c’est en osant qu’on peut changer sa situation et celle de ses proches». Le mot est lâché, l’on part non seulement pour soi, mais aussi pour ses proches. Ce qui fait dire à M. Issoufou Idrissa de l’ONG orientation jeunesse que «cet exode est soutenu par les parents qui espèrent en tirer des avantages». A l’appui de cette assertion, il évoque l’impossibilité pour un mineur de partir en aventure sans l’aval d’au moins un parent et surtout «les témoignages des jeunes qui viennent à la plateforme». Aussi, le rapport de «l’Etude sur le profil migratoire du Bénin» de 2009 mentionne que : «les flux de migrations des populations du Niger vers le Bénin se sont accrus à la faveur des problèmes économiques du Niger». Donc là, c’est exclusivement soutenu par des raisons purement économiques. L’espoir que les familles fondent sur les jeunes migrants, traduit le peu d’opportunités dont elles disposent pour assurer le minimum vital. Pour M. Mounkaila Seyni, un chef coutumier de Gaya, c’est malgré eux que les parents poussent leurs progénitures vers des lendemains incertains.

Des métiers peu rémunérés dans un cadre de                                                          vie nauséabond

Djafarou fait partie des jeunes migrants qui ont franchi la frontière Niger-Bénin, mais il est revenu au bercail pour s’installer à Gaya où il gère actuellement son commerce. En effet, comme nombre de ses congénères, Djafarou a connu cet exode dont il évoque les souvenirs non sans douleur. «Après neuf mois à garder les douches dans plusieurs quartiers de la ville de Cotonou, je suis devenu un tablier ambulant et je vendais des cigarettes ainsi que de la cola avant de me retrouver, quelques temps après, dans un parc automobile où je lavais les voitures». Ce récit fait certes économie des multiples contraintes sur l’adolescent de seize (16) ans qu’il était. Si ceux qui quittent le Niger pour le Bénin sont en majorité de sexe masculin, il n’est pas toujours de même pour les mineurs à destination du Niger. Si la motivation est majoritairement économique, les mineurs béninois émigrants au Niger sont essentiellement de sexe féminin. Ces jeunes adolescentes sont, pour la plupart, employées dans la restauration, le petit commerce, l’emploi domestique, des secteurs qui emploient d’ailleurs 34,7% des émigrants béninois dans les pays du sud du Sahara. Leur voyage se fait sur proposition des patronnes qui y sont déjà installées. Les «tanties» comme elles se font appeler par leurs recrues, emploient les jeunes filles comme aide-cuisinières dans leur commerce ou parfois les mettent à la disposition de certains ménages pour y faire des travaux domestiques. C’est le sort de Maissa qui affirme avoir séjourné dans cinq (5) foyers depuis son arrivée à Niamey, il y a de cela quatorze (14) mois. La précarité du contrat de travail laisse soupçonner une maltraitance que l’apparence de la jeune adolescente tend à confirmer. Outre les conditions de travail, les milieux de vie de ces jeunes migrants méritent une attention particulière de la part des défenseurs des droits de l’homme, des ONGs et des autorités. De Niamey aux villes béninoises, les jeunes migrants vivent dans des conditions peu enviables. A Niamey, les jeunes filles immigrées vivent regroupées dans des concessions, le plus souvent mal famées. A Cotonou, beaucoup de jeunes immigrés dorment à même le sol aux abords des routes. «Je dormais sur mon lieu de travail, ce qui était une chance énorme, car cela me mettait à l’abri des rafles policières alors que les autres étaient permanemment exposés à la police et aux malfrats à la fois», confie Djafarou, fort de son expérience de quatre ans au Bénin.

Réussir ou périr

Réussir ou périr, c’est la formule qui résume au mieux la situation des mineurs attirés par l’immigration. En effet, il y en a qui arrivent à se construire une vie meilleure, tandis que d’autres sombrent dans la débauche. L’eldorado ne tenant pas ses promesses, le rêve devient cauchemar. Que leur aventure soit couronnée de succès ou soldée par un échec, il reste toujours que cette migration des jeunes a des effets néfastes sur leur scolarité. L’éducation qui doit ouvrir la voie à une formation pour mieux préparer l’avenir est interrompue au profit de l’exode. Ce dernier «est perçu comme une voie, plus rapide que l’école, pour venir en aide aux parents». C’est pourquoi il est plus privilégié. «Il vaut mieux partir immédiatement afin de pouvoir soutenir la famille que de s’accrocher à l’école et vivre dans le dénuement total», ce sont là les tristes constats faits par l’ONG orientation jeunesse. Cette organisation met un accent particulier sur la sensibilisation afin de dissuader les jeunes à abandonner l’école pour l’exode. En effet, selon M. Mounkaila Seyni, c’est «l’ignorance de l’importance de l’éducation et même du droit des enfants à l’éducation qui est à la base de ces agissements incommodants des parents». Certains parents commencent en tout cas à être sensibles aux campagnes de sensibilisation. C’est le cas de M. Adamou Soumaila qui regrette le départ de son fils en exode, alors que ce dernier venait d’être admis à l’entrée en classe de sixième. Il explique que certains promotionnaires de son enfant sont dans des situations très enviables pour tous les jeunes et les familles du village et même ceux des villages environnants. Quant à Djafarou, il insiste aujourd’hui sur la nécessité de l’éducation car, dit-il, «rien que pour apprendre le français que j’ai du apprendre à parler moyennement durant mon exode».

En définitive, la migration des jeunes est une pratique qui a pour conséquence directe, la compromission de l’avenir des jeunes enfants. «Les quelques exemples de réussite ne doivent en aucun cas occulter le nombre impressionnant d’échec», commente M. Issoufou Idrissa. Pour lutter contre ce phénomène, il faut asseoir une bonne politique de formation et aussi, instaurer un contrôle rigoureux du phénomène de la migration juvénile. Cela va du développement socio-économique de nos Etats.

Mahamadou Mourtala Issa