Dr Mor Diaw est coordonnateur Équipe des urgences à l’Organisation Mondiale Santé (OMS) au Niger et responsable de la réponse à l’épidémie de la diphtérie. Dans cette interview, il évoque les causes, les traitements mais aussi les moyens de prévention de la diphtérie. Maladie hautement contagieuse et mortelle, la diphtérie a déjà enregistré au Niger, à la date du 1er janvier au 15 octobre 2023, un total de 2155 cas dont 153 décès, notamment dans la région de Zinder, selon des données de la Direction de la surveillance et de la riposte aux épidémies.
Niger Inter : Qu’est-ce qu’est la diphtérie ?
Dr Mor Diaw : La diphtérie est une maladie infectieuse qui date depuis des siècles et qui était une des causes principales de la mortalité des enfants avant la découverte de son vaccin. C’est une maladie due à une bactérie et cette bactérie produit une substance qu’on appelle toxine. C’est cette dernière qui est responsable de la formation de ce qu’on appelle des membranes au niveau de la gorge et au niveau des amygdales. Elle est également responsable de difficultés respiratoires que la personne peut avoir, ou bien des difficultés de manger. C’est pourquoi la diphtérie peut entraîner des conséquences plus graves.
Niger Inter : Quelles sont les causes de la diphtérie ?
Dr Mor Diaw : C’est surtout une bactérie qu’on appelle Corynebacterium diphtheriae qui est responsable de cette infection et qui survient dans des situations parfois d’insécurité, d’insalubrité et dans des situations de promiscuité. Quand on revient au niveau de la contamination, c’est vraiment à ce niveau qu’on sent qu’il y a des difficultés liées effectivement à l’éclosion de cette maladie dans les communautés fermées.
Niger Inter : Parlez-nous alors des signes de cette maladie
Dr Mor Diaw : Comme je l’ai dit tantôt, c’est une maladie infectieuse. Quand on parle d’infection, les premiers signes d’une infection sont d’abord la fièvre qui existe toujours, puis les maux de tête en permanence. mais sa la spécificité est qu’elle se développe 2 à 5 jours après la contamination, ce qu’on appelle la période d’incubation et ces signes apparaissent, mais les plus parlants, c’est bien sûr cette forme d’angine que les gens peuvent avoir, liée effectivement à la production de fausse membrane qui se met au niveau de la gorge, au niveau des amygdales et qui entraîne effectivement de difficultés pour manger et pour respirer. Le danger qui puisse survenir au-delà de cette fausse membrane, est le fait que cette substance qu’on appelle toxine peut aussi rentrer dans le sang. Lorsqu’elle rentre, cela peut être responsable de complications au niveau du cœur. On peut avoir alors une insuffisance cardiaque, responsable aussi de problème au niveau des nerfs avec des paralysies qui peuvent survenir. Elle peut également être responsable des problèmes au niveau des reins, à l’origine d’insuffisance rénale. Parfois, on a cette forme de diphtérie qui est surtout respiratoire, mais on peut aussi avoir la forme qui se manifeste par des plaies au niveau de la peau, au niveau des jambes. Il faut surtout savoir que c’est une maladie qui est mortelle. On a presque 5 à 10% de personnes qui peuvent mourir à la suite d’une diphtérie, même avec les traitements.
Niger Inter : Est-ce que la diphtérie est une maladie contagieuse ?
Dr Mor Diaw : Oui, la diphtérie est une maladie contagieuse. on peut être contaminé par des gouttelettes de salive, par un contact direct avec la personne malade ou bien par une personne asymptomatique. C’est pourquoi, elle prospère beaucoup dans des zones de promiscuité, quand il y a beaucoup de monde dans un seul endroit et qu’il y a un malade. Ce dernier peut facilement contaminer les autres. Il y a les conditions d’hygiène aussi, surtout quand les gens ne se lavent pas correctement les mains, quand ils ont des problèmes d’avoir de l’eau potable. ils peuvent ainsi se contaminer de cette manière. Donc, il est important déjà dans les stratégies de prévention, de penser effectivement à ce mode de transmission, pour rompre cette chaîne de contamination.
Niger Inter : Est-ce qu’il existe un traitement contre la diphtérie ?
Dr Mor Diaw : Oui il existe un traitement. Et c’est cela l’avantage.
Le traitement, c’est d’abord un sérum antitoxine qu’il faudrait donner et qu’on appelle DAT. C’est un sérum obligatoire qu’on peut associer à des antibiotiques. Il y a 2 types d’antibiotiques qui sont efficaces et qu’on peut facilement trouver sur le marché. C’est l’amoxicilline que tout le monde connaît et aussi d’autres formes qu’on appelle les macrolides, genre l’érythromycine. Tous ces médicaments disponibles. Mais il faut savoir quelles sont les formes graves et trouver toujours des médicaments sous forme injectable qui sont plus efficaces, pour compléter le sérum antitoxine qui est fondamentale dans le traitement.
C’est le traitement curatif, mais l’avantage qu’on a, c’est qu’on peut faire la prévention de cette maladie avec la vaccination. C’est inclue dans le PEV: Programme Élargi de Vaccination et vous savez que dans tous nos pays, les enfants peuvent bénéficier au moins de 3 vaccins qu’ils peuvent prendre à 6 semaines, à 10 semaines et à 14 semaines. Ce sont des combinaisons de vaccins où l’on trouve le vaccin de la diphtérie. Si on a une bonne couverture vaccinale dans le pays, on peut penser qu’on ne ferait pas beaucoup de diphtérie, mais s’il y a beaucoup de cas de diphtérie dans une zone, il faut penser qu’il n’y a pas une bonne couverture vaccinale. Donc, c’est comme ça que l’on parvient à surveiller la couverture vaccinale dans nos pays.
Niger Inter : La diphtérie est-elle une maladie guérissable ?
Dr Mor Diaw : La diphtérie est guérissable si elle est dépistée à temps et que la personne puisse aller à temps dans les structures de santé. C’est extrêmement important parce qu’il peut y avoir des formes graves pour lesquelles même si vous avez les médicaments, il y a des possibilités de complication qui peuvent conduire à la mort. Donc, mieux vaut prévenir que guérir. Vaccinons-nous et vaccinons nos enfants pour ne pas attraper cette maladie.
Niger Inter : Comment faciliter alors l’accès au vaccin dans les pays à faible revenu ?
Dr Mor Diaw : L’avantage de tous ces pays à faible revenu comme le Niger et nos autres pays, c’est le fait que la plupart des temps, les États ont signé des conventions qu’on appelle l’Initiative d’indépendance vaccinale qui permet à ces pays d’acquérir des vaccins à des prix pas trop cher, pour assurer la vaccination de la cible PEV, le Programme Élargi de vaccination chez les enfants de 0 à 24 mois. Et dans ce cadre, la vaccination est gratuite pour la population. L’accès doit être facile. Ces 3 doses que les enfants doivent prendre au moins permet d’avoir une immunité. C’est vrai que dans les pays plus développés, ils parviennent à trouver des vaccins de rappel pour booster l’immunité contre ces maladies, en permettant à un certain âge, entre 10 ans à 20 ans, de prendre d’autres vaccins antidiphtériques.
Cela est intéressant, mais il faut savoir que le PUV est le programme qui marche en principe le mieux dans tous nos pays. Chaque structure de santé au niveau du Niger fait de la vaccination. Dans chaque structure, le pays fait des efforts pour mettre à la disposition de tout le monde, de toutes les structures, assez de vaccins qu’on appelle Pentavalent. C’est donc dans le Pentavalent qu’on trouve le vaccin antidiphtérique. Les enfants peuvent en bénéficier si l’accès est facile et on permet aux structures de santé de développer des stratégies pour améliorer l’accès des populations, soit elles les attendent au niveau des structures, ou bien elles font ce qu’on appelle des stratégies avancées pour aller pas loin ou bien faire des ratissages chaque mois pour améliorer effectivement l’accès. Si les enfants bénéficient de ces vaccinations, nous pensons qu’il n’y aura pas ces épidémies dans le pays.
Niger Inter : En matière de lutte contre la diphtérie, quel est le niveau d’engagement de l’OMS aux côtés des États africains, en particulier le Niger ?
Dr Mor Diaw : Particulièrement, il faut savoir qu’au niveau de la région Afro, actuellement, on a 3 foyers d’épidémie de diphtérie. Il y a le Niger qui a cette épidémie, il y a le Nigéria et la Guinée. Dans ce cadre, l’OMS aide beaucoup les pays dans le renforcement de la coordination de la réponse, dans l’identification et le dépistage des cas, dans la mobilisation des antibiotiques, parce que l’OMS a une stratégie pour classer les urgences de santé publique et on a vu que cette épidémie a été classée au grade 2 au niveau de l’OMS. Ce qui signifie qu’il y a des mesures à prendre par rapport à ce grade. Ce qui permet de mobiliser des ressources auprès d’autres partenaires et de pouvoir aider le pays dans la stratégie pour améliorer la coordination, renforcer la surveillance épidémiologique, améliorer la surveillance à base communautaire, et c’est la vaccination. On est en train de préparer actuellement une riposte vaccinale spécifiquement dans la région de Zinder. Nos partenaires comme l’UNICEF appuient le pays en vaccins. L’OMS appuie pour les coûts opérationnels et nous espérons, au plus tard, avant la fin du mois de Novembre que cette campagne de riposte vaccinale, qui est extrêmement très importante, nous permettre de rompre la chaîne de transmission de cette maladie.
L’appui continue parce qu’au niveau du bureau OMS, nous avons mis en place un Système de Gestion de l’incident où l’épidémie constitue actuellement la priorité. Donc, tous les autres collègues ralentissent leurs activités qu’ils sont en train de mener pour mettre l’accent sur cette épidémie pouvoir y répondre.
Actuellement, on a une équipe qui est au niveau de la Direction de la surveillance pour aider effectivement à améliorer tous les documents qui doivent être produits pour renforcer la riposte. Notre apport est constant et nous coordonnons aussi l’apport des autres partenaires qui sont là au Niger. On a ce qu’on appelle le Cluster santé qui permet de partager les informations avec les autres ONG, avec les autres agences des Nations Unies, avec les partenaires bilatéraux, pour partager avec eux les besoins du pays. Sur cette base, nous favorisons un peu le Fund Rising, la mobilisation des ressources pour les permettre effectivement de prendre.
Nous pensons qu’avec tous ces efforts effectués par l’OMS et les autres partenaires, pouvoir circonscrire rapidement cette épidémie, parce qu’il y a d’autres épidémies qui seront là et pour lesquelles il faudrait davantage mobiliser. L’OMS fait un travail sur cette base et sollicite beaucoup de partenaires comme l’USAID, comme l’Union Européenne pour avoir des ressources financières en vue d’appuyer le pays.
Niger Inter : Quelles sont vos perspectives pour les années à venir ?
Dr Mor Diaw : Les perspectives pour les années à venir, c’est faire l’effort de renforcer la vaccination, optimiser les couvertures vaccinales et rechercher les enfants pour les vacciner au niveau de tous les aires du pays et renforcer davantage la surveillance épidémiologique.
L’OMS dispose de ce qu’on appelle des stratégies, des initiatives qui sont en train d’être mises en place pour préparer davantage les pays à pouvoir réfléchir sur l’élaboration de plan de préparation aux épidémies et améliorer la surveillance en renforçant les laboratoires au niveau des pays. C’est ce qu’on appelle actuellement l’Initiative TASS. Cela permet de renforcer les laboratoires, la surveillance au niveau du terrain, d’utiliser les nouvelles innovations comme les nouveaux outils, les nouvelles technologies pour favoriser la surveillance électronique. Il faut que les gens sachent qu’avec les téléphones portables, on parvient effectivement à partager les informations pour qu’on sache évidemment ce qui peut se faire. Et l’autre chose, c’est comment renforcer la force de réponse des pays, à travers un projet de renforcement de la réponse, dénommé SURGE. On a pu former quand même une équipe d’experts du pays venant de secteurs différents qui sont des fonctionnaires et qui ont pu déjà, dans le cadre de cette épidémie, faire trois missions d’investigation et de réponse avec le financement et la formation de l’OMS et nous voulons que ces initiatives continuent. On a un plan au niveau de l’OMS qui peut aller jusqu’en 2030 et nous espérons mobiliser assez de ressources pour continuer à appuyer le pays, dans la préparation, dans la surveillance et dans la réponse aux différentes épidémies et aux urgences de santé publique.
Niger Inter : Quels sont vos conseils à l’endroit de la population nigérienne ?
Dr Mor Diaw : C’est surtout de ne pas croire à ce que les gens disent dans les réseaux sociaux, parce qu’il y a beaucoup de messages qui sont diffusés et qui sont de fausses nouvelles sur la diphtérie. il est important qu’on puisse chercher le bon message auprès de la personne adéquate. C’est le technicien de santé, c’est l’État qui sont là, en priorité pour protéger effectivement les populations. Méfions-nous des réseaux sociaux, cherchons la bonne information et suivons les conseils qui sont donnés par nos collègues du ministère de la santé, par nos collègues du terrain et adhérons effectivement à toutes les actions de santé qui sont mises au profit des populations. Que ce soit la vaccination, que ce soit la sensibilisation que nous faisons, c’est vraiment les maîtres mots qui vont nous permettre de vaincre les épidémies dans ce pays.
Interview réalisée par Koami Agbetiafa