L’ancien président nigérien, Issoufou Mahamadou, a quitté ses fonctions, il y a déjà un peu plus de deux ans. Mais le moins que l’on puisse retenir est qu’il ne cesse encore de susciter des vagues de passions. Ceci est d’autant plus vrai dans les rangs de ses admirateurs que dans ceux de ses détracteurs. Dans une large mesure, nous nous retrouvons à une nuance près, dans une configuration du type de celle décrite par l’écrivain guinéen Ibrahima Baba Kaké dans son livre « Sékou Touré : le héros et le tyran ». L’écrivain guinéen disait que Sékou Touré étant lui-même un homme de passion, suscite la même passion dans la manière dont il est vu, tant par ses admirateurs que par ses adversaires. La conviction avec laquelle ses admirateurs voient le héro est la même avec laquelle ses adversaires voient le tyran.
Issoufou Mahamadou, l’artisan de la liberté
La nuance chez le président Issoufou Mahamadou est qu’en lieu et place du tyran, c’est le démocrate implacable que des adversaires désormais amorphes croient encore pouvoir vouer aux gémonies. Issoufou Mahamadou, disons-le haut et fort, fut le premier président qui, de mémoire de nigérien, avait permis à la toile de vibrer, à visage découvert, depuis les analystes chevronnés jusqu’aux plus petits détaillants des idées. Les langues s’étaient déchaînées, sans le moindre besoin de prendre la température de son environnement. Le démocrate dans l’âme était resté invariablement le même. De la liberté d’expression, les citoyens en avaient tellement usé et même abusé, à en croire une institution spécialisée à l’époque.
Le panafricaniste face aux populistes
Le président Issoufou Mahamadou n’avait pas seulement été le démocrate, qualité qui ressort dans ses rapports avec ses concitoyens. Mieux, il avait été le vrai panafricaniste car ses engagements pour l’Afrique, ils les a exhibés non seulement étant en fonction, mais surtout jouissant d’une parfaite légitimité. La nuance est importante, surtout dans le contexte africain de ces dernières années où la plupart des dirigeants ou des politiciens qui se couvrent du manteau du panafricanisme le font dans un contexte de manque de légitimité ou sur fond de projet devant leur ouvrir le boulevard pour s’incruster au pouvoir.
D’autres aussi le font seulement étant opposants. Pour ceux-là, le panafricanisme, l’anti-impérialisme ne sont que remparts de circonstance pour berner des peuples qu’ils savent pétris du besoin de liberté. Ils ne sont en fait que la peau de l’hyène dont il faut se vêtir pour dévorer la chèvre.
Le président Issoufou Mahamadou fit preuve d’une attention assez bienveillante vis-à-vis d’abord de ses voisins. Au moment où les pays de l’OTAN s’engageaient à attaquer la Libye voisine, il était l’un des rares, sinon le seul, dirigeants africains à s’opposer publiquement à ce projet. L’on se souvient encore de sa prédication que « cela entraînerait une somalisation de notre espace sous-régional ». Bien sûr qu’il n’avait pas été écouté car, il venait juste d’accéder au pouvoir et qu’à l’époque, le Niger n’avait pas cette aura sur l’échiquier politique mondial qui puisse amener les « grands » de ce monde à avoir une oreille attentive pour un nouveau président nigérien. Issoufou Mahamadou était aussi resté constant en demandant aux dirigeants de l’OTAN d’assurer le service après vente, lorsqu’ils avaient fait de la Libye ce qu’ils voulaient.
Il était aussi le seul dirigeant étranger à avoir publiquement remis en cause le statut de Kidal au Mali voisin qu’il considérait comme un sanctuaire des terroristes. Lors de sa visite d’amitié et de travail à Bamako, le 7 septembre 2019, au centre de laquelle étaient inscrites les questions de sécurité commune et de coopération militaire dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, Issoufou Mahamadou n’avait pas manqué de revenir sur cette question qui était déjà une épine dans le pied du président malien de l’époque, Ibrahim Boubacar Keita.
Le plus curieux est que ses adversaires dont l’énergie passionnelle ne se résumait qu’à s’opposer à lui, envers et contre tout, les mêmes qui se disent aujourd’hui amis du Mali et panafricanistes, disaient sous tous les toits que le président Issoufou se mêlait de ce qui ne le regardait pas quand il fustigeait ce statut de Kidal. Pour eux, Kidal pouvait se détacher du Mali, c’est l’Afrique qui prospérerait. Pire, ils avaient même applaudit une déclaration belliqueuse et une parade des séparatistes kidalois où ces derniers mettaient en garde contre toute volonté de remettre en cause leur projet.
Les mêmes opposants se comportaient de la même manière lorsque le président Issoufou Mahamadou condamnait les exactions de Boko Haram au Nigéria voisin. Pour eux, le profil bas serait meilleur pour ne pas s’attirer des ennuis pour un pays voisin. Entre temps, le Nigéria aussi pouvait se désagréger sans que cela n’enfreigne aux sentiments panafricanistes de notre temps.
Le prix Mo Ibrahim : une distinction qui fâche
Le Niger et son peuple sont honorés à travers le prestigieux prix que la Fondation Mo Ibrahim, remporté par l’ancien président Issoufou Mahamadou. Le prix annoncé depuis 2021 et qui récompense son leadership exemplaire et le coup de pouce décisif qu’il a donné à la démocratie africaine en se faisant succéder par un président démocratiquement élu et à terme, vient de lui être décerné à Nairobi au Kenya, lors d’une cérémonie qui brise les reins de ses détracteurs. Ceux-ci, comme à leur habitude n’ont trouvé mieux que de créer des subterfuges, croyant pouvoir salir l’honneur d’un homme à l’ascension irrésistible.
Ce n’est que peine perdue. L’Afrique quant à elle célèbre un illustre fils qui a su montrer la voie pour la stabilité politique, une denrée encore à conquérir pour le continent noir. Issoufou Mahamadou vient d’inscrire son nom au Panthéon de la gloire, à la satisfaction de l’élite africaine qui croie à la démocratie comme source de paix et de progrès pour les peuples.
Asmane Saadou
Niger Inter Hebdo N°108 du mardi 2 Mai 2023