Le samedi 19 février 2022, une table ronde s’est déroulée à l’espace Frantz Fanon de l’Association Alternative espaces citoyens (AEC) sur le thème : « coups d’Etat en Afrique de l’Ouest : enjeux et défis ». Trois panélistes ont animé ce débat à savoir : Abdoul Karim Saidou, agrégé en science politique, Université de Ouaga, Issoufou Bayard, sociologue et Moussa Tchangari, Secrétaire Général d’Alternative espaces citoyens. Cette conférence s’inscrit dans la droite ligne d’Alternative espaces citoyens de discuter les préoccupations et questions brulantes d’actualité dans le but d’éclairer la lanterne des citoyens.
A travers son intervention, le politologue Abdoul Karim Saidou a dit qu’ une des raisons qui justifient les coups d’Etat c’est parce que ‘’l’exercice du pouvoir ne se fait pas selon les règles de l’art’’ avec pour corollaire la tendance à ‘’l’autocratisation’’, ‘’les régimes hybrides’’ caractérisés par des tares comme la mal gouvernance, la corruption et ‘’le caractère patrimonial de l’Etat en Afrique’’. A en croire, Abdoul Karim Saidou au manque de légitimité de certains régimes en Afrique de l’Ouest s’ajoute également l’affaiblissement de la CEDEAO. Ce déficit de leadership de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest s’explique par la célébration des anciens putschistes à travers des promotions notamment lorsque ceux-ci quittent le pouvoir en organisant des élections ; le manque de normes contraignantes, ce qui fait que le putsch est toléré et il suffit que la junte au pouvoir propose un chronogramme des élections pour qu’on s’en accommode.
Dans ce contexte, le politologue observe une sorte de ‘’retour de l’idéologie militariste’’ où l’on considère comme dans les années 1980 que les civils, les partis politiques c’est la pagaille et la corruption. Ce qui fait dire les militaires que l’armée a pris toutes ses responsabilités, chaque fois qu’ils procèdent à une rupture démocratique. ‘’Mais qui a investi l’armée de ces responsabilités’’, se demande le politologue. Pour lui, le coup d’Etat est de nature à fragiliser l’appareil militaire et sa cohésion en ce sens que le plus souvent on perd une partie de la crème de l’armée. En effet, explique Dr Adoul Karim Saidou, après un putsch, les auteurs ont tendance à mettre de côté une partie d’officiers et après la transition, le plus souvent les putschistes sont éloignés de l’armée. Et dans le contexte d’insécurité, ce serait un facteur aggravant que le fait de priver l’armée de certains de ses éléments compétents et valeureux.
Les coups d’Etat sont inhérents aux sociétés humaines
Pour sa part, Dr Issoufou Bayard considère que ‘’les coups d’Etat sont inhérents aux sociétés humaines’’. Il a rappelé l’existence du phénomène dans les sociétés antiques. Dans le sillage du politologue A. Saidou, Issoufou Bayard pense également que le coup d’Etat intervient ‘’lorsque la société ne fonctionne pas bien’’. Et le sociologue d’ajouter : « lorsque vous faites un barrage à un cours d’eau, il finira par se frayer un chemin », une façon de dire que les choses se passent ainsi quand il y a un dysfonctionnement dans la société. Issoufou Bayard se demande d’ailleurs pourquoi ‘’ce sont les Etats fragiles qui reproduisent les coups d’Etat ?’’ Après avoir mis en exergue que les coup d’Etat sont provoqués par des causes endogènes et exogènes, le sociologue a dit qu’il importe de se demander chaque fois quelle est la motivation des acteurs ? Quels sont les facteurs qui ont déterminé le coup d’Etat dans un pays ? Mais selon le sociologue I. Bayard, il se trouve que chaque fois en cas de tensions c’est l’armée qui s’accapare du pouvoir dans la mesure où elle constitue la force la mieux organisée à la différence des partis politiques et la société civile qui sont souvent en proie à des querelles de leadership.
Le coup d’Etat militaire disqualifié dans l’optique progressiste
Quant à Moussa Tchangari, en s’inspirant de l’expérience des mouvements progressistes et révolutionnaires, le coup d’Etat militaire n’est pas la voie du changement qualitatif pour le plus grand nombre. Le changement passe nécessairement par la révolution. C’est du moins la lecture des forces progressistes qui ont une claire conscience de la force qui pourrait ‘’piloter la Révolution’’ à savoir ‘’la voie insurrectionnelle où le peuple se soulève’’ pour prendre le pouvoir sous la direction d’un parti d’avant-garde. C’est l’optique de la révolution prolétarienne prônée par Karl Marx et Lénine. Dans cette dynamique, selon Tchangari, l’armée serait ‘’le dernier rempart de l’ordre bourgeois’’. Il a évoqué les exemples de la Commune de Paris, la révolution bolchevique ou celle du Cuba que ‘’Che Guevara a tenté d’exporter, sans succès, vers le Congo puis la Bolivie’’. Selon Tchangari la révolution au sens marxiste suppose : les conditions objectives et une organisation révolutionnaire d’avant-garde (condition subjective). Dans cet ordre d’idée, les coups d’Etat sont mal vus, ‘’le coup d’Etat est d’office disqualifié’’, dira Moussa Tchangari. Et il rappelle que même quand Sankara a perpétré son coup d’Etat au Burkina Faso, les forces progressistes ne l’ont pas cautionné même si par ailleurs il a tenté de rallier ces forces pour continuer la révolution. Et pour Tchangari les forces progressistes n’ont jamais pensé ‘’qu’on installerait une démocratie bourgeoise et que tout est fini’’.
Par rapport à la question d’insécurité, Tchangari a martelé : « Penser que les militaires pourraient régler le problème d’insécurité, c’est oublier que les militaires font partie du problème et non de la solution ». Et pour lui, ‘’nos armées ont toujours été des armées néocoloniales qui n’ont jamais été décolonisées’’. C’est pourquoi ces armées regorgent des ‘’criminels en puissance’’, dira Tchangari en paraphrasant Thomas Sankara lorsqu’il dit : « sans formation politique patriotique, un militaire n’est qu’un criminel en puissance ». Et Tchangari a mis en évidence la différence de nos armées actuelles avec les armées d’Algérie et du Soudan. Il a surtout insisté sur l’armée algérienne qui fut une armée de libération avec un sens patriotique indéniable.
Répondant à une question, le politologue Abdoul Karim Saidou parle déjà de désillusion au Burkina Faso. A l’épreuve des faits, la situation sécuritaire reste et demeure au moment où la junte est à la recherche du soutien populaire pour mieux contrôler le pouvoir d’Etat. Et dans ce cas, qui va faire la guerre à la place des militaires, se demande le politologue A. Saidou. « La démocratie a toujours connue une construction avec des flux et reflux mais c’est un processus qui semble inexorable », a-t-il observé.
Le sociologue Issoufou Bayard pose la grave question : « Pourquoi on ne mettrait pas en cause ces élections qui aboutissent toujours aux coups d’Etat ? » Selon Iui, il faut dépasser le triptyque : élections-coup d’Etat-transition. Et à son sens, cela n’est possible qu’en mettant fin aux inégalités, à la mal gouvernance et bien d’autres tares de nos sociétés. Il faut par conséquent libérer les contre-pouvoirs, relancer la justice et les instruments de la médiation des conflits, a renseigné Ie sociologue Issoufou Bayard.
Elh. M. Souleymane