Instabilité dans l’espace CEDEAO : La stabilité politique, condition nécessaire à la stabilité macroéconomique

 

 

Pour se développer et offrir de meilleures perspectives à sa population, un pays a besoin indubitablement, entre autres, de la stabilité politique. De nombreuses analyses sur la relation entre la stabilité politique et les performances en matière de croissance mettent, en effet, en avant l’existence d’un gouvernement stable comme condition nécessaire d’une croissance soutenue à long terme.

 A contrario, l’absence de pouvoir solide, doté d’une stratégie de réformes à long terme, pourrait expliquer la persistance des difficultés économiques d’un pays. Car, pour mettre en œuvre des réformes structurelles, le pays a besoin d’un gouvernement stable s’appuyant sur une majorité parlementaire homogène. (Brunetti 1997). L’argumentation s’appuie sur la séquence suivante ; la stabilité politique est une condition nécessaire de la stabilité macroéconomique et cette dernière permet d’exploiter pleinement le potentiel de croissance à long terme. A titre d’exemple, si le Niger a réalisé de bonnes performances économiques pendant la période 2011-2019, c’est en partie grâce à la stabilité politique dont il jouissait.  La stabilité politique et économique reste donc primordiale, si un pays souhaite mettre davantage en valeur son potentiel pouvant être très riche.

Mais, visiblement, cette stabilité politique, bien qu’elle peut être le socle de la prospérité économique d’une nation, semble de loin être une source de préoccupation pour certains militaires dans quelques pays membres de la CEDEAO (Guinée, Mali, Burkina Faso, sans oublier la Guinée Bissau, pays où la tentative de coup d’Etat a heureusement été avortée grâce à la promptitude de l’armée républicaine).

Une curieuse résurgence de coup d’Etat  

Dans les années 90, de nombreux pays de la région ont opté pour la démocratie, rompant ainsi avec les systèmes en vigueur à l’époque, caractérisés notamment par des régimes essentiellement militaires, voire de la dictature. Autrement dit, des systèmes où la liberté, entre autres, des citoyens était en souffrance car faisant l’objet d’importantes restrictions.  Dans ces conditions, le choix de la démocratie semblait évident.

En guise de rappel, une démocratie est un régime gouvernemental où une majorité de citoyens peut participer aux décisions politiques. Le mot « démocratie » découle de deux mots du grec ancien : demos (« le peuple ») et kratos (« force » ou « pouvoir »). De nombreux régimes politiques différents se qualifient de démocraties.

La forme de démocratie la plus courante est la démocratie représentative, où les citoyens élisent des dirigeants qui les représentent dans assemblées nationales, l’exécutif et qui prennent des décisions en leur nom. Les citoyens peuvent également se présenter comme candidats ou comme représentants. Dans les pays démocratiques, les gens ont des droits et libertés protégés, comme la liberté de parole et de religion, la liberté d’association et le droit de participer à des élections libres et équitables.

Malgré ce choix de « raison » comme mode de dévolution de pouvoir, on assiste à une résurgence des coups d’Etat dans la sous-région. Une situation qui serait imputable, selon leurs auteurs, essentiellement à la « mal gouvernance ». Pour autant, ce motif aussi important soit-il, ne peut justifier le putsch ! « Penser que les contradictions politiques ou l’inefficacité des politiques publiques doivent trouver leurs solutions dans la prise illégale du pouvoir est une hérésie », selon Maître Bachir. Pire, les coups d’Etat, lorsqu’ils interviennent, sont loin d’être la « bonne » réponse à la supposée « mal gouvernance » et rajoutent de l’incertitude à des pays déjà en proie à des crises multiformes. Au-delà du recul démocratique que les coups d’Etat représentent, l’absence de véritable projet de gouvernance et de société des putschistes fait souvent plonger davantage les pays concernés dans un avenir politique et économique incertain. L’incertitude, qui en découle, pourrait malheureusement avoir un coût astronomique sur l’économie de ces pays.

Le potentiel coût économique d’un Coup d’Etat

Les fermetures de frontières décrétées dans la foulée de la prise de pouvoir par les putschistes permettent d’en prendre la mesure, de surcroît dans des économies où le poids du secteur informel reste considérable. Certes les coups d’Etat n’ont pas un impact significatif sur le bien-être des populations dans le court-terme, ce qui pourrait expliquer le soutien, voire l’adhésion d’une frange importante de la population aux putschistes. Cependant, c’est sur le moyen et long terme que les complications peuvent se manifester, et notamment en termes de développement économique que la stabilité politique, évoquée ci-dessus, permettrait d’atteindre.

Les coups peuvent en effet constituer un frein au développement économique. A titre d’illustration, de nombreux projets de développement portés par le gouvernement légitime peuvent s’interrompre brusquement à cause de la prise illégale du pouvoir par les militaires. Et dans des pays du Sahel où la continuité de l’action gouvernementale fait souvent défaut, le coup se traduit par la non-exécution, entre autres, des investissements prévus dans les secteurs clés à l’image de l’éducation, la santé, etc., faute de pouvoir mobiliser les ressources nécessaires pour les financer.  Des investissements pourtant cruciaux pour mieux répondre aux aspirations de la population. Ce qui peut avoir, entre autres, comme conséquence la stagnation du niveau de vie, voire une accélération de la paupérisation de la population. Mais aussi accentuer, à terme, le creusement de retard du pays, dont l’ordre constitutionnel est mis à mal, par rapport aux autres pays.

Le Mali, un cas d’école

Déjà confronté à des défis politiques et sécuritaires majeurs depuis 2012, le pays est en proie à une instabilité accrue depuis que le colonel Assimi Goïta, a forcé l’ancien président, Ibrahim Boubacar Keïta, à démissionner en août 2020. En mai 2021, Goïta devient président de transition après un second coup d’Etat, qui pousse à la démission son prédécesseur, Bah N’Daw, et le premier ministre Moctar Ouane. Ce nouveau bouleversement fut unanimement condamné par la communauté internationale. La CEDEAO et l’Union africaine ont, en conséquence, suspendu le Mali de leurs instances, demandant la tenue des élections d’ici février 2022. Cependant, les autorités maliennes ont notifié à la CEDEAO qu’elles ne seraient pas en mesure de les organiser dans les temps et ont évoqué un report pouvant aller jusqu’à cinq ans. Cette annonce a engendré l’adoption de sanctions économiques par la CEDEAO et l’UEMOA le 9 janvier 2022, comprenant la mise en place d’un embargo commercial et financier, ainsi que la fermeture des frontières (Coface, 2022).

Enclavé géographiquement, très dépendant de l’aide internationale et ayant un environnement des affaires mauvais, le Mali est aujourd’hui au bord d’un gouffre financier selon l’agence de notation américaine « Moody’s ». « Dans une évaluation publiée ce 4 février par Moody’s, le Mali a subi en effet une dégradation de sa note à long terme (en devise et en monnaie locale) qui passe de Caa1 à Caa2, là aussi dans la catégorie hautement spéculative (…). Autrement dit, pour un investisseur qui prête de l’argent à l’Etat malien ou à un de ses démembrements, il est très peu susceptible de se faire rembourser, du moins dans les délais convenus », selon Sika Finance. Pour justifier son évaluation, l’agence de notation américaine pointe du doigt les sanctions financières imposées par l’UEMOA (et la CEDEAO) qui a conduit au gel des avoirs de l’Etat malien auprès de la banque centrale et son exclusion des opérations d’emprunt sur le marché régional. Et le point d’orgue a été le non-remboursement d’une dette (contractée sur le marché régional) et arrivant à échéance fin janvier par le trésor malien ».

« Tant que les comptes du gouvernement à la banque centrale resteront gelés en raison des sanctions, l’Etat malien continuera probablement à ne pas payer les dettes en cours », explique Moody’s. Ce dernier projette une nouvelle détérioration de la note malienne si le pays ne parvient pas  » rapidement  » à un accord avec les organisations régionales ouest-africaines et la communauté internationale sur les contours d’une transition à même de conduire au retour d’un régime civil au pouvoir à Bamako, seul gage de nature de mettre un terme aux sanctions ».

Au-delà de son incapacité à honorer une échéance financière le 31 janvier dernier, le Mali risque, entre autres, d’être confronté dans les jours à venir à une crise de liquidité. Puisqu’avec les sanctions, c’est une asphyxie financière et monétaire qui se dessine clairement. « On entre dans un cycle de défiance et d’incertitude. Le pouvoir politique va être impacté dans sa capacité à mobiliser des ressources pour son fonctionnement quotidien », assène Kako Nubukpo. Cela devrait avoir un impact rapide sur le salaire des fonctionnaires, notamment des militaires engagés dans le combat contre les groupes djihadistes.

Pour contourner les sanctions comme celles que connaît actuellement le Mali, la tentation de créer sa propre monnaie peut émerger et ainsi quitter le système monétaire en vigueur, et donc ouest-africain pour le pays en question. Cependant, « la question de la monnaie est trop sérieuse pour être décidée sur un coup de tête. Sur quoi s’adosserait cette monnaie ? Quelle serait sa garantie ? » nuance M. Sissoko. Consciente de cela et en l’absence des solutions alternatives crédibles, la Junte au pouvoir au Mali commence à faire preuve de lucidité ce dernier temps, avec sa volonté récente de reprendre le dialogue avec la CEDEAO pour trouver une issue favorable à la crise que connait le Mali.

En définitive, plutôt que de recourir systématiquement à la force pour s’emparer du pouvoir avec le risque de freiner le développement économique d’un pays, des solutions alternatives existent dans une démocratie pour régler les contentieux. Privilégions-les pour le bien de nos Etats.

Adamou Louché Ibrahim, Economiste, @loucheibrahim

Niger Inter Hebdo N°55 du Mardi 16 février 2022