Après une grande carrière à la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO, à la Direction Nationale au Niger et au Siège à Dakar), Monsieur Amadou Altiné est revenu au pays. Il a été Directeur de Cabinet du Ministre des Finances et est présentement Conseiller Spécial du Premier Ministre de la République du Niger. Dans l’entretien qui suit, il répond aux questions de Niger Inter Hebdo sur la monnaie électronique et les systèmes de paiement dans l’espace UMOA.
Niger Inter Hebdo : En quoi la politique de l’inclusion financière est-elle pertinente pour combattre la pauvreté en milieu urbain et rural ?
Monsieur Amadou Altiné : Je vous remercie de me donner l’occasion d’intervenir encore une fois sur le sujet de l’inclusion financière.
Alors, qu’elle soit pertinente pour lutter contre la pauvreté, c’est une vérité. Il suffit de se référer à sa simple définition ou à ses éléments caractéristiques. On se rappelle, l’inclusion financière permet d’offrir des services financiers de base aux personnes vulnérables comme les femmes, les jeunes, les PME et PMI, qui étaient exclues par le dispositif de financement traditionnel.
Par ailleurs, c’est bien connu, la croissance économique est un facteur obligatoire de réduction de la pauvreté. Or l’inclusion financière des zones rurales peut libérer leur immense potentiel économique, et bénéficier aux pauvres en milieu rural en y augmentant, par exemple et simplement, le revenu des ménages.
On peut même dire que la lutte contre la pauvreté passera par l’inclusion financière et l’autonomisation économique et sociale des couches vulnérables.
Niger Inter Hebdo : Les services financiers numériques qui devraient supporter cette inclusion financière, comment se portent-ils dans l’espace UMOA ?
Monsieur Amadou Altiné : Au niveau de notre espace communautaire, les demandes auprès de la Banque Centrale pour l’émission de la monnaie électronique se sont multipliées ces dernières années.
Il y a une bonne cinquantaine d’initiatives pour créer des services financiers numériques (les banques commerciales détiennent la majorité des offres). On y compte douze établissements de monnaie électronique (EME) au total aujourd’hui dans l’Union.
Dans le cadre du renforcement de l’inclusion financière, la BCEAO accompagne les efforts dans les pays et notamment dans le sens de l’émission de la monnaie électronique par les Trésors Publics Nationaux.
Selon une publication récente de la BCEAO, il y avait quelques 77 millions de comptes de monnaie électronique dans l’UEMOA en 2019 et ça évolue très vite puisque c’est ressorti en 2020 à plus 94 millions, soit une hausse de plus de 22%.
Les transactions financières réalisées par le prisme des services financiers numériques sont en forte hausse, témoignant de sa vitalité. Selon le rapport à fin 2020 de la BCEAO sur le sujet, à fin décembre 2020, il y a eu plus de 3 milliards d’opération pour un montant total de plus de 41.000 milliards de FCFA. En 2019 on comptait un peu plus de 2 milliards de transactions pour une valeur de près de 29.000 milliards de FCFA, soit une hausse de plus 32% en volume et plus de 44% en valeur.
La situation au niveau de notre pays est relativement faible. Il y a juste trois (3) initiatives de services financiers numériques relevées, aucun établissement de monnaie électronique (EME). Le nombre de comptes transcrits en 2020 ressort à un peu plus de 6 millions, avec 14 millions d’opérations pour un montant de 200 milliards de francs FCFA.
Les chiffres, du moins au niveau de l’union, semblent vertigineux, ils le sont d’ailleurs. Vous imaginez bien ce que ça représente pour l’économie de nos pays et comment ça participe de la lutte contre la pauvreté dans notre union, que ce soit en milieu urbain ou en milieu rural.
En définitif, comme disait un compère, expert en système électronique de paiement, l’inclusion financière et la bancarisation sont aujourd’hui des facteurs indispensables au développement économique et social dans nos pays.
Niger Inter Hebdo : La monnaie électronique serait un instrument de sécurité des transactions financières. Qu’est-ce que la monnaie électronique ?
Monsieur Amadou Altiné : Avant de qualifier la monnaie électronique, je vais donner des éléments de définition, ainsi que le dispose une instruction de la BCEAO. Ainsi, par monnaie électronique on entend :
« une valeur monétaire représentant une créance sur l’établissement émetteur qui est :
- stockée sous une forme électronique, y compris magnétique ;
- émise sans délai contre la remise de fonds d’un montant qui n’est pas inférieur à la valeur monétaire émise ;
- et acceptée comme moyen de paiement par des personnes physiques ou morales autres que l’établissement émetteur.».
Dans la littérature désormais abondante sur le sujet, on parle aussi de monnaie numérique, une monnaie légalement stockée sur des mémoires électroniques sans référence à un compte bancaire traditionnel.
Elle s’oppose ou mieux se présente comme un substitut des pièces et billets de banque (monnaie fiduciaire) et des comptes de dépôts (monnaie scripturale), au sens de la masse monétaire telle que nous la connaissons.
Les deux instruments principaux de paiement à travers lesquels est véhiculée cette monnaie, sont le porte-monnaie électronique et le porte-monnaie virtuel qui ont sensiblement le même principe.
Le porte-monnaie électronique a pour objet l’automatisation des paiements de petits montants dans le commerce de proximité. Il est utilisé ici une carte à microprocesseur chargée de valeurs réelles (électroniques bien sûr) qui peuvent être transférées directement entre les agents économiques.
Le porte-monnaie virtuel a pour objet le paiement de petits montants à distance sur Internet. Ces valeurs électroniques sont alors transmises sur le réseau pour le règlement des obligations financières entre les agents économiques (internautes et e-marchands). Ici des unités électroniques sont chargées sur un logiciel stocké sur le disque dur de l’ordinateur.
A une autre occasion, j’espère, on pourra aller davantage dans des détails sur les principes et le fonctionnement de la monnaie électronique.
Maintenant, au sujet de ce que la monnaie électronique serait un instrument de sécurité des transactions financières, je dois dire, d’entrée de jeu, que dans notre espace UMOA, le dispositif est encadré par notre Institut d’émission. Il ne s’agit plus d’un système en dehors du système bancaire chapeauté par la Banque Centrale. Vous pensez bien que les dispositions sont prises pour le sécuriser, à tout le moins en mitigeant autant que possible les risques inhérents aux paiements traditionnels, mais aussi ceux véhiculés par l’Internet (la cybercriminalité).
L’utilisation massive d’espèces, dans les transactions, a toujours favorisé le développement de la « nébuleuse ». Nous sommes témoins aujourd’hui de ce que c’est, en effet, à travers les espèces que se développent l’économie souterraine, le financement des activités criminelles (trafics de drogue, trafic d’armes, terrorisme, blanchiment d’argent, …).
Par ailleurs, l’usage de la monnaie électronique suppose moins d’informations à saisir, donc moins de fraudes, il n’y a pas d’échange monétaire donc pas de risque d’impayé. Les protocoles informatiques qui soutiennent le dispositif, offrent davantage de sécurité tout en réduisant les coûts des transactions.
Il y a aujourd’hui, de plus en plus, de définition et diffusion de standards internationaux de sécurité, aussi bien pour faire évoluer les caractéristiques techniques des puces des cartes de paiement, pour sécuriser les terminaux de paiements et les automates, que pour sécuriser les systèmes d’information chez les différents acteurs qui stockent, transfèrent et traitent les données de paiement. La profession participe activement à ces standards, c’est vous dire !
Niger Inter Hebdo : Quelles sont les exigences pour le passage à la monnaie électronique ?
Monsieur Amadou Altiné : je ne vais rien inventer et je ne vais pas, non plus, aller loin vous chercher ces exigences. Il y a un texte (l’Instruction n° 008-05-2015) de l’Institut d’Emission qui régit les conditions et modalités d’exercice des activités des émetteurs de monnaie électronique dans les Etats membres de l’UMOA.
Les exigences pour l’émission de monnaie électronique, que je souhaite citer ici, sont autour de certaines questions majeures, notamment :
- du partenariat: si un émetteur a le droit de conclure des accords avec des opérateurs techniques, il est important de contenir l’action du partenaire au cadre strictement technique ;
- des interdictions: si les fonds provenant d’un crédit octroyé à un client par une banque (par ex.) peuvent être utilisés pour émettre de la monnaie électronique, il n’est, en revanche, pas autorisé pour l’émetteur de consentir du crédit à leur clientèle, ni de payer des intérêts sur les fonds perçus en contrepartie des unités de monnaie électronique émises ;
- des exigences techniques: la solution d’émission doit satisfaire à de nombreuses exigences, notamment de haute disponibilité de la plateforme technique, d’intégrité, de confidentialité des informations, d’authenticité, de non-répudiation des transactions, etc.
En outre, au sein de l’UMOA, l’exercice d’émission doit être agréé ou autorisé par la Banque Centrale, par un établissement de monnaie électronique (EME) constitué sous forme de Société Anonyme ou de Sociétés à Responsabilité Limitée Pluripersonnelles, de Mutuelles, de Coopératives ou de Groupements d’Intérêt Economique.
Il y a d’autres aspects importants comme la question du siège social qui doit être sur le territoire d’un des Etats de l’UMOA, avec aussi un capital social minimum de trois cent millions de francs CFA.
Niger Inter Hebdo : Quels risques pour la monnaie électronique et comment les prévenir ?
Monsieur Amadou Altiné : les risques attachés au sujet de la monnaie électronique sont notamment d’ordre juridique, opérationnel, réputationnel et systémiques.
Pour les risques juridiques : par exemple le risque de blanchiment d’argent qui peut être porté par l’utilisation exagérée de la monnaie électronique, suite aux violations des lois, règles ou réglementations, ainsi que le non-respect des droits et obligations des parties engagées dans une transaction donnée ;
Pour les risques opérationnels : par exemple la fraude et plus précisément la fraude d’origine externe (intrusion dans les systèmes d’information, risque de contrefaçon criminelle, …), la défaillance d’un émetteur, l’introduction de la fausse monnaie électronique, conséquences d’une insuffisance de sécurité ;
Pour les risques réputationnels : par exemple la survenance de problèmes techniques dans les réseaux de communication (panne, attaques internes et externes dans les systèmes d’information), peut porter atteinte à l’image de l’émetteur et à la confiance du public dans les moyens de paiement qu’il émet ;
Pour les risques systémiques : par exemple la défaillance d’un émetteur qui peut provoquer la perturbation ou la faillite d’un réseau de monnaie électronique qui se répercute sur les autres.
Pour maîtriser les risques liés au développement de la monnaie électronique et pour protéger ses utilisateurs, la BCEAO a adopté un cadre de supervision de son émission, qui repose sur l’auto-discipline des émetteurs et gestionnaires de la monnaie électronique, la discipline de marché et les exigences réglementaires qui sont citées plus haut.
Niger Inter Hebdo : Quels sont les systèmes de paiement utilisés dans l’espace UEMOA ?
Monsieur Amadou Altiné : l’espace UEMOA utilise en principe (ou à peu de chose près) les standards internationaux en matière de paiement.
En effet, en sus des éléments traditionnels utilisés, fiduciaires (espèces), scripturaux (chèque, virement, effet de commerce, ordre de prélèvement, etc.) dans la gestion des transactions financières, la BCEAO s’est engagée (très tôt ?) à faire le saut qualitatif, par le prisme de technologies nouvelles.
A la faveur de la modernisation des systèmes et moyens de paiement enclenchée en 2002 par l’adoption du Règlement n°15/2002/CM/UEMOA du 19 septembre 2002 relatif aux systèmes de paiement dans les États membres de l’UEMOA , qui avait pour objectif de : « Mettre en place un ensemble de mécanismes de paiements nationaux et régionaux tout en respectant les normes internationales, afin de satisfaire les besoins croissants de tous les secteurs économiques de l’UEMOA, à savoir les secteurs des consommateurs, du commerce, de l’industrie, du gouvernement, des marchés financiers nationaux et internationaux », des outils sécurisés, performants et modernes pour un dénouement rapide et sécurisé des ordres de paiement ont été mis à la disposition des différents agents économiques :
- STAR-UEMOA: le Système de Transfert Automatisé et de Règlement dans l’UEMOA, conçu pour les virements interbancaires des gros montants et dans lequel chaque transaction est réglée sur une base brute et en temps réel ;
- SICA-UEMOA: le Système Interbancaire de Compensation Automatisée de l’UEMOA, conçu pour que les banques transmettent des fichiers électroniques de leurs opérations en compensation (chèques, effets de commerce et virements), depuis leurs propres locaux et dans toutes les villes où la BCEAO est représentée.
- SAGETIL-UEMOA: le Système Automatisé de Gestion des Titres et de la Liquidité de l’Union Monétaire Ouest Africaine. C’est un système de gestion de titres qui a pour objectif de faciliter le déroulement des opérations du marché monétaire de l’UMOA. Il assure une fonction de conservation des titres publics émis par les adjudications qui sont publiées régulièrement dans les journaux.
A côté de ces trois systèmes gérés par la Banque Centrale, il existe d’autres dispositifs, notamment :
- Systèmes gérés par les banques, qui sont les réseaux intrabancaires, systèmes monétiques privatifs ;
- Systèmes gérés par les établissements émetteurs de monnaie électronique (EME) ;
- Autres systèmes gérés par des acteurs privés, notamment de règlement-livraison de titres, de traitement de transactions monétiques interbancaires et de transfert rapide d’argent.
Pour la monétique, c’est un ensemble de dispositifs utilisant l’informatique et l’électronique dans les transactions bancaires (cartes de paiement, terminaux de points de vente, etc.).
Ce système a pour principal objectif la promotion de l’interbancarité au niveau de l’union. Il est important que la carte bancaire puisse jouer son véritable rôle d’instrument de paiement, acceptée par tous (les commerçants affiliés par exemple) et tous les distributeurs de la région à l’instar de la monnaie fiduciaire commune.
Niger Inter Hebdo : On dit souvent que c’est sur la confiance que repose les moyens de paiement. Que fait la BCEAO pour inspirer cette confiance ?
Monsieur Amadou Altiné : Je pense que la BCEAO a suffisamment montré sa capacité à faire régner la confiance en la monnaie traditionnelle dans notre zone monétaire.
Au sujet globalement des moyens de paiement, la BCEAO a adopté depuis 2006, une politique de surveillance des systèmes de paiement qui cible l’ensemble des circuits de paiement.
Les principaux objectifs attachés à cette surveillance sont :
- le bon fonctionnement et l’efficacité des systèmes de paiement ;
- la protection du système financier contre d’éventuels effets de propagation qui peuvent survenir si un ou plusieurs participants sont incapables d’honorer leurs engagements financiers ;
Pour la mise en œuvre de sa fonction de surveillance, la BCEAO applique les deux modalités suivantes :
- un suivi du fonctionnement des systèmes de paiement à surveiller à travers notamment une analyse a posteriori des incidents déclarés par les gestionnaires des systèmes ;
- une évaluation périodique, qui vise à s’assurer de la conformité des systèmes de paiement à surveiller aux normes et standards internationaux de référence édictés par la Banque des Règlements Internationaux (BRI), créée en 1930, qui est une organisation financière internationale dont les actionnaires sont les banques centrales.
Interview réalisée par Elh. M. Souleymane
Niger Inter Hebdo N°51 du mardi 18 janvier 2022