Sédiko DOUKA, Commissaire de la CEDEAO chargé de l’Energie et des Mines

Interview : Comprendre le contenu local dans les secteurs des mines et du pétrole

 

 

 

 

 Sédiko DOUKA est Commissaire de la CEDEAO chargé de l’Energie et des Mines. Titulaire d’un diplôme d’ingénieur électromécanicien, sa carrière a débuté à la NIGELEC durant 11 ans, à l’ASECNA, aux Nations Unies puis présentement à la CEDEAO. Dans cette interview, il renseigne sur le contenu local dans les secteurs des mines et du pétrole.

Niger Inter Hebdo : Dans la plupart des pays, la participation et les bénéfices des populations et opérateurs locaux/nationaux dans les industries extractives sont dans une proportion marginale. Ce qui nous amène de parler de la notion du contenu local dans les secteurs des mines et du pétrole. Qu’est- ce qu’on entend par contenu local dans ces domaines cités ?

Sédiko DOUKA : Le contenu local se définit comme le niveau d’implication des citoyens d’un pays dans la chaine de valeur des industries extractives à travers des initiatives prises en vue de promouvoir l’utilisation des biens et services nationaux, la participation de la main-d’œuvre locale et le transfert des technologies. Il est relatif au pourcentage ou la part des dépenses et efforts engagés pour assurer les formations et l’emploi du personnel national dans les différents niveaux de la chaine de valeur, pour augmenter la part des opérateurs locaux (PME/PMI) du pays concerné dans la fourniture des biens et services, pour créer des industries locales de transformation et réaliser des projets sociaux au bénéfice des citoyens du pays particulièrement dans les zones d’exploitation ou de recherche.

En Afrique, plusieurs études ont démontré que le niveau du contenu local est inférieur à 20% contre 70% au Brésil et en Malaisie et environ 60 % en Norvège (Chiffre consolidé intégrant les aspects : achats, prestations de services, emplois, transformation locale, retombées locales).

La notion de contenu local vise  donc à atteindre des objectifs spécifiques tels que l’embauche du personnel local et le développement d’une main-d’œuvre locale qualifiée à tous les niveaux du processus d’exploitations minières et pétrolières, le renforcement des capacités des opérateurs locaux par la formation, le transfert de technologie et de savoir-faire et la recherche-développement, la facilitation aux acteurs locaux pour accéder aux marchés des fournitures, travaux et services et de s’adapter aux normes internationales en matière de prix, de qualité et de fiabilité. Elle vise aussi l’augmentation des retombées des investissements miniers dans les secteurs non miniers à travers la diversification pour se réorienter vers d’autres domaines et le développement des infrastructures physiques (électricité, routes, chemin de fer, eau, ports, aéroports, TIC) et enfin la transformation locale.

Quand nous employons le terme local, nous faisons allusion aux citoyens du pays et non forcément à ceux des zones minières ou pétrolières, en d’autres termes le personnel national et les acteurs économiques nationaux. Ceci est en dualité avec les partenaires extérieurs qu’ils soient des entreprises étrangères ou le personnel expatrié.

Nous insistons surtout sur deux paramètres importants : la question de l’embauche du personnel national et celle de l’appui aux opérateurs locaux. Concernant l’embauche du personnel local, la stratégie s’articule autour de l’imposition de quota affecté à ce type d’employés, à la formation particulièrement des employés des Ministères, des structures parapubliques, des entreprises locales et l’appui à la formation universitaire, établissement de plan de relève des postes détenus par des expatriés, imposition d’un quota pour l’emploi des populations autochtones, des femmes ou des groupes défavorisés, l’octroi d’ incitations fiscales aux entreprises étrangères qui embauchent un grand nombre du personnel local.

Concernant l’appui aux opérateurs locaux, il s’agit d’identifier ces entreprises, les informer, les accompagner pour une mise à niveau aux standards industriels internationaux en matière de qualité, de management, d’hygiène, de sécurité et environnement (QHSE), à les pré-qualifier et adopter une stratégie consistant à leur donner la préférence dans l’attribution des contrats adaptés à leurs capacités, ou tout simplement donner des préférences nationales ou régionales pour l’attribution des contrats miniers ou pétroliers. Ensuite, définir un plan de développement pour les entreprises à haut potentiel afin de leur permettre d’accéder à des marchés plus importants, les inciter à conclure des partenariats industriels, commerciaux ou financiers avec d’autres sociétés à l’étranger ou au pays, à nouer des joint-ventures/groupements pour la réalisation en commun des prestations qui leur sont confiés et acquérir ainsi les compétences nécessaires grâce à ce transfert de savoir-faire.

Le paradigme du contenu local est tellement important qu’il y a nécessité de la prise des textes législatifs ou règlementaires en la matière. Pour cela, de nombreux pays ont créé des agences ou entités spécifiques dédiées au contenu local.

 

Niger Inter Hebdo : Justement, quels sont les facteurs clefs pour assoir une politique durable du contenu local ?

Sédiko DOUKA : Selon notre expérience, cinq paramètres sont essentiels pour assoir une politique du contenu local : l’adaptation des cadres législatif et règlementaire, le diagnostic avec une analyse du gap assujettie à des objectifs clairs à court, moyen et long terme, le renforcement des capacités, le financement et les mesures incitatives ainsi que la recherche-développement.

Concernant les cadres légal et règlementaire, il faut créer une règlementation nationale sur le contenu local sous forme d’une loi. La loi doit couvrir toutes les activités de prospection, d’exploration, de développement, d’exploitation, du transport, du stockage, de la transformation, de la valorisation et de la distribution des produits miniers et pétroliers. A ce titre, certains pays ont même créé des Agences exclusives dédiées au contenu local. Ce texte doit clairement donner des priorités ou préférences nationales aux locaux ou fixer des quotas substantiels dans l’octroi des permis ou licences de recherches, d’exploitation ou de production, dans la fourniture des biens et services, dans les emplois, la formation et le transfert de technologie. Toutefois, des entreprises étrangères peuvent fournir des biens et services lorsqu’il n’existe pas des entreprises nationales a même de la faire dans des conditions comparables et selon les standards internationaux applicables en la matière. Aussi, il faut faire en sorte que les autochtones situés dans les zones de production et d’exploitation ne concentrent la recherche de leur bien être uniquement sur les produits des sites miniers ou pétroliers se trouvant sur leurs zones. Il faut les inciter à diversifier et dépendre d’autres secteurs de l’économie nationale comme l’agriculture, l’élevage et le commerce général par exemple. Tous les contractants, sous-traitants, prestataires de services et fournisseurs intervenant dans les secteurs géo-extractifs doivent être soumis à la loi sur le contenu local. Cependant, il faut être prudent dans la rédaction des dispositions ces genres de loi qui privilégient beaucoup les locaux face au Code des Investissements qui a pour rôle d’attirer des investissements étrangers. Il faut savoir attirer les sociétés étrangères tout en préservant les acteurs locaux en leur donnant des chances de compétir sans complexe avec les groupes internationaux. Ceci a aussi un lien avec les règles et procédures de passation des marchés publics qui sont standardisées exigeant d’examiner au cas par cas les notions de préférence nationale ou régionale.

Concernant l’analyse du gap, il faut d’abord avoir une vision à décliner et des objectifs à fixer. S’en suivent des redressements à opérer au fur et à mesure de l’évolution des indicateurs atteints. Pour ce faire, il faut cibler les services, achats, emplois, mesures fiscales et parafiscales à couvrir en vue du suivi et évaluation de leur mise en œuvre. Ainsi, le niveau global du contenu local peut être calculé et suivi. Le plus souvent, les Etats mettent en place un Comité national de suivi du contenu local en charge de coordonner l’élaboration d’une stratégie du contenu local définissant les modalités d’exécution des orientations de l’Etat en la matière. Un décret détermine les règles d’organisation et de fonctionnement dudit Comité.

Concernant le financement et les mesures incitatives, certains pays ont créé un fonds spécial d’appui pour financer le développement du contenu local à travers un système de prélèvement à la source sur les contrats miniers et pétroliers. Les modalités d’alimentation et de fonctionnement de ce Fonds sont fixées par décret. Des règles rigoureuses et une stratégie sont établies pour l’utilisation des montants collectés avec un système d’audit régulièrement effectué.

 

Niger Inter Hebdo : En quoi la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) diffère-t-elle du contenu local ?

Sédiko DOUKA : Tel que défini plus haut, le contenu local revêt un caractère plus large. La Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) est une partie du contenu local, donc plus restrictif. En fait, la RSE implique, pour les sociétés nationales ou étrangères, de faire des investissements ou actions sociales dans les zones où elles opèrent dans les domaines de l’éducation par la construction des classes ou la dotation en matériel didactique, de la santé par la construction des centres de santé ou sociaux, dans les infrastructures par la construction des pistes et des routes, dans les domaines de l’eau et de l’environnement par la construction des adductions d’eau, des forages et des systèmes de protection de l’environnement, dans l’électrification des localités, dans l’appui aux ONGs intervenant dans les zones, en un mot tout autre apport ou appui entrant dans le cadre de l’accroissement du bien-être des populations surtout autochtones des sites miniers et pétroliers. Ces investissements proviennent d’une partie des bénéfices générés par ces Sociétés et adoptée par leurs instances statutaires comme le Conseil d’Administration ou de Surveillance.

Ce qu’on remarque aujourd’hui dans nos pays, les compagnies minières et pétrolières, sous-couvert de la RSE, font des petits investissements sociaux parce qu’elles pensent qu’elles en font déjà en payant les redevances et autres taxes relevant du régime fiscal en vigueur.

 

Niger Inter Hebdo : Qu’est-ce que la CEDEAO est en train de faire pour accompagner/aider ses Etats membres pour mieux gérer ses ressources naturelles ?

Sédiko DOUKA : Face à de nombreux défis décelés dans les secteurs géo-extractifs, plusieurs action ont été conduites dont nous pouvons citer certaines : la création de la Fédération des Chambres des Mines de la CEDEAO, l’incitation des Etats membres à organiser des foraux régionaux  comme ECOMOF et nationaux comme la SAMAO du Burkina Fao, le SMG de la Guinée, les JMP du Mali, le SIM du Sénégal, le SEMICA du Benin et du Liberia, etc… et l’élaboration des textes communautaires en vue de la recherche d’une harmonisation par l’alignement des textes nationaux. Il s’agit de : l’adoption de la politique de développement des ressources minérales, de la Directive sur l’harmonisation des principes directeurs et des politiques dans le secteur minier, d’un Code Minier régional, d’une Directive sur le Contenu Local et la Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE). la création d’un Observatoire et d’un système cadastral du secteur géo-extractif de la CEDEAO, l’élaboration d’une règlementation régionale sur l’exploitation minière artisanale et a petites échelles, de la Politique de développement des hydrocarbures de la CEDEAO, du Programme régional de facilitation de l’approvisionnement en produits pétroliers, de l’harmonisation des spécifications des carburants automobiles (essence et gasoil), d’une stratégie régionale sur la vulgarisation du Gaz Pétrole Liquéfié(GPL),  d’un Code pétrolier régional. etc… pour ne citer que ces textes.

La CEDEAO travaille également à mettre en place un système d’information et de base de données géo extractives visant à promouvoir les potentialités extractives de la région. Nous travaillons également au renforcement des capacités des acteurs nationaux à travers des cadres de concertation et de partage d’expérience sur des thématiques spécifiques.

La bataille de la CEDEAO est de faire en sorte que tous ces Etats membres ajustent leurs textes nationaux en conformité avec ces textes régionaux ainsi que leur mise en œuvre.

 

Niger Inter Hebdo : Quelles solutions préconisez-vous pour améliorer la gouvernance du secteur ?

 

Sédiko DOUKA : Les Etats doivent prendre des mesures institutionnelles et règlementaires pour organiser la gestion des secteurs géo-extractifs : insérant dans leur constitution l’obligation de rendre publique les contrats de partage de production, d’exploitations signés avec les compagnies minières et pétrolières dans l’optique de renforcer la transparence dans le secteur conformément aux meilleures pratiques prônées par l’Initiative pour la Transparence sur les Industries Extractives (ITIE). Certains pays l’ont fait comme le Niger.

Aussi, tous les textes à légiférer doivent passer au Parlement ; en impliquant les parties prenantes : les communautés affectées, la société civile, les ONGs dans les négociations des contrats ; en créant des codes miniers et pétroliers incitatifs sur le plan fiscal, donc qui attirent les investisseurs, mais qui ne laissent pas les recettes fiscales en marge sous prétexte d’améliorer le climat des affaires ; en instaurant une politique du contenu local et RSE qui donne des chances aux opérateurs locaux de compétir avec les majors et faire bénéficier les citoyens des rentes. La part des locaux doit être substantielle en nombre et en volume ; en diversifiant les économies pour ne pas se trouver avec une population qui a focalisé ses revenus sur une seule rente. Par exemple, des pays comme le Nigeria l’ont compris. En effet, depuis une dizaine d’années, le pays est tourné plus vers l’agriculture pour ne plus importer des produits vivriers (riz, mais, fruits) plutôt que de dépendre uniquement du pétrole et du gaz qui étaient des secteurs clé générant des recettes d’exportation.

Aussi, il faudra songer à renforcer le cadre institutionnel avec l’introduction d’un Régulateur du secteur pétrolier/minier comme cela se fait dans les secteurs de l’électricité, de l’eau, des télécommunications, de la poste et du transport. L’avantage est un meilleur contrôle du rôle des différents acteurs (ministères, sociétés publiques, opérateurs privés, associations des consommateurs, société civile) et un renforcement de la confiance pour les investissements durables dans le secteur.

Niger Inter Hebdo : Quel est votre mot de la fin ?

Sédiko DOUKA : Je dirais que les ressources naturelles sont une richesse pour l’Afrique car elles constituent encore les principales recettes d’exportation et concourent à équilibrer la balance des paiements. En effet, certains pays sont devenus des géants économiques grâce à leurs ressources minérales : Algérie, Nigeria et Afrique du Sud. Cependant, il faut renforcer la gouvernance, la transparence, les politiques du contenu local et trouver des solutions pour une transformation des produits localement mais surtout, démarrer les réflexions pour une adaptation du secteur géo-extractif vers une transition progressive en lien avec les objectifs mondiaux en matière de changement climatique. Enfin, savoir gérer toute la subtilité de la dualité entre les préférences nationales ou régionales versus l’attraction des investisseurs étrangers et l’alignement aux bonnes pratiques internationales du processus de passation des marchés publics.

Réalisée par Elh. M. Souleymane

Niger Inter Hebdo N°38