Dans un communiqué de presse rendu public lundi dernier, SOS Tabagisme-Niger dénonce les manœuvres des compagnies du tabac sur les avertissements sanitaires avec la complicité du ministère du commerce. Dans l’entretien qui suit, Saouna Inoussa, Président du SOS Tabagisme-Niger explique le caractère frauduleux de la démarche de la Secrétaire générale du ministère du commerce.
Niger Inter : Dans la déclaration de presse de SOS Tabagisme-Niger, vous avez dénoncez le non-respect de par les compagnies du tabac des mesures portant sur les avertissements sanitaires. Quelle sont ses dispositions a été violée ?
Saouna Inoussa : Merci de nous permettre une fois encore de partager les préoccupations de SOS Tabagisme-Niger. Effectivement nous avons rendu public une déclaration suite au refus des compagnies de tabac exerçant au Niger de respecter les dispositions qui les obligent depuis presque deux ans d’apposer des avertissements sanitaires sur les paquets et cartouches de cigarettes devant être vendus au Niger. Mais surtout suite à une lettre adresser au ministère de la santé publique par la Secrétaire Générale du ministère de commerce pour tenter de trouver un délai supplémentaire à ces compagnies qui s’obstinent à ne pas respecter cette obligation légale. En effet, Depuis décembre 2019, en application de l’arrêté N°442/MSP/DGSP/DHP/ES DU 2 DECEMBRE 2013, le Ministre de la santé publique a signé la fiche technique réglementant la composition, le conditionnement et l’étiquetage des produits du tabac au Niger. Par la signature de cette fiche, les compagnies et les importateurs des cigarettes ont l’obligation d’apposer des avertissements sanitaires graphiques sur tous les cartouches et paquets de cigarettes vendus au Niger avec des images couvrant 70% des faces recto verso. Pour se conformer à cette disposition un délai de douze (12) mois avait été accordé aux compagnies de tabac à compter de la date de notification. Ce délai raisonnablement accordé est échu depuis le 04 novembre 2020 sans qu’aucune des compagnies de tabac exerçant au Niger ne s’y conforme.
Curieusement c’est face à ce refus manifeste des compagnies du tabac à se conformer à la règlementation établie que le Ministère du commerce à travers son secrétaire général, après une concertation douteuse et illégale avec les compagnies du tabac, a adressé une lettre au Ministère de la santé publique pour faire un plaidoyer éhonté et inique en vue de voir un autre délai accordé.
D’abord dans le principe la rencontre avec les compagnies du tabac pour une prétendue concertation est illégale. En effet, les Directives pour l’application de l’article 5.3 de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac est très claire : l’article 5.3 dispose qu’« en définissant et en appliquant leurs politiques de santé publique en matière de lutte antitabac, les Parties doivent veiller à ce que ces politiques ne soient pas influencées par les intérêts commerciaux et autres de l’industrie du tabac…» Elle affirme le principe qu’Il y a un « conflit fondamental et inconciliable entre les intérêts de l’industrie du tabac et ceux de la santé publique ».
Il faut ajouter que : « Les directives sont applicables aux responsables officiels, aux représentants et employés de toute institution ou organe national, étatique, provincial, municipal, local ou autre de caractère public, semi-public ou quasi public situés sur le territoire d’une Partie et à toute personne agissant en leur nom. Tous les pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) chargés d’élaborer et de mettre en œuvre les politiques de lutte antitabac et de protéger ces politiques des intérêts de l’industrie du tabac doivent être rendus responsables ».
Voila donc de manière très claire en quoi la démarche de la Secrétaire Générale du Ministère de Commerce est illégale car le Niger est partie à la Convention cadre depuis 2005 donc ses dispositions ont force de loi.
Niger Inter : Vous avez également formulé des allégations selon lesquelles la Secrétaire générale du ministère du commerce aurait agi en faveur de l’industrie du tabac. De quoi s’agit-il ?
Saouna Inoussa : Effectivement dans une lettre en date 19 Aout 2021, la Secrétaire Générale du Ministère du commerce a développé les traditionnels arguments de l’industrie du tabac pour s’opposer aux avertissements sanitaires. Dans l’argumentaire, elle évoque des éléments complétement farfelus comme notamment le délai, le cout financier lié à l’utilisation des images en alternance ainsi que la logistique supplémentaire pour répondre aux nouvelles exigences. Nous avons toutes les informations sur les circonstances de la rédaction de cette lettre presque en catimini. Après avoir analysé ses éléments nous tenons à rappeler les points suivants :
- Les compagnies du tabac ont disposé de presque deux ans pour prendre toutes les dispositions en vue de se conformer à la réglementation. Elles ont délibérément refusé en utilisant comme à leur habitude le dilatoire pour gagner du temps ;
- L’emballage des produits du tabac est un processus hautement sophistiqué, indépendamment de l’apposition des mises en garde sanitaire illustrées, les fabricants de cigarettes utilisent l’emballage des produits du tabac pour commercialiser leurs produits en utilisant des méthodes innovantes et variées.
- Ils modifient souvent l’emballage de leurs produits et proposent de nouveaux modèles presque tous les deux ans. Pourtant, il est bien plus complexe et coûteux de modifier ce type d’emballage que de changer les étiquettes de mises en garde sanitaire illustrées.
- Les consommateurs de tabac sont la cible principale des mises en garde sanitaire illustrées. Donc, à travers le prix de vente, ce sont eux qui vont supporter les couts additionnels éventuels et non les importateurs ou les vendeurs de cigarettes.
Niger Inter : Que comptez-vous faire en tant qu’organisation de la société civile pour faire respecter la loi par les compagnies du tabac au Niger ?
Saouna Inoussa : Nous avons condamné fermement la démarche cavalière de la Secrétaire Générale du Ministère du commerce qui viole ainsi l’article 5.3 de la Convention cadre de l’OMS pour la lutte antitabac qui interdit toute concertation avec les compagnies du tabac dans la législation et la réglementation contre le tabac. Nous dénonçons également l’ingérence de l’industrie du tabac pour bloquer la mise en œuvre des politiques de santé publique au Niger.
SOS tabagisme-Niger a Félicité et encourager la réponse ferme du ministère de la santé publique qui exige la mise en œuvre immédiate des avertissements sanitaires au Niger. Nous saluons le travail qui est fait au niveau du point focal de la lutte antitabac au Niger
Par ailleurs, SOS Tabagisme-Niger décide de saisir la justice nigérienne pour qu’elle ordonne l’application immédiate des avertissements sanitaires graphiques et condamne les compagnies du tabac qui résisteraient.
Propos recueillis par Elh. M. Souleymane