PORTRAIT DE AICHATOU HABIBOU OUMANI : LA TAMBARA, UNE FEMME FORTE FACE AUX DÉFIS !

Le 13 mai c’est la fête nationale de la femme nigérienne. Une date pour commémorer la marche historique des femmes battantes qui ont décidé que la femme ne soit pas oubliée dans la marche pour l’émancipation du peuple nigérien. A travers cette journée, l’on ne cesse de découvrir des femmes qui incarnent des valeurs essentielles. Mme Bety Aichatou HABIBOU OUMANI, la Tambara actuelle de l’Ader est une femme combattante qui embrasse des domaines aussi importants que l’éducation, l’environnement et la politique. Portrait d’une femme leader qui a su réconcilier tradition et modernisme.

Elevée, entourée de ses parents, dans la pure tradition de l’Ader, Aichatou HABIBOU OUMANI a eu une enfance heureuse. Nourrie, par le terroir, par son histoire et sa dynamique, elle a su affronter mille et un défis pour se frayer un chemin ! Contrairement à de nombreux adultes qui ne se souviennent pas qu’elles ont d’abord été des enfants, Aichatou HABIBOU OUMANI, au contraire, a gardé intact ce souvenir. Elle y trouve la force de ses convictions et de ses engagements, dont la culture s’enracine avec une profonde dignité dans de belles légendes de l’Ader et les récits héroïques de l’histoire. Ces convictions et engagements, elle les puise de ce terroir qui l’a vu naître, Illéla. C’était Aicha ‘’Ta-Armachi’’ (pour dire qu’elle aime bien la propreté et l’ordre), ou Tambara (princesse) pour ses grands-mères et tantes, voire pour ses camarades de promotion pour désigner leur petite fille ou camarade du village.

« Je me rappelle encore comment des 58 filles inscrites au CI, à l’école primaire du village, en 1976, je me suis retrouvée seule six ans après à être admise en classe de 6ème de collège et où, conséquemment, je me vois encore l’unique élève fille arrivée au BEPC et à pouvoir poursuivre ma scolarité. Cheminement d’un combat qui se forge progressivement dans mon esprit et enrichit et fortifie ma conscience surtout après avoir, entre autres menaces et écueils, échappé à deux reprises au mariage précoce (13 ans et 17 ans), grâce à la détermination de mes parents », nous-a-t-elle confié.

 Pour elle, il n’y aura pas de renaissance en Afrique et singulièrement au Niger, sans un renouveau de l’école nigérienne et de l’implication de tous, notamment des femmes. BETY Aichatou HABIBOU OUMANI fait partie des femmes qui ont marqué la vie publique et sociale nationale ces dernières décennies. Elle nous rappelle la valeur de nos propres valeurs – celle de l’autonomie de l’individu et celle de la liberté d’expression – ; elle nous rappelle surtout qu’elles ne sont pas un acquis, mais qu’elles résultent d’un combat quotidien. »

On peut alors comprendre sa soif inextinguible d’apprendre pour être parmi les meilleurs, apprendre encore et encore, se donner des outils scientifiques pour comprendre, analyser et agir. Ainsi s’inscrit la démarche de cette éducatrice. En effet, Professeur de l’Enseignement Secondaire, Socio-économiste, elle est spécialiste en éducation, administration scolaire et des ressources humaines. Elle est diplômée en 2004 de l’Université Catholique de Louvain-La-Neuve (UCL) en Belgique, dans les domaines d’Etudes et Analyse du développement. Outre ces domaines, elle a développé des compétences dans la Gestion des projets, l’inter-culturalisme et conflits, genre et développement, gestion d’organisations de la société civile. Institutrice de formation à l’origine, elle a par ailleurs obtenu à New Jersey en 2001, un Certificat du Centre Américain Montessori (AMS), en Philosophie montessorienne et psychologie de l’enfant. Une trajectoire pas seulement pour soi mais surtout pour tracer le sillon ouvrant la voie aux femmes et améliorant en conséquence leur condition dans la société.

Consciente que la vie est un laboratoire d’ouverture d’esprit et de tolérance, sans tout accepter avec naïveté ou crédulité, et nantie d’une ouverture du champ expérientiel et intellectuel, BETY Aichatou HABIBOU OUMANI, Chef de Département Education au Catholic Relief Service (CRS) et Coordinatrice du projet Lutte contre le travail des enfants au Niger, a pu mettre en œuvre des actions en synergie avec divers partenaires PAM, Gouvernement du Niger, Gouvernement des USA ainsi que les organisations de la société civile. Au Bureau de Coopération Danoise (BCD), ce fut déjà le cas avec d’autres partenaires comme PAIN POUR LE MONDE (PPLM), SNV, DED et la Coopération Suisse. Auparavant, de 1991 à 2000, elle a exercé au Ministère de l’Education Nationale en tant qu’enseignante dans différentes écoles à Tahoua et Illéla. Un retour à la source qui peut être compris comme chemin de mûrissement ou de maturité politique de sa conscience pour susciter en elle la nécessité de reprendre des études universitaires ou professionnelles, à Montessori House, Tenafly, New Jersey (Etats-Unis) et à Bruxelles (Belgique) au regard des enjeux et défis, les uns anciens, les autres émergents. Car, pendant ces mêmes années, elle fut, à 21 ans, élue Présidente régionale à Tahoua du Rassemblement Démocratique des femmes du Niger. 1991, on semble l’oublier, c’était surtout l’année de la marche historique des femmes nigériennes.

Aîcha, Ministre des Enseignements secondaires

C’est cette volonté indéfectible qu’elle a de faire avancer les choses et cette capacité de pousser à la transformation des esprits ou des problèmes en opportunités et d’éveiller les consciences, puis de développer des compétences qui animent BETY Aichatou HABIBOU OUMANI : en un mot, c’est ce leadership féminin qu’elle incarne qu’ont reconnu les plus hautes autorités du Niger pour lui confier le poste de Ministre des Enseignements secondaires. A ce poste, il s’est d’abord agi, pour elle, d’institutionnaliser et de rendre plus efficace et plus proche des populations les services de ce sous-secteur dans l’architecture du système éducatif et de formation du Niger. De la position de conseillère technique « Genre » du Président de la République à la gouvernance d’un département ministériel, BETY Aichatou HABIBOU OUMANI savait bien qu’elle était très attendue sur la question de la scolarisation des filles, un point central auquel les partenaires techniques du Niger n’ont cessé d’interpeller le pays pour l’accompagner. Même pour une femme battante comme elle, la condition de Ministre est encore plus rude. Elle sait bien que son poste est fragile ; aussi se met-elle immédiatement au travail. Elle sait aussi comme l’affirme le célèbre aviateur Jean Mermoz, que le beau côté du métier de pilote est de s’imaginer, de temps à autre, qu’on vit loin des choses d’ici-bas, que notre existence est faite d’une suite de découvertes. Cela passe sans nul doute par l’attention accordée aux conditions de l’enseignant et à lui-même dans sa noble mission. Toute son action a été guidée par le souci de créer les conditions de donner la chance d’accès et le maintien dans l’enseignement secondaire aux jeunes, notamment aux filles. Les syndicalistes l’honorent et la distinguent du trophée  »Stylo d’Excellence 2014 » en « reconnaissance de son plein engagement et investissement » pour faire de la journée du 5 Octobre une journée mémorable, ravivant ainsi la flamme d’anniversaire de la recommandation de l’UNESCO /OIT de 1966, concernant la condition du personnel enseignant, et par-là même rendre officielle sa célébration au Niger. BETY Aichatou HABIBOU OUMANI, ancienne militante du syndicat des enseignants du Niger (SNEN), chargée de la promotion des femmes, puis Coordinatrice de Cercle d’études de l’USN ne saurait oublier ces moments de souvenirs et d’émotion. En outre, BETY Aichatou HABIBOU OUMANI, chantre du développement durable, donc soutenable initie la campagne « un élève, un arbre » dans les établissements scolaires nigériens. Dans le sillon de l’UNESCO, répondant à une conviction forte et citoyenne et faisant ainsi sienne l’idée vertueuse que si les guerres, les destructions environnementales et les nouvelles formes d’inégalités, d’exclusion, de violence et de sectarisme prennent naissance dans l’esprit des hommes et des femmes, y compris des enfants, c’est aussi et avant tout dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix durable et du développement soutenable. Une initiative qui a été vivement accueillie et accompagnée par les autorités nigériennes. BETY Aichatou HABIBOU OUMANI a également à son actif l’intégration directe des professeurs de CEG ainsi que les professeurs de l’enseignement franco-arabe. Car pour elle, justice et amour ont la même finalité : l’harmonie du tout. Aussi son amour de justice et d’équité ainsi que sa foi inébranlable et sa confiance en l’éducation lui ont-ils permis, entre autres actions et réalisations, de mettre désormais les étudiants franco-arabes dans de bonnes conditions d’apprentissage et d’évolution au même titre que ceux des enseignements généraux.

Son sens du devoir l’a amené à créer en 2019, à Illéla, un Centre socio-éducatif pour la réinsertion socio-économique des filles et jeunes femmes pour lutter contre le mariage précoce et la déperdition scolaire.

Aicha, l’écologiste…

Dans cette préoccupation de la nature et notamment de l’arbre, elle n’a de cesse de rappeler à toutes les occasions que le changement de climat nous concerne tous et qu’il affectera de nombreux secteurs d’activités (agriculture, tourisme, bâtiments et infrastructures…). Elle souligne que, face à ce changement de climat, l’adaptation de tout territoire au changement climatique est un enjeu majeur qui appelle une mobilisation de tous et que l’action sur les politiques locales et les actions privées, au plus tôt, en anticipant les conditions climatiques futures : menaces d’inondation, vulnérabilité des bâtiments aux risques naturels… Intégrer le changement climatique dans les stratégies des territoires en matière d’aménagement, de gestion des risques et acquérir une meilleure connaissance des impacts liés aux phénomènes climatiques est, à ses yeux, un impératif vital. Car réconcilier l’économie, l’environnement et le social, voilà le véritable défi pour l’avenir ! C’est sans doute cela le « développement durable ».

Les raisons de cette proximité avec la nature, il faut la chercher dans ses souvenirs où elle trouvait la consolation à ses émotions et à ses peines d’enfant, en allant se confier aux oreilles du cheval de son père avec l’innocente conviction que ce dernier pouvait la venger de ses frères ou toute autre personne responsable de ses peines. Leur tendre complicité l’en assurait comme les secrets intimes entre un cavalier son cheval. Car, au fil de ses années d’enfance, courant par-ci, par-là, elle se lia d’amitié avec le cheval paternel qui l’accueillait d’un grand hennissement dès qu’il la voyait ou entendait sa voix.

Ici, BETY Aichatou HABIBOU OUMANI semble aujourd’hui poursuivre, dans ses actions, avec modestie mais conviction, le combat de la Kenyane Wangari Muta Maathai, première femme africaine à recevoir le prestigieux Prix Nobel de la Paix pour « sa contribution en faveur du développement durable, de la démocratie et de la paix » qui l’a beaucoup marquée. Ainsi à la tête de l’association Matan Tahoua Sakola, à l’occasion des activités de la fête nationale du 18 décembre 2017, elle mobilise et engage depuis plus d’un an les femmes de cette région, située à la porte du désert nigérien, au projet dénommé « Un ménage, Un arbre ». L’initiative consiste à accompagner la plantation d’un million de plants dans la ville de Tahoua et d’en faire l’une des plus boisées du Niger, voire la plus riche en patrimoine végétal urbain et dotée d’un « plan biodiversité ». Une ambition Sakola, la beauté et l’élégance, qui peut être réalisée dans un processus qui s’inspire du modèle de Berlin, capitale européenne avec le plus d’arbres par habitant, à égalité avec Vilnius en Lituanie ou des villes les plus vertes à l’image de Reykjavik (Islande). Une noble œuvre et une belle perspective qui rencontrent l’adhésion et l’engagement de la population de Tahoua. L’organisation Matan Tahoua Sakola qu’elle dirige englobe toutes les femmes et les filles de la région de Tahoua, qu’elles soient en Asie, en Europe ou dans les autres pays d’Afrique, ou ici au Niger, dans les différentes villes du pays.

Eveillée aux merveilles de la nature, BETY Aichatou HABIBOU OUMANI se souvient bien de ces arbres qui sont encore là dans la cour de l’école où elle fit ses premiers pas d’écolière, ces arbres qu’elle a assidument arrosés à l’époque… Ecole des filles d’Illéla qui a été baptisée du nom évocateur Ecole Aichatou Habibou Oumani, le 30 juin 2017, en hommage à son parcours et à son exemplarité, son énergie, sa bonne volonté rassembleuse et surtout, pour son espoir pour un monde meilleur.

Une vie comblée….

Depuis mai 2016, BETY Aichatou HABIBOU OUMANI préside le Conseil national de régulation de la poste et des télécommunications (CNRTP), l’organe délibérant de l’Agence de régulation (ARTP) devenue Autorité de Régulation des Communications Electroniques et de la Poste (ARCEP), et préside le Conseil d’Administration de la Poste de l’Afrique de l’Ouest (CEPEAO).

BETY Aichatou HABIBOU OUMANI dit avoir aussi l’ardeur de vivre, l’amour, les enfants, la famille, l’amitié, la culture, sa soif de justice sociale. Cette intensité, elle la transmet jusque dans son mystère, sa retenue, son engagement et ses doutes. Militante politique engagée du Parti Nigérien pour la Démocratie et le Socialisme (PNDS Tarayya), notamment pour la cause de la femme et du développement durable, elle y assume, au niveau national, la vice-présidence de l’Organisation des Femmes Tarayya. Elle s’inspire dans ces actions du dicton de Indira Gandhi à savoir « le bonheur, c’est lorsque vos actes sont en accord avec vos paroles ». S’inspirant également des unes et à l’instar des autres femmes d’influence et de grandes figures, des plus célèbres aux plus anonymes, elle continue de croire aux vertus d’une époque, pas si lointaine, où l’on savait encore se battre pour des idéaux. Finalement, elle peut emprunter à Françoise Giroud sa célèbre phrase : « Ma meilleure qualification, mon seul titre est d’être, si je puis dire, agrégée ès vie, c’est-à-dire d’avoir appris, et parfois durement, ce que signifie être une femme – et vouloir le demeurer – dans un monde d’hommes ».

Tiemago Bizo, Nigerinter Hebdo n° 21 du 18 mai 2021