Sanoussi Tambari Jackou, Président du PNA Al Oummah

Interview : STJ parle de Mahamane Ousmane, Mohamed Bazoum et de la cohabitation au Niger

Sanoussi Jackou (STJ), économiste et homme politique est membre fondateur de la Convention démocratique et sociale(CDS) Rahama qui a porté Mahamane Ousmane au pouvoir en 1993 avant de créer son propre parti, le PNA Al Oummah qui a comme credo l’autogestion. Dans cette interview fleuve, STJ se prononce sur le processus électoral, les deux candidats au second tour, la cohabitation au Niger et le débat sur la nationalité de Mohamed Bazoum.

Niger Inter Hebdo : Le Niger vient d’organiser ses élections générales. En tant que leader politique, quel commentaire faites-vous de la tenue de ces élections ?

Sanoussi Tambari Jackou : Les élections locales du 13 décembre, comme les législatives couplées au premier tour des présidentielles, se sont bien déroulées et il faut s’en féliciter. Les Nigériens étaient sortis massivement à l’occasion de ces élections pour voter, j’ai rarement vu pareil engouement, même sous le régime de parti unique. Cela est un mérite, un comportement citoyen dont il faut se féliciter et moi je félicite les Nigériens d’avoir eu de tels comportements de bons citoyens. Je dis que c’est formidable pour notre pays.

Niger Inter Hebdo : Êtes-vous surpris du fait que la CENI ait pu relever le défi d’organisation de ces élections en dépit des récriminations de l’opposition politique ?

Sanoussi Tambari Jackou : Il ne faut pas établir une liaison entre le travail de la CENI et les appréciations de l’opposition ou même de la majorité. La CENI ne travaille pas pour l’opposition comme elle ne travaille pas pour la majorité.  Elle travaille selon son chronogramme et son programme. Elle travaille surtout pour atteindre les objectifs qui lui ont été fixés par la constitution, le code électoral et par elle-même. Je ne pense pas qu’il faille établir une liaison entre ce que la CENI a fait, ce qu’elle devait faire avec les appréciations des partis politiques. De toutes les façons, l’opposition, en ce qui la concerne, a menacé de ne pas participer au processus électoral, elle a menacé également de ne rien reconnaitre et de ne pas accepter même le principe de ces élections. Elle ne reconnait pas la CENI, elle ne reconnait pas la Cour constitutionnelle et elle a demandé la dissolution pure et simple de ces institutions. Mais il fallait attendre pour voir au bout du rouleau quelle serait son attitude face à la situation concrète. Eh bien le jour où la question s’est posée, malgré toutes ses menaces, malgré toutes ses déclarations, je constate que malgré sa posture, l’opposition est allée voter et d’ailleurs elle a accepté d’envoyer ses délégués dans les bureaux de vote même si elle avait refusé de prendre sa place au sein de la CENI. Dans la composition de la CENI, il y a cinq représentants de l’opposition et cinq représentants de la majorité et d’autres structures sont également représentées. Les membres de l’opposition viennent seulement cette semaine de prendre leurs places au sein de la CENI. Un décret du président de la République portant nomination des membres de la CENI a été signé la semaine dernière et, parmi les personnes nommées, il y a les cinq membres de l’opposition. C’est dire que l’opposition a accepté ce qu’elle a systématiquement refusé au cours du processus électoral. Je constate que les élections se sont déroulées conformément au code électoral et les autres lois de la République.  Il faut s’en féliciter.

Niger Inter Hebdo : Le second tour des élections opposera, plaise à Dieu, Mohamed Bazoum et Mahamane Ousmane. En tant que grand témoin de l’histoire politique du Niger, de la Conférence nationale souveraine à aujourd’hui, que dites-vous sur ces deux leaders qui disputeront le second tour de la présidentielle le 21 février prochain ?

Sanoussi Tambari Jackou : Dans ma réponse ne vous attendez surtout pas à ce  que je dise du mal sur l’un ou l’autre des candidats qui sont tous des frères pour moi. Mahamane Ousmane est un ami, un camarade avec lequel nous avons créé le CDS Rahama, ce parti qui l’a porté au pouvoir en 1993, à travers l’Alliance des forces pour le changement (AFC). Mes rapports avec lui ont toujours été plus ou moins bons. Lorsque je me retrouve avec Mahamane Ousmane, on cause avec une certaine aise qu’on ne trouve pas quand je discute avec d’autres personnalités politiques. Quand Mahamane Ousmane était président de l’Assemblée nationale et que moi j’étais député de l’opposition, chaque fois qu’il voyageait, il avait du plaisir à m’inviter pour voyager avec lui. Et puis il s’est trouvé qu’au niveau de l’Assemblée nationale on a des groupes de travail international et africain où on se retrouve au moins deux fois par an comme par exemple à l’Union internationale des parlements (UIP). C’était toujours un plaisir pour nous de nous retrouver. Je dirais qu’entre lui et moi les rapports ont été bons sauf à un moment donné. Il faut mettre ça sur le compte de certaines relations de Mahamane Ousmane à la CDS Rahama et aujourd’hui au RDR Tchandji.  Je crois que ce sont ces personnes qui ont fait que la majorité des membres fondateurs du CDS Rahama l’ont quitté. Et puis il faut retenir que Mahamane Ousmane a souvent des comportements très subjectifs dans la gestion du parti de sorte que les camarades n’étaient pas considérés, associés ou récompensés proportionnellement à leurs efforts. Je crois que c’est à cause de cela que beaucoup de camarades des années 2004, qui étaient de très bons militants, de très bons responsables, ont quitté le CDS pour créer le RSD Gaskia. On dit que le CDS Rahama est un parti très démocratique mais je dis que c’est la gestion patrimoniale de Mahamane Ousmane qui a diminué le caractère démocratique de ce parti puisque d’autres camarades étaient écoutés et d’autres, méprisés. Je peux dire que Mahamane Ousmane aurait pu rester le leader du plus grand parti ou du second parti du Niger, s’il n’y avait pas des gens autour de lui capables de le monter contre d’autres frères et camarades valeureux au sein du CDS Rahama. Mais malgré tout, il a maintenu des bons rapports avec des gens. Moi je peux à n’importe quel moment rencontrer Mahamane Ousmane, discuter fraternellement et de manière la plus amicale possible avec lui. Il faut retenir que la gestion de Mahamane Ousmane a subi les conséquences des mauvaises attitudes de ses amis dont certains sont encore avec lui et d’autres partis ailleurs. La preuve est que son plus grand ami qui pratiquement l’opposait aux autres, ce grand ami qu’on a considéré à tort comme un inconditionnel, Monsieur Abdou Labo pour ne pas le nommer, a fini par lui arracher le CDS Rahama.

A propos de Mohamed Bazoum, je dis que c’est quelqu’un de très simple. Bazoum ne sait pas mentir, il ne sait pas faire des zigzags, il ne sait pas tromper son vis-à-vis.  Il est tout droit et il dit les choses et ce qu’il en pense. Cela évidemment, en politique, joue de mauvais tours. Disons que ce n’est pas souvent bon pour un homme politique. Je pense que Bazoum c’est quelqu’un de bien. C’est vrai que, souvent, il a un langage cassant. Des fois, il prend le devant pour faire des commentaires sur des situations données, situations sur lesquelles personne ne s’est prononcé. C’est toujours Bazoum qui se prononce le premier ce qui provoque souvent des mésententes entre lui et certaines personnes. Les hommes francs il faut toujours les aimer, les hommes francs, il faut toujours accepter leur franchise et il faut toujours travailler avec. Et je crois que Bazoum est très franc et comme c’est quelqu’un de très cultivé, je ne pense pas qu’on en trouve cinq aussi cultivées que Bazoum au sein de la classe politique nigérienne. J’ai eu à affronter Bazoum en tant qu’opposant, on a assisté à des conférences contradictoires et j’ai pu peser la valeur de l’homme politique Bazoum et de sa vaste culture politique que beaucoup de Nigériens n’ont pas. Par rapport à ça, il faut vraiment l’en féliciter. Que Bazoum soit le second personnage d’un parti qui s’appelle le PNDS Tarayya et qu’il soit devenu le leader N°1 de ce parti, cela ne m’a guère étonné. Au contraire, il est bien récompensé par ses camarades. Bazoum a été traité à sa juste valeur et il a joui de la considération qu’il mérite au sein du PNDS et aujourd’hui ce n’est que récompense faite à quelqu’un qui est resté constant et combatif. La plupart des combats du PNDS, c’est Bazoum qui les a menés parce que, lui, il est direct, contrairement à Issoufou qui fait montre souvent de retenue. Bazoum aime monter directement sur la scène et il fait le combat. Ce n’est pas un défaut mais plutôt, à mon sens, une qualité dont il faut se féliciter.

Niger Inter Hebdo : A en croire le député Issaka Manzo du RDR Tchandji, si Mahamane Ousmane est élu, il va dissoudre l’Assemblée nationale pour réviser la constitution et réduire le nombre des députés de 171 à 113. Or, le PNDS Tarayya et ses alliés disposent de la majorité parlementaire. En tant que témoin de la cohabitation qui a opposé Mahamane Ousmane et Hama Amadou, quelle est votre opinion sur ce régime pour notre pays ?

Sanoussi Tambari Jackou : À mon avis, il ne faudrait pas prendre au sérieux certains propos tenus par certains militants des deux candidats. Il ne faut pas non plus écouter certains extrémistes. Sur cette terrasse (NDLR : son salon extérieur transformé en fada), les gens de toutes les sensibilités (opposition, majorité et société civile) viennent pour débattre sur des questions nationales, mais on assiste souvent à des débordements. Et, souvent, ces individus qui provoquent ces débordements ne sont ni responsables au premier degré ni au second degré. Ils sortent des choses catastrophiques.

En ce qui concerne la cohabitation, je dis que la gestion gouvernementale la plus dangereuse est celle-là. Vous avez vu la France a vécu deux cohabitations : une entre Mitterrand et Chirac et l’autre entre Chirac et Lionel Jospin. Et ça s’est toujours mal terminé, bien que les Français soient rompus dans la gestion. Quand vous avez deux camps, fronts politiques, qui se trouvent obligés de gérer ensemble, chacun va essayer de s’imposer ou de tirer la couverture sur soi. Cela provoque des désagréments et souvent des conflits mais quand on a des personnes responsables, il y a moins d’étincelles.  Mais quand c’est des personnes très subjectives, évidemment que cela peut plonger le pays dans une incertitude voire le chaos. Et je dis que la cohabitation que nous avons connue en 1995 est le régime le plus catastrophique que le Niger ait jamais eu. Au moment de la mise en place du régime de cohabitation nous avions connu beaucoup de difficultés. En ce moment-là et bien avant, la gestion du pays a pris un caractère patrimonial. Je pense d’abord à la gestion de l’Alliance des forces du changement (AFC), notre propre coalition au pouvoir en 1993, avec un président de la République élu par les partis de l’AFC, un président de l’Assemblée élu à l’unanimité des députés et un Premier ministre nommé conformément à la Constitution et aux textes de la République, même en ce moment, dis-je, il y avait des choses qui grinçaient parce que c’était le début de la gestion des forces démocratiques. Et, à un certain moment, chacun des trois personnalités, au sommet de l’État, se prenait pour un chef d’État et y était encouragé par les gens de son entourage. Quand vous avez des situations pareilles, eh bien la machine ne peut pas ne pas grincer. Et, malheureusement, après cela, nous sommes tombés dans la cohabitation et la cohabitation c’était un régime produit par le divorce au sein de la coalition AFC accompagné d’un sentiment de mépris, de haine et de vengeance entre différents responsables et c’est pour cela que ça a très mal tourné. Quand Mahamane Ousmane avait dissous l’Assemblée, après être entré en conflit avec le PNDS Tarayya, il était certain que ce parti chercherait à se venger, tout comme la CDS Rahama cherchait à résister et à parer tous les coups que le PNDS pourrait lui asséner, et même à se venger. C’est dire qu’à la base même c’est ce sentiment d’adversité aiguë qui a fait naitre la cohabitation. On est allé aux élections législatives anticipées et on a perdu la majorité de très peu. Et la nouvelle majorité (constituée du MNSD, du PNDS et de ses autres alliés) voudrait gérer le pays de telle façon à montrer à Mahamane Ousmane qu’il n’est rien et que c’est eux qui avaient raison. Ce qui est vrai d’ailleurs, puisque, dans le cadre d’une cohabitation, le président de la République n’a pas beaucoup de pouvoir. Le pouvoir appartient au Premier ministre et chef du gouvernement, appuyé par sa majorité à l’Assemblée nationale. Ce qui crée forcément un sentiment d’animosité entre les deux camps au pouvoir. A partir de février 1995, quand le gouvernement de cohabitation est installé avec à sa tête Hama Amadou, il s’est comporté de telle manière que nous qui étions de la minorité avions l’impression qu’il voulait nous manger crus. Et ça s’est traduit par beaucoup d’arrestations. Il y avait beaucoup de nos camarades qui ont été arrêtés pour un oui ou pour un non. C’est ainsi qu’un jour du moins de juin 1995, le Premier ministre Hama Amadou a envoyé des forces de l’ordre pour chasser les directeurs généraux de société et d’économie mixte avec l’ordre de ne pas les laisser prendre même un Bic ! C’était une situation d’humiliation que nous avons ressentie comme telle et, moi, personnellement, elle m’est restée sur le cœur pendant longtemps au point où quand Baré a fait son coup d’Etat au point que les ‘’cohabités’’ étaient dans l’obligation de se rassembler pour combattre Baré, moi j’ai dit, c’était au siège du MNSD : « Vous-là, vous nous avez mal traités, vous nous avez humiliés, c’est à peine si vous nous avez laissé respirer l’air du temps ». Et j’ai dit : « Toi, Hama Amadou, tu as envoyé des policiers et des gendarmes chasser nos camarades comme de vulgaires malfrats, eh bien nous saurions vous suivre tant vous ne nous présenterez pas des excuses. » Hama Amadou était ainsi obligé de nous présenter ses excuses par rapport à sa gestion de la cohabitation.

 Et, par la suite, dans le cadre de cette cohabitation, le Premier ministre Hama Amadou refusait systématiquement tous les moyens possibles de gestion de l’État au président de la République, chef de l’État. Le Premier ministre dispose de tous les moyens de la gestion de l’État. C’est vous dire qu’une cohabitation au Niger, surtout dans les circonstances actuelles, ne peut être que catastrophique. Je vous dis que, si jamais il y a une cohabitation avec un Mahamane Ousmane comme président de la République et le camp de Bazoum avec la majorité parlementaire et le gouvernement, eh bien ça ne va pas marcher. Il y en aura des histoires comme nous en avons les prémices actuellement. Et surtout qu’il y a des petites gens qui ne vont pas faciliter les choses. Quand ça ne marchera pas, ça peut finir par soit une insurrection soit par un coup d’État. Il n’y a aucun doute que c’est la cohabitation de 1995 qui a provoqué le coup d’État de Baré. Ce coup d’État est un coup qui a été préparé par les gens de l’extérieur, en association certainement avec des gens de l’intérieur. et je vais vous dire pourquoi. En effet, entre octobre et novembre 1994, après la dissolution de l’Assemblée nationale, il y a eu des élections anticipées en janvier 1995. Eh bien en janvier 95 après la session parlementaire, nous nous sommes dispersés. Moi je suis allé chez dans mon village à Kornaka. Nous étions en vacances parlementaires et j’étais là-bas quand on m’a appelé dare-dare pour revenir à Niamey. On m’a notifié que je dois venir à Niamey, en urgence, sans me dire qui m’appelle et pourquoi. Je suis venu et, à ma grande surprise, on me dit que, ce soir-là, il y avait un dîner chez un Français-là, en face du siège de l’Association des chefs traditionnels. Il y avait, à ce dîner, certains compatriotes et des Français. Et le personnage central de cette rencontre était le ministre français de la Coopération de l’époque à savoir Michel Roussin. C’était donc lui qui avait organisé ce dîner avec l’ambassade de France. Et la conversation tournait autour de la cohabitation. Les gens s’adressaient beaucoup à moi en me demandant : « Est-ce que ça va marcher, est-ce le président de la République va être plus sage ? » …. J’étais absolument enquiquiné par ces questions, mais en réalité ce dîner n’avait d’autre objet que celui d’apprécier la cohabitation au Niger. C’est, en réalité, au cours de repas-là, que le coup d’Etat avait été décidé.

C’est dire qu’il faut faire extrêmement attention, si une cohabitation ne marche pas il n’y a pas que les acteurs, il y a également les observations de la cohabitation qui peuvent jouer un rôle décisif. Et il y a des gens qui sont susceptibles de préparer des complots, sous prétexte que la cohabitation ne marche pas. C’est dangereux de gérer une cohabitation, et, lorsqu’on la gère, il faut le faire avec beaucoup de doigté de telle façon que ça ne donne pas l’impression de déchirer le pays.

Niger Inter Hebdo : les adversaires de Bazoum n’ont rien trouvé contre lui que de nier sa nationalité d’origine. Selon vous ce débat ne constitue-t-il pas une régression démocratique au Niger ?

Sanoussi Tambari Jackou : Sur ce débat, je l’ai dit à plusieurs reprises au cours de conversations. Vous pouvez vous référer à mon bonhomme Nouhou Arzika. Je connais sa position, et il connait la mienne. Moi, je dis que c’est malheureux, surtout pour nous les Africains et surtout les Africains de l’Afrique de l’Ouest. Nous avons régressé sur le plan du panafricanisme et de l’Unité africaine, par rapport à nos aînés de 1960, et même à certains de leurs successeurs. Il faut rappeler d’ailleurs qu’il y avait dans les années 1958 à 1960 des responsables qui ne sont pas issus des territoires dont ils étaient responsables. Au Tchad par exemple, le Premier ministre et chef du gouvernement, en 1959, était un Antillais du nom de Gabriel Lisette, qui était d’ailleurs retourné, par la suite, dans son pays d’origine. Ici même, au Niger, combien de responsables venus d’autres territoires avons-nous eus ? Vous vous rappelez un grand parlementaire africain, Gabriel d’Arbousier, un descendant d’El Hadj Omar, qui était député du Niger à Tahoua ? Pourtant, c’est le fils d’un gouverneur et de mère malienne. Au niveau des partis politiques et de l’administration, il y avait des responsables qui ont eu à exercer de hautes fonctions sans être des Nigériens, et cela n’a jamais été un problème. Que nous ayons oublié tout cela et que nous en arrivions à nous contester les uns les autres, je dis que c’est une régression. Moi, je ne discute pas de cette question de nationalité. Pour moi, s’il y a un bon Africain qui arrive à bien gérer notre pays, qu’il soit de la Guinée Bissau, du Katanga ou du Biafra, je ne vois pas pourquoi je ne vais pas composer avec lui. Nous avons des partis politiques auxquels nous avons donné des noms à consonance panafricaine et nous nous targuons d’être des panafricains mais qui ne sont, en réalité, ni africains ni amoureux de la fraternité africaine. C’est malheureux, nous sommes en train de régresser. Comment est-ce moi je vais aller me balader idéologiquement jusqu’à contester la nationalité de quelqu’un ? C’est vraiment dommage. Et puis, il faut faire attention aux textes de la République. Dans le cadre de la gestion des populations nomades, la France qui administrait les pays comme l’Algérie, la Mauritanie, le Soudan, la Haute, le Niger, etc., il y avait un texte qui disait que tout ressortissant d’une population nomade qui enjambe la frontière pour venir s’installer dans un autre territoire peut être considéré comme ressortissant de ce territoire. À l’époque, les Bororos du Tchad ou les Touaregs du Mali ou de Libye étaient recensés comme des Nigériens. Et comme vous le savez, jusqu’en 1945, nous étions des indigènes puis des Français. Que vous veniez de Libye, de l’Algérie ou de Haute Volta, si vous atterrissez au Niger, vous êtes traité comme un Nigérien et on va vous recenser en tant que Nigérien. Mieux que ça, actuellement, il y a des Touaregs du Mali au Niger dont le chef de groupement est d’Asango au Mali. Ces Touaregs du Mali sont arrivés au Niger à l’occasion de la famine de 1973-1974 et leur chef de groupement qui est à Asango a envoyé son fils pour qu’il vienne gérer les Maliens nigériens installés dans la zone de Tillabéri. Et, finalement, ce jeune chef et ses compatriotes maliens au Niger ont été considérés comme des Nigériens et on leur a créé un groupement dont le chef-lieu est Inatès. Les Touaregs d’Inatès sont des Maliens qui sont venus à partir de 1973. Qui oserait dire à ces Touaregs d’Inatès qu’ils ne sont pas des Nigériens ? Et, tout récemment, en 2006, il y a des Arabes qui étaient arrivés du Tchad, du Soudan et qui ont envahi le territoire de N’guiguimi. Les populations locales avaient demandé de les chasser et le président Tandja avait décidé de les chasser, nous nous sommes saisis de cette question au niveau de l’Assemblée nationale, nous avons dit niet on ne va pas les chasser et Tandja était obligé de se plier au diktat du parlement. Et, aujourd’hui, ces Arabes sont nigériens. Je pense qu’un Africain doit être considéré comme tel dans tous les pays africains. Si Lumumba ou Sankara étaient venus ici est-ce qu’on ne les aurait pas acceptés comme nigériens ? Pour moi, Issoufou Mahamadou, Hama Amadou, Max, Bazoum, Tchiana et tous les autres leaders politiques sont des Nigériens. Je considère que le débat sur la nationalité de Bazoum n’est qu’un débat circonstanciel. C’est, comme on dit, qui veut tuer son chien l’accuse de rage.

Interview réalisée par Elh. M. Souleymane et Abdoul Aziz Moussa

Niger Inter Hebdo N°004