La tumultueuse cohabitation de 1995, qui a opposé les tourtereaux d’aujourd’hui, à savoir Mahamane Ousmane et Hama Amadou, n’a pas fini de révéler ses secrets. Rappelons qu’au moment de la cohabitation infernale, Mahamane Ousmane était Président de la République et Hama Amadou Premier ministre. Par excès de pouvoir, Hama Amadou a osé franchir le Rubicon, en signant deux décrets, en lieu et place du Président de la République. Par arrêt décrets N° 95 – 119/bis/ PM et 95 -119/ter/PM du 6 juillet 1995 de Monsieur le Premier ministre mettant fin aux fonctions d’un certain nombre de Directeurs généraux des Offices et Sociétés d’État d’économie mixte. La Cour suprême a fini par annuler ces décrets qui en disent long sur l’excès de pouvoir et le caractère iconoclaste de l’ancien Premier ministre. La mauvaise attitude de ces deux responsables au sommet a eu pour conséquence de bloquer l’appareil d’État. Retour sur cette sombre période de notre processus démocratique.
Parmi les hauts faits de Hama Amadou comme Premier ministre de la cohabitation infernale, on peut citer au moins trois : son mépris pour le Président de la République ; il a présidé un Conseil des ministres et procédé à des nominations par décrets en toute illégalité ; il a envoyé des policiers armés déloger manu militari des directeurs généraux de sociétés régulièrement nommés par le Chef de l’État.
Cohabitation tumultueuse
Cette parenthèse a été largement évoquée par Sanoussi Tambari Jackou dans l’interview qu’il a accordée à votre journal (Niger Inter Hebdo N°004). Dans un dossier consacré à cette cohabitation, on peut lire dans l’introduction de la Revue Niger Rétrospectives :
« Le Président Mahamane Ousmane et le Premier ministre Hama Amadou, engagés dans une expérience de cohabitation tumultueuse, se livrent tour à tour une guerre sans merci … une guerre émaillée de coups bas, de mesquineries, de manipulations et de fréquentes violations des textes fondamentaux. La cour suprême, appelée trop souvent à se prononcer sur des actes posés par l’un ou l’autre des antagonistes, parfois dans la plus parfaite illégalité, avait fini par être excédée. Tout cela a eu pour conséquence de bloquer l’appareil d’État, à un moment où celui-ci avait justement besoin de sérénité pour calmer la rébellion touarègue, et renouer avec les institutions de Bretton Woods ».
En ce qui concerne Mahamane Ousmane, au lieu de tirer toutes les conséquences d’avoir organisé des élections anticipées qu’il a perdues, il a plutôt préféré ‘’se tourner vers les conseillers juridiques occidentaux qui lui disent ce qu’il a envie d’entendre : il peut ne pas nommer le candidat que lui imposent ses adversaires’’, écrivait Jean-Baptiste Placca dans Jeune Afrique Économie.
Il a fini par nommer Amadou Boubacar Cissé, à l’époque fonctionnaire à la Banque Mondiale et militant du MNSD Nassara, au lieu de Hama Amadou proposé par la nouvelle majorité. ‘’Contraint et forcé, le chef de l’État se résout, enfin, à nommer Hama Amadou. Les deux hommes, qui se détestent le plus à Niamey, vont devoir cohabiter. C’est le commencement de la fin pour l’expérience démocratique’’.
Cette expérience inédite pour notre pays ne saurait prospérer pour la simple et bonne raison que la haine et le mépris des uns à l’égard des autres constituent les sources du blocage de l’appareil d’État. Ce qui a provoqué une autre intrusion de l’armée avec le général Ibrahim Baré Mainassara.
‘’La cohabitation infernale’’
Mahamane Ousmane a ‘’démocratiquement’’ dissous l’Assemblée nationale lorsque le contrôle de celle-ci lui a échappé. Il a anticipé et organisé des élections contre l’avis de l’immense majorité des citoyens qui le suppliaient de ne pas le faire. Il a fait emprisonner quelques députés et tous les leaders de l’opposition. Il a refusé de reconnaitre le verdict des urnes, à l’issue des élections législatives anticipées du 12 janvier 1995, et a fait venir un célèbre avocat français, Maître Jacques Vergès, pour mettre en cause l’arrêt de la Cour suprême de son pays, renseigne Niger Rétrospectives. Et l’histoire retient que Mahamane Ousmane n’a pas su tirer les conséquences d’avoir été désavoué par le peuple souverain qui a lui a refusé la majorité à l’Assemblée nationale.
« Quand, dans un régime semi-présidentiel, la Mouvance présidentielle devient minoritaire à l’Assemblée nationale, on parle alors de COHABITATION. C’est-à-dire que deux légitimités, consacrées par les urnes, doivent co-exister, cohabiter. En termes clairs, l’exécutif, peu ou prou, affiche un certain bicéphalisme, qui, du fait des deux camps antagoniques, voit ses actions sinon bloquées, du moins fortement perturbées. (…) Dans son principe donc, toute cohabitation présuppose des tiraillements inévitables entre le chef de l’exécutif qui se trouve être le Président de la République, et le chef du gouvernement, soutenu par une majorité parlementaire. Théoriquement la loi fondamentale détermine le champ d’action de chacun des deux acteurs, et si nécessaire, le pouvoir judiciaire, notamment à travers la Cour suprême, se chargera, de dire le droit. Ainsi, est écarté, toujours théoriquement, tout dysfonctionnement de l’appareil d’État. Malheureusement sur le terrain, et au quotidien, quelques embûches et obstacles jalonnent le parcours », selon l’auteur de ‘’La face cachée du FRDDR’’.
À l’épreuve des faits, la cohabitation s’avère un régime compliqué même dans les pays imprégnés d’une culture démocratique comme la France. Et il était établi que, dans la sous-région, le cas du Niger était inédit. Il n’y a donc pas de référence pour s’en inspirer. C’est que Mahamane Ousmane et Hama Amadou ont offert aux Nigériens ce spectacle d’une politique ignoble de haine et de mépris. Une cohabitation infernale qui a dégouté plus d’un républicain de ce régime.
La Cour suprême annule les décrets de Hama Amadou…
Le choix de Hama Amadou n’était pas un choix fortuit. Feu Tandja Mamadou avait traduit ce choix en ces termes hausa : ‘’ zomon zamani sai karen zamani ’’. Autrement dit face aux intrigues d’Ousmane, il faut un Hama Amadou qui a le profil qu’il faut pour relever le défi. « Hama Amadou n’a pas été imposé comme Premier ministre, par hasard. La nouvelle majorité, dans sa logique de reconquête de tout le pouvoir, avait besoin d’un homme qui puisse non seulement tenir tête au Président Ousmane, mais surtout l’acculer dans ses derniers retranchements. Et Hama Amadou répondait, point par point, à ce profil. Sans mettre en doute ses qualités propres, il est aisé de démontrer qu’il n’était que l’instrument d’une volonté déterminée à réduire Mahamane Ousmane à sa plus simple expression ».A
C’est ainsi qu’il a acculé le Président Ousmane jusqu’à l’amener à ‘’observer des grèves’’ de la présidence du Conseil des ministres. Malgré tout, la loi ne donne pas au Premier ministre le pouvoir de signer des décrets. Et pourtant Hama Amadou avait franchi le Rubicon en signant ‘’les décrets N° 95 – 119/bis/ PM et 95 – 119/ter/PM du 6 juillet 1995 de Monsieur le Premier ministre mettant fin aux fonctions d’un certain nombre de Directeurs généraux des Offices et Sociétés d’État d’économie mixte ainsi que contre les actes pris à l’issue du Conseil du 4 août 1995 consacrant la nomination de Directeurs généraux des Offices, Sociétés d’État et d’économie mixte, de Secrétaires généraux des préfectures et d’autres hauts fonctionnaires de l’État’’.
En effet, Hama Amadou, après avoir signé ses décrets illégaux, a envoyé des policiers armés déloger manu militari des directeurs généraux de sociétés régulièrement nommés par le Chef de l’État. Mais la Cour Suprême ‘’statuant sur le recours en annulation pour excès de pouvoir introduit suivant requête en date du 1er Septembre 1995 par Son Excellence Monsieur le Président de la République’’ a finalement annulé les décrets de Hama Amadou.
En substance, par ARRET N° 96- 008 / A du 14 FÉVRIER 1996, la Chambre administrative de la Cour suprême, statuant en matière de recours pour excès de pouvoir, le 14 février 1996, a annulé les décrets N°95-11/bis/PM et 95-119/ter/PM du 6 juillet 1995 du Premier ministre… Hama Amadou.
Elh. Mahamadou Souleymane
Niger Inter Hebdo N°005