DECLARATION DE LA MISSION D’OBSERVATION ELECTORALE DE WANEP-NIGER

  1. Du Contexte de l’élection présidentielle couplée aux législatives du 27 décembre 2020

 

Le dimanche 27 décembre 2020, les Nigériens se sont rendus aux urnes pour l’élection du Président de la République ainsi que les représentant (e)s à l’Assemblée Nationale dans un contexte de crise sanitaire doublée d’une crise de confiance entre les acteurs politiques et à un déficit de dialogue.

En dépit des efforts diplomatiques pour aboutir à une élection plus inclusive et apaisée, le processus électoral s’est déroulé sur la controverse au sujet de la nationalité d’origine de M. Mohamed BAZOUM, conformément à l’article 47 de la Constitution.

La Cour a déclaré inéligible aux élections présidentielles onze (11) candidatures dont celle de M. Hama Amadou, Chef de file de l’opposition conformément aux articles 8, 123, 128 et 134  du Code électoral.

Malgré le contexte sécuritaire préoccupant et la recrudescence de la COVID-19 qui secoue le monde entier, les Nigériens se sont rendus aux urnes.

Dans le cadre de la coordination et du déploiement de ses observateurs, la Cellule de Veille Electorale (CVE), installée à l’hôtel Noom de Niamey, publie dans la présente déclaration ses constats préliminaires au terme de l’observation des opérations de vote et de dépouillement des voix. La Cellule de Veille Electorale va continuer à suivre l’évolution du processus électoral à l’issue duquel elle produira une évaluation détaillée de la conduite de celui-ci dans un rapport final.

  1. Objectifs et Méthodologie de la Mission d’observation du WANEP-Niger

 

A travers ses trois chambres, la Cellule de Veille Electorale (CVE) a pour mission de collecter des informations et d’analyser la régularité et la transparence des scrutins du dimanche 27 décembre 2020.

Le WANEP-Niger a organisé, pour ses 350 observateurs, une séance d’orientation en vue de mettre à leur disposition des informations sur la méthodologie d’observation des élections y compris sur l’utilisation de la grille d’observation le jour des scrutins selon une cartographie des zones à risque et tendances du système d’alerte Précoce de WANEP-Niger en collaboration avec les organisations de la société civile.

  • Constatations préliminaires: observations pré-électorales
  1. Contexte

L’élection présidentielle du 27 décembre 2020 est la troisième organisée par le Niger depuis 2011. Cette élection intervient après l’organisation des élections locales et régionales du 13 décembre 2020. Ces deux scrutins sont marqués par la rupture du dialogue entre les acteurs politiques. Aussi, des divergences sont apparues autour de la composition de la CENI, de la Cour Constitutionnelle et du Code électoral.

  1. Cadre légal

Le cadre juridique électoral du Niger se présente comme suit :

  • Constitution de la 7ème République du Niger (25 novembre 2010) ;
  • Loi organique n° 2017-64 du 14 août 2017 portant Code Electoral du Niger modifiée et complétée par la loi 2019-38 du 18 juillet 2019 ;
  • Loi organique n° 2012-35 du 19 juin 2012 déterminant, l’organisation, le fonctionnement de la Cour Constitutionnelle et la procédure suivie devant elle;
  • Loi organique n° 2013-02 du 23 janvier 2013 déterminant la composition, l’organisation, les attributions et le fonctionnement du Conseil d’Etat ;
  • Loi organique n° 1820-31 du 1er juin 2018 fixant l’organisation et la compétence des juridictions en République du Niger ;
  • Loi n° 2012-34/ du 07 juin 2012 portant composition, attributions, organisation et fonctionnement du Conseil Supérieur de la Communication (CSC) ;
  • Ordonnance n° 2010-84 du 16 décembre 2010 portant Charte des partis politiques ;
  • Loi n° 2019-69 du 24 décembre 2019 modifiant et complétant la loi 2000-008 du 07 juin 2000 instituant le système de quota dans les fonctions électives, au gouvernement et dans l’administration de l’état ;
  • Loi portant sur le nombre des députés par région, par circonscription électorale ;
  • Décret n° 2016-077/PRN/MISP/D/ACR du 26 janvier 2016 fixant le nombre de sièges par Conseil municipal ;
  • Décret n° 2016-078/PRN/MISP/D/ACR du 26 janvier 2016 fixant et modifiant le Décret n°2010-678/PCSRD/MISD/AR du 07 octobre 2010, fixant le nombre de sièges par Conseil régional ;
  • Décret n° 2016-079/PRN/MISP/D/ACR du 26 janvier 2016 modifiant le Décret n°2010679/PCSRD/MISD/AR du 07 octobre 2010, fixant le nombre du siège par Conseil de ville et d’arrondissement communal.

  1. Des préparatifs de l’élection du 27 décembre 2020
  2. Au titre de la liste électorale biométrique et des cartes d’électeurs 

La révision du fichier électoral biométrique a produit une liste définitive de 7.446.556 électeurs, soit un taux de réalisation de 76,36 %, dont 4.093.291 femmes (55%) et 3.353.265 hommes (45%) qui ont choisi leurs représentants à travers 25.978 bureaux de vote.

Au cours de ces scrutins, les cinq (5) sièges de la diaspora ne seront pas pourvus en raison de la non-inscription des Nigériens de l’extérieur du fait de la pandémie de Covid-19. Les votes se sont déroulés au niveau des 8 circonscriptions ordinaires (régions) et des 8 circonscriptions spéciales dans le but d’assurer la représentation des minorités ethniques au sein du Parlement nigérien.

L’opération de distribution des cartes d’électeurs s’est déroulée malgré un contexte de méfiance portant entre autre chose, sur la fiabilité de la carte biométrique et sur l’effectivité de la distribution des cartes dans toutes les localités. Mais, la CENI, a pu, tant bien que mal, distribuer les cartes d’électeurs.

 

  1. Au titre des candidatures 

 

Sur 41 candidatures enregistrées aux élections présidentielles, 30 ont été retenues par la Cour Constitutionnelle par arrêt n°005/CC/ME du 13 novembre 2020 conformément aux articles 123 et suivants du Code électoral. Il est à noter qu’aucune candidature féminine n’a été enregistrée.

Dans le cadre des élections législatives, la Cour a validé 4.205 candidats issus de 94 formations politiques pour briguer une place élective à l’Assemblée Nationale.

  1. Administration électorale

L’article 6 de notre loi fondamentale consacre la CENI au rang d’Institution constitutionnelle de la République du Niger. Conformément à l’article 5 du Code électoral, la CENI est juridiquement responsable de la gestion du processus électoral depuis l’inscription des électeurs sur la liste électorale biométrique, jusqu’à la proclamation des résultats provisoires ; elle est dotée de la personnalité juridique et de l’autonomie financière.

Elle est techniquement appuyée par le Ministère de l’Intérieur.

Un différend entre le Pouvoir et l’Opposition sur le processus électoral, notamment sur le Code électoral, ainsi que sur la composition de la Commission Electorale Nationale Indépendante et de la Cour Constitutionnelle, reste toujours d’actualité. L’opposition accuse ces deux Institutions de la République d’être majoritairement composées des militants du principal parti au pouvoir.

Le WANEP-Niger a noté que, nonobstant l’absence des représentants de l’opposition au niveau national, la CENI a pu organiser les scrutins conformément à son chronogramme.

  1. Education et sensibilisation des électeurs

L’éducation et la sensibilisation des électeurs s’est faite conformément au cadre légal en vigueur dans le pays. Cela, pour favoriser une meilleure mobilisation des électeurs. Toutefois, les observateurs ont rapporté que plusieurs électeurs n’ont pas maitrisés les techniques de vote.

Mais globalement, les populations ont été bien informées sur les enjeux des deux scrutins.

 

  1. Participation de la femme

Le WANEP-Niger a noté l’implication relativement importante des femmes dans les activités de la société civile. On retient de nombreuses dispositions du cadre juridique visant une meilleure implication des femmes dans le processus de prise des décisions.

Cependant, en dépit de ces efforts louables, le WANEP-Niger a noté que la participation politique de la femme reste à renforcer ; à titre illustratif, aucune candidature féminine n’a été enregistrée à cette élection présidentielle.

  1. Campagne électorale

Dans l’ensemble, la campagne électorale a été pacifique et s’est déroulée dans un climat de sérénité malgré quelques cas de violence physique et verbale. Aucune violence majeure entre acteurs du jeu politique n’a été relevée.

La campagne pour l’élection présidentielle a démarré le samedi 5 décembre à 00 heures pour une durée de trois semaines et a clôturé le 25 décembre 2020 à minuit. Elle a vu la participation des trente (30) candidats pour la présidentielle ainsi que tous les partis politiques et candidats inscrits pour les législatives.

  1. Société civile

La société civile joue un rôle essentiel dans le suivi du processus électoral au Niger. Ses membres maîtrisent le terrain et en comprennent mieux les acteurs. Elle constitue l’ossature de l’observation électorale nationale et internationale afin d’assurer le suivi citoyen à tous les niveaux du déroulement du processus électoral.

  1. Médias

Les médias ont joué un rôle important de socialisation politique au sein de la société nigérienne. Les médias publics, sous la supervision du Conseil Supérieur de la Communication (CSC) ont octroyé des temps d’antenne équitable aux candidats en lice pour assurer l’équité et l’égalité.

En plus des médias classiques, les Technologies de l’information et de la communication ont été mobilisées de façon déterminante lors de ces deux scrutins. En dépit de quelques discours inappropriés teintés de mépris, de haine, de régionalisme et d’ethnocentrisme constaté par le WANEP-Niger, la couverture médiatique s’est tenue dans un esprit de grande responsabilité tant auprès des acteurs médiatiques que politiques, voire de la Société Civile.

  1. Au titre des dispositions sécuritaires 

 

Un important dispositif sécuritaire a été déployé sur le terrain matérialisé par la présence de plusieurs éléments des Forces de Défense et de Sécurité (FDS). Ce dispositif est plus renforcé dans les zones d’insécurité.

  1. Du déroulement des opérations de vote
  2. Ouverture des bureaux de vote

De manière générale, les bureaux de vote ont ouvert à temps. Sur les 350 observateurs déployés par WANEP-Niger, tous ont pu effectivement observer les opérations d’ouverture des bureaux de vote.

Quelques incidents ont été rapportés par les observateurs. Sur les 384 bureaux de vote d’où ils ont pu remonter des données, 141 ont ouvert à l’heure soit 49,65%. Les retards les plus importants ont été observés, par exemple dans l’Arrondissement Communal Niamey I et au Centre Goudel où le BV 167 a ouvert à 9h12. Dans la ville de Tillabéry, quartier Daye Béri, le BV10 a ouvert à 9h00.

  1. Déroulement des scrutins

Dans la plupart des bureaux de vote couvert par les observateurs du WANEP-Niger, l’aménagement des bureaux permettait la fluidité du vote des électeurs. Les scellés étaient correctement mis aux urnes et les électeurs ont accompli leur devoir civique suivant les procédures légales de vote.

  1. Matériel électoral

Le matériel était disponible en quantité suffisante dans la plupart des bureaux de vote visités. Néanmoins, quelques manquements liés à l’organisation technique ont été constatés.

  1. Secret de vote

Des isoloirs bien aménagés ont été installés de manière à garantir le secret de vote dans la plupart des bureaux de vote visités. Pas d’irrégularité observée par nos observateurs pendant leur visite à cet effet.

  1. Membres des bureaux de vote

Dans la quasi-totalité des bureaux de vote visités par les observateurs du WANEP-Niger, le nombre du personnel électoral était au complet facilitant ainsi un déroulement fluide du vote.

 

  1. Représentants des candidats

Les observateurs ont noté la mobilisation des délégués représentants des candidats tout au long de la journée du vote, avec en moyenne un représentant par bureau de vote visité.

  1. Fermeture et dépouillement

A l’instar de l’ouverture des scrutins, les opérations de fermeture et de dépouillement se sont déroulées dans un climat de sérénité. Tous les bureaux de vote visités lors du dépouillement ont respecté la durée légale de onze heures.

Malgré les quelques dysfonctionnements constatés, la clôture et le dépouillement des scrutins se sont déroulés de manière satisfaisante.

 

  1. Des incidents, dysfonctionnements et insuffisances

Tout au long du processus, nos observateurs ont transmis 2.824 rapports portant sur l’ouverture, le déroulement et la fermeture des bureaux de vote.

A l’analyse de ces rapports, des dysfonctionnements, des insuffisances de matériel et d’incidents suivants ont été rapportés :

  1. Plusieurs manquements d’ordre technique ayant trait au dysfonctionnement et irrégularités dans le déploiement (absence d’isoloir, listes d’électeurs, encre sèche, urnes) et sur la gestion des bureaux de vote (retard et absence de membres de bureaux de vote). Par endroit, il a été constaté l’indisponibilité d’encre sèche (Niamey Gaweye 1 et 2) et l’insuffisance des bulletins de vote.
  2. Des cas d’incidents d’ordre sécuritaire ont été également constatés par lors des opérations de vote. C’est le cas à Diffa où des coups de feu ont été entendus qui n’ont pas eu d’incidence sur le déroulement des opérations électorales.
  3. A Tillabéry, il a été remonté qu’une attaque a eu lieu à Ouro Guéladjo (Say).
  4. D’autres incidents en lien avec la corruption et l’influence du vote des électeurs ont été remontés dans certains bureaux vote. Il en a été ainsi à Maradi où certains partis politiques ont distribué de l’argent aux électeurs au niveau des centres de vote.

  • De la contribution du WANEP et de ses partenaires

Sur la période pré-électorale, WANEP-Niger et ses partenaires ont, à travers deux projets complémentaires, contribué au ‘’Suivi, Analyse et Atténuation des risques de violence Électorale’’ et à l’amélioration de l’inclusivité des femmes dans le processus électoral. Après la publication d’un document d’analyse (Policy brief) intitulé « Un processus électoral dans un contexte de rupture de dialogue politique et d’insécurité » qui fait ressortir les principaux points de divergences autour du processus électoral et les recommandations pour un processus électoral apaisé, inclusif et consensuel, le WANEP-Niger a, entre autres :

  • déployé, depuis le 22 juillet 2020, 20 moniteurs terrain dans les 08 régions du pays en tenant compte de la cartographie des zones à risques validée lors de l’atelier tenu du 21 au 22 juillet 2020.
  • mis en place un Groupe National de Réponses Électorales qui a tenu trois différentes sessions d’analyse de rapports d’alertes et de facilitation des réponses.

Du 26 au 27 décembre 2020, les différentes contributions pré-électorales ont été renforcées par l’opérationnalisation d’une Cellule de Veille Electorale EMAM (CVE) qui a travaillé en synergie avec le Centre Coordonné pour la Sécurité Électorale des Femmes (COSEF) et la COCEN.

A travers ses quatre chambres respectives à savoir la ‘’collecte des données’’, les ‘’analyses’’, la ‘’facilitation des réponses’’ et la ‘’communication’’, la Cellule de Veille Electorale a reçu et traité 1750 Rapports d’observation.

La Cellule de Veille Electorale a constamment apporté des réponses selon les données d’observation.

La Chambre de décision ou de facilitation des réponses a été saisie de 16 cas d’incidents, irrégularités ou dysfonctionnements pour lesquels elle a régulièrement interagi avec le point focal mis à sa disposition par la CENI.

Dès la clôture de la Cellule de Veille Electorale, le Groupe National de Réponses Électorales reprendra la relève pour le suivi post-électoral.

 

  • Des enseignements tirés
  • Au niveau politique
  • Une rupture du dialogue politique a entrainé une cristallisation des positions ;
  • L’usage particulièrement négatif des réseaux sociaux (désinformation, rumeurs, discours de haine, de mépris et de violences) maintient une atmosphère de tension permanente entre les acteurs politiques.
  1. Des défis et perspectives
  • La restauration du cadre permanent de dialogue politique ;
  • La neutralité et le professionnalisme des Forces de Défense et Sécurité (FDS) durant toute la période électorale.

 

  1. Recommandations

Au regard des craintes et défis évoqués, le WANEP-Niger recommande :

 

Au Gouvernement

  • D’ouvrir le dialogue avec tous les acteurs concernés ;
  • De créer les conditions favorables à une réconciliation nationale durable.

 

A la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI)

  • Centraliser et proclamer les résultats globaux provisoires conformément aux résultats issus des urnes ;
  • D’agir dans le strict respect du cadre légal.

A la Cour Constitutionnelle

  • De faire diligence dans le traitement des contentieux électoraux conformément aux textes en vigueur.

 

Aux partis politiques et aux candidats

  • D’appeler leurs militants à la non-violence ;
  • De recourir au dialogue et aux voies légales pour le règlement des différends post-électoraux.

Aux Forces de Défense et de Sécurité

  • De maintenir l’ordre dans le cadre légal et le strict respect des droits de l’homme.

Aux institutions de protection et de promotion des droits humains

  • D’assumer les devoirs de leurs charges en cas de violation des droits humains.

 

Aux médias et presse en ligne

  • De respecter l’éthique et la déontologie du métier du journaliste ;

Aux utilisateurs des réseaux sociaux :

  • De vérifier les informations avant de les relayer sur les réseaux sociaux afin d’éviter la propagation des rumeurs et des fausses nouvelles.

Aux leaders religieux et traditionnels

  • De respecter les lois et règlements de la République ;
  • De continuer à prêcher la paix et la cohésion sociale.

Le WANEP-Niger adresse ses félicitations à l’ensemble des électeurs pour leur mobilisation exemplaire et pacifique qui a permis le bon déroulement des scrutins.

Aussi, tient-il à remercier les Autorités Nationales, régionales, locales et l’ensemble des acteurs pour la bonne tenue des scrutins et des dispositions prises ayant permis d’aboutir aux meilleures conditions de son travail.

Le WANEP-Niger remercie également l’Union Européenne pour son appui technique et financier ayant permis l’accompagnement du processus électoral au Niger.

Le WANEP-Niger rendra publique un rapport général à l’issue du processus électoral.

Fait à Niamey, le lundi 28 décembre 2020

Pour la cellule de veille électorale

 

Le Président

Moustapha Kadi Oumani