L’enthousiasme soulevé, au sein de certaines forces de l’opposition, par l’avènement du Comité national pour le salut du peuple (CNSP) Comité national pour le salut du peuple (CNSP), le 18 août 2020, est-il en train de se dissoudre ?
Le retard observé dans la mise sur pied des organes de la Transition est révélateur des incompréhensions entre la junte, qui a déposé le président Ibrahim Boubacar Keita (IBK), et les mouvements politico-religieux qui l’ont aidée à prendre le pouvoir. Les hommes politiques, quand ils ne parviennent plus à s’entendre, appellent les militaires au pouvoir. Ils pensent les manipuler, pour arriver ou revenir sur le devant de la scène politique. C’est oublier une chose fondamentale : qui va au pouvoir a besoin du pouvoir. Les officiers ont aussi des « projets » pour leur pays !
Pour commencer, il semble y avoir eu un coup d’État dans le coup d’État : les premiers jours du renversement d’IBK, colonel Malick Diaw semblait le héros de la chute de l’ancien régime. Quelques jours plus tard, le colonel Assimi Goïta, bousculant cet ordre, s’est présenté comme le nouveau chef d’État. Que s’est-il passé, dans l’intervalle ? Mystère car la junte ne s’en est jamais expliquée.
Après moult tractations avec les divers partis politiques et les mouvements politico-religieux et sous la pression de la CEDEAO, des « Journées de la concertation nationale sur la Transition » ont adopté, le 13 septembre 2020, la Feuille de route de la transition, en six axes : le rétablissement et le renforcement de la défense et de la sécurité sur l’ensemble du territoire national, la promotion de la bonne gouvernance, la refondation du système éducatif, les réformes politiques et institutionnelles, l’adoption d’un pacte de stabilité sociale et l’organisation des élections générales. Les forces vives de la nation se sont mises d’accord sur la Charte de la transition, dont les organes ont été fixés : le président de la Transition et chef de l’État, le vice-président, le gouvernement de transition composé de 25 ministres, le Conseil national de Transition, qui est l’organe législatif composé de 121 membres, issus des forces de défense et de sécurité puis de l’ensemble des forces vives de la nation. La durée de la transition a été limitée à 18 mois, à compter de la date d’investiture du président.
Le 25 septembre, la junte a procédé à la nomination d’un ancien ministre de la Défense, le colonel à la retraite, Ba Ndaw, à la tête de la Transition. La Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) avait exigé un civil. Assimi Goïta s’impose vice-président. Le 27 septembre, la junte choisit un ancien ministre des Affaires étrangères (2004 – 2009) comme Premier ministre, Moctar Ouane. Le 5 octobre, dans le nouveau gouvernement, les militaires occupent les portefeuilles les plus stratégiques : la Défense et des Anciens Combattants ; l’Administration territoriale et la Décentralisation ; la Sécurité et la Protection civile ; la Réconciliation nationale. Le Conseil des ministres du 25 novembre 2020 a nommé 13 gouverneurs militaires de régions, sur un total de 20. Tous sont, dit-on, des proches du colonel Assimi Goïta.
Le 3 décembre 2020, la liste des 121 personnes qui composent le Conseil national de la Transition est publiée. Des regroupements politiques et associatifs expriment leur frustration, leur colère et leur indignation, face à « la violation flagrante des quotas antérieurement définis par un décret présidentiel. » Pour ceux-là, la nomination des membres du CNT manque de transparence sur la représentativité des différentes couches sociales, d’où le déficit de légitimité dont souffrirait l’instance. Le M5-RFP, fer de lance de la lutte anti-IBK, commence à pointer du doigt « un régime militaire déguisé », et refuse participer au CNT dans le format proposé. Le vice-président, Assimi Goïta, est accusé d’avoir procédé à la désignation des membres du CNT à titre individuel ou par cooptation, « en violation de la Charte de la transition et des décrets subséquents portant condition d’éligibilité et clé de répartition des membres du CNT. » Les ex-rebelles de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), brocardent l’absurde concept du fait accompli et annoncent leur retrait dudit CNT. À leurs yeux, la confiance et le compromis sont rompus. D’autres organisations, telles les faîtières de la presse, le Conseil national de la société civile, le Réseau des femmes ministres et parlementaires ainsi que l’Union nationale des travailleurs maliens (UNTM), la plus grande centrale des travailleurs du pays, et le Conseil national de la jeunesse se mêlent au concert de protestations. La junte n’en a cure, et, le 5 décembre, la seule figure du CNSP jusque-là encore ‘’ libre’’, le colonel Malick Diaw, numéro deux de la junte du coup d’état du 18 aout 2020, est porté à la tête du CNT, parachevant le processus de « militarisation du pouvoir de la Transition », du point de vue des contestataires.
Le 15 décembre, le ministère de l’Administration territoriale annonce la création d’une Cellule d’appui au processus électoral de la Transition. Destinée à « appuyer » le ministère de l’Administration territoriale « dans l’opérationnalisation des circonscriptions électorales » et « dans la préparation et l’organisation matérielle des opérations », elle suscite l’inquiétude des acteurs politiques et de la société civile. Ils font observer au gouvernement que la crise post-électorale de 2020, qui a abouti au coup d’État, résulte du fait que plusieurs organes avaient organisé les élections de mars 2020 : le ministère de l’Administration territoriale, la Commission électorale nationale indépendante, la Délégation générale aux élections et la Cour constitutionnelle. Et c’est, justement, le ministère de l’Administration territoriale qui avait trafiqué leurs résultats. Ils réclament, encore une fois, un organe unique et indépendant de gestion des élections.
Le 19 novembre 2020, invoquant « la situation sécuritaire du pays » et « la persistance des actions terroristes » ainsi que « l’accélération de la propagation du coronavirus » , les autorités de la Transition ont fermé les écoles jusqu’au 4 janvier 2021. Elles ont aussi fermé des rues marchandes, des bars, des restaurants et des discothèques, jusqu’à nouvel ordre. Mais, il y a plus. Les autorités de transition ont également mis en place des mesures qui vont « modifier sensiblement l’exercice des libertés publiques et individuelles ». Avec cet état d’urgence, gouverneurs et préfets peuvent, désormais, « réglementer ou interdire la circulation des personnes et des véhicules dans certains lieux et à certaines heures », ou même interdire « à toute personne cherchant à entraver l’action des pouvoirs publics ». Ils peuvent, aussi « prendre toute disposition relative au contrôle des correspondances postales, télégraphiques, électroniques ou téléphoniques », entre autres. Ces mesures inquiètent les mêmes pans de la société malienne : partis politiques, société civile, journalistes, etc.
Dernier sujet de contestation : du 21 au 22 décembre courant, les services de renseignements procèdent à des arrestations de hautes personnalités : le secrétaire particulier et chef de cabinet de la présidence de la République, deux hauts cadres du Trésor public, le chroniqueur radio et militant contestataire Ras Bath, déjà arrêté sous IBK, le directeur du Pari mutuel urbain (PMU) malien et le directeur de l’AGEFAU, une agence publique de télécommunications et son adjoint. Elles seraient liées à un « projet de déstabilisation » de la Transition.
La Transition est invitée, à divers titres, à se conformer à l’État de droit, tout simplement. En filigrane, la junte est aussi soupçonnée de ne pas vouloir s’effacer de la scène politique, même après la Transition.
André Marie POUYA