La crise du Covid-19, une chance pour le Niger ?

La crise du covid-19, va-t-elle accélérer la transformation entamée il y a quelques années du continent africain en général, et du Niger en particulier, et favorisant l’émergence d’un modèle de développement plus équitable, et donc une meilleure répartition de la richesse ? C’est en substance la question qui me taraude à l’esprit en cette veille de déconfinement.  L’élan de solidarité constaté laisse penser que c’est possible, même si rien n’est encore gagné !

A ce stade, l’urgence absolue est surtout de continuer à prendre la mesure de la crise qui sévit, et tout mettre en œuvre pour éviter les pertes en vies humaines massives et l’effondrement de l’économie. Les prédictions épidémiologiques de l’OMS sont très alarmantes. « 83.000 à 190.000 personnes en Afrique pourraient mourir du Covid-19 et 29 à 44 millions pourraient être infectées au cours de la première année » en Afrique, affirmait l’institution onusienne en charge de la santé le 8 mai dernier. Ces prédictions sont heureusement à relativiser puisqu’elles ne sont que reflet de la vision « occidentale » du Continent Noir. Que « l’Afrique et ses systèmes de santé « fragiles » soient le lieu d’une gigantesque oraison funèbre ».

Dans un article publié par lemonde.fr, Laurent Vidal, Fred Eboko et David Williamson, chercheurs à l’IRD, constatent qu’ « après bientôt quatre mois d’épidémie liée au coronavirus, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) révèle un nombre de décès incommensurablement plus faible en Afrique que dans les pays européens ou en Amérique : 1 591 morts au 30 avril (soit 1,3 mort par million d’habitants), alors qu’en Amérique on recensait 75 591 morts à la même date (soit 76 par million d’habitants) et 132 543 en Europe (soit 179 par million d’habitants) ». Au Niger, à la même date, on déplorait 32 décès pour une population du pays estimée à 23 millions d’habitants. Cependant, il faudra continuer, au Niger tout comme dans les autres pays du continent, d’une part, à sensibiliser la population sur les dangers du COVID-19 et à la nécessité de changer de comportement afin de contenir la propagation de la maladie. D’autre part, augmenter les tests de dépistage et assurer une meilleure prise en charge des personnes suspectées d’avoir contracté le virus pour réduire le nombre de décès.

Selon ces chercheurs, la relative bonne performance que connaît l’Afrique serait imputable à « une série de facteurs : un contact avec diverses infections qui pourrait jouer un rôle protecteur, des leçons tirées d’Ebola et du VIH, un flux de voyageurs internationaux bien moindre qu’en Europe, aux Etats-Unis et en Asie, des mesures gouvernementales prises très tôt, ou encore une capacité de résilience, d’adaptation et d’inventivité forte et éprouvée, elle-même liée à une série de facteurs sociaux et environnementaux ». La part importante de la jeunesse dans la population africaine constituerait également un atout de taille.

La véritable inquiétude se trouverait donc ailleurs. Sans intervention, et à défaut de l’hécatombe sanitaire attendue, la catastrophe serait nécessairement économique. D’autant plus que de nombreux pays africains sont entrés dans la crise du coronavirus en claudiquant. Puis, le confinement appliqué dans des écosystèmes fragiles, à l’image de celui du Niger, et en l’absence de revenus minimum, pourraient se révéler inadapté et pourraient pousser les pauvres à sortir chercher les moyens de subsistance. Ce qui pourrait favoriser la propagation de l’épidémie.

Pour limiter les risques, un plan de riposte, qui s’élève à hauteur de 1438 milliards de FCFA, soit 13% du PIB, dont 765 milliards de FCFA afin de soutenir l’activité économique au Niger, a été mis en place. Même s’il est très tôt pour juger de leur efficacité, il n’en demeure pas moins que ces mesures ont permis de dissiper quelques inquiétudes. Maintenant que l’épidémie semble quasiment sous-contrôle et que l’on s’achemine vers le déconfinement à partir du 1er juin prochain au Niger, il faut s’atteler à construire le pays de l’après crise.

Corriger les faiblesses structurelles du Niger

Dans une UEMOA de nouveau hérissée de frontières, la crise de Covid19 est propice aux comparaisons internationales. Pour cette année, elles ne sont moins à l’avantage du Niger. Avec une hausse de son PIB de 1% en 2020, en comparaison à l’année 2019, le Niger devrait enregistrer la deuxième plus faible performance des pays de la zone UEMOA (+2,5% de PIB en moyenne). Ce serait aussi son taux de croissance le plus faible depuis 2004. Excepté la Guinée-Bissau (-1,5%) et à égalité avec le Togo, l’économie nigérienne devrait moins croitre que celle de ses voisins. Même si l’activité économique du pays devrait fortement rebondir (+8,1% du PIB) en 2021, deuxième meilleure performance de l’UEMOA (+6,8% du PIB en moyenne) derrière la Côte d’ivoire (+8,7%), le faible dynamisme de 2020 interroge sur certaines difficultés structurelles du pays. En effet, dans son rapport annuel « Perspectives Economiques Africaines (PEA) 2020 », la Banque Africaine de Développement (BAD) souligne que la croissance économique du pays reste exposée à plusieurs risques : « la persistance de l’insécurité régionale exerce de fortes tensions sur les finances publiques, avec pour conséquence la réduction des allocations en faveur de secteurs prioritaires tels que la santé et l’éducation. L’agriculture, qui représente plus de 40 % du PIB et occupe près de 80 % de la population active, demeure vulnérable aux changements climatiques. La forte dépendance aux financements extérieurs et le faible capacité d’exécution des grands projets pourraient conduire à des dérapages macroéconomiques. Les recettes d’exportations sont très sensibles aux évolutions des prix de matières premières. ». Au-delà de favoriser la transformation structurelle et la diversification économique pour accélérer la croissance, réduire ces risques tout en apportant des réponses significatives à ces défis structurels requiert une mobilisation accrue des ressources financières.

Renforcer la mobilisation des ressources

Selon la Coface et la BAD, la consolidation des institutions démocratiques et le fort engagement du gouvernement pour atteindre ses objectifs de développement permet au Niger de continue à bénéficier du soutien financier international. Ce soutien devra permettre à l’investissement public de contribuer largement à la croissance à travers le financement de nombreux projets.

Cependant, le retournement de la conjoncture (la crise économique mondiale actuelle, par exemple) pourrait provoquer le tarissement des financements extérieurs. D’où la nécessité d’accroitre significativement la mobilisation des ressources internes.

Il est, en effet, essentiel de garantir un éventail de ressources financières suffisamment large à un Etat pour lui permettre d’exercer « correctement » ses missions, et parmi elles, les ressources d’origine fiscale. Pour ce faire, « plusieurs mesures ont permis d’améliorer la mobilisation des recettes fiscales et d’engager les dépenses publiques sur une trajectoire d’efficience et de qualité. Il s’agit en particulier de l’interconnexion des systèmes informatiques, de l’adoption de plans de performance des régies des impôts et de la douane ainsi que de la mise en place d’un système de budget-programme » (BAD, PEA 2020). Et selon S.E. Mahamadou Issoufou, « le montant cumulé des ressources internes et des ressources extérieures est de 11.546 milliards de 2011 à 2019 » (Bilan an neuf (9) de la Renaissance).

Parallèlement, même si le déficit budgétaire semble presque sous contrôle, l’Etat peut agir sur cinq (5) leviers, sans doute non exhaustifs, pour encore accroitre les ressources.

Premièrement, engager dès à présent des économies au sommet de l’Etat. La fragile situation financière du pays invite à rogner dans de nombreux privilèges des hommes politiques (fonds politiques, exonération d’impôts…) et autres agents de la fonction publique (la dotation en véhicule de fonction et de service, par exemple, qu’il faut impérativement repenser la politique en redéfinissant les critères d’attribution, encadrer rigoureusement l’utilisation et privilégier les véhicules à faible consommation) pesant lourdement sur les finances publiques. Depuis 2008, le pays n’a plus enregistré d’excédent budgétaire (graphique « Niger :  le déficit budgétaire presque sous contrôle »).

Deuxièmement, poursuivre à moyen et long terme l’amélioration de la qualité de la dépense publique. En effet, l’amélioration de la qualité de la dépense, qui participe au consentement des populations à l’impôt, reste un défi central dans de nombreux pays africains. Le Niger n’y échappe guère. Selon un rapport du FMDV (2014), « l’amélioration de la qualité de la dépense publique est indissociable de la mise en place de contrôles des finances locales garants d’une gestion locale saine. C’est pourquoi, les législations nationales doivent prévoir la transparence et la performance des collectivités locales. La transparence est nécessaire à l’efficacité et à l’efficience de l’action locale ; elle est incontournable pour la redevabilité des autorités locales vis-à-vis de la population. Elle est améliorée lorsque les citoyens ont accès aux informations sur le fonctionnement et la gestion locale, lorsque les autorités locales respectent un certain nombre de règles et procédures légales en matière de recrutement et d’administration du personnel, d’appels d’offres, de passation des marchés, etc. ; et sont soumises à des audits réguliers et indépendants – financiers mais aussi organisationnel ».

Troisièmement, travailler plus pour créer davantage de richesse. De manière concrète, je propose à ce que l’accent soit davantage mis sur l’efficacité au travail. Le secteur privé nigérien peut inspirer le secteur public. La raison ? Selon le rapport « PEA 2020 » de la BAD, la productivité totale des facteurs au Niger reste l’une des plus faibles d’Afrique, juste devant la Centrafrique, le Libéria et le Zimbabwe. L’allongement de la durée du travail, ainsi qu’une meilleure reconnaissance du travail effectué par les agents de la fonction publique particulièrement (amélioration des conditions de travail : le versement régulier des salaires, prime de performance, promouvoir la culture de l’excellence…) peuvent contribuer à augmenter de manière significative la productivité, gagner en compétitivité et, par ricochet, doper la croissance économique du pays.

Quatrièmement, repenser à moyen et long terme le modèle de développement économique actuel pour mieux prendre en compte l’économie « informelle » représentant près de 60% du PIB au Niger, comme l’a suggéré Dr Ado Istifanous dans son article intitulé « le covid-19 : quel impact pour l’économie nigérienne ? » (Disponible via ce lien https://nigerinter.com/2020/04/le-covid-19-quel-impact-pour-leconomie-nigerienne/).  La « formalisation de l’informel » pourrait générer des ressources supplémentaires importances aux caisses de l’Etat.

Enfin, faire participer activement la BCEAO au financement de l’économie dans un horizon proche. Car « l’indépendance des Banques Centrales est une fiction, puisqu’elles sont condamnées à intervenir pour éviter des crises d’insolvabilité des Etats, ce qu’elles font est de la pure monétisation des dettes publiques, en théorie interdite » (Patrick Arthus, Chef économiste Natixis).

Peu encline à ce genre d’exercice, l’institution de Dakar a été poussé par la crise du coronavirus à revoir à la hausse les ressources mises à la disposition des banques, les portant ainsi à 4750 milliards FCFA, afin de permettre à celles-ci de maintenir et d’accroître le financement de l’économie. L’objectif de cette mesure consiste à mieux contenir l’impact négatif que la crise du Covid-19 pourrait avoir sur le système bancaire et le financement de l’activité économique dans l’Union.

Cette attitude révèle que rien n’est figé et que l’Institution peut évoluer. « En Afrique de l’Ouest, c’est l’occasion de repenser la nouvelle monnaie commune et de la mettre au service d’un projet de développement fondé sur l’investissement dans la jeunesse et les infrastructures (et non pas au service de la mobilité des capitaux des riches) », esquisse Thomas Piketty dans sa chronique intitulée « Eviter le pire » publiée dans le journal « Le Monde » le dimanche 12 avril 2020. D’où l’impérieuse nécessité d’assumer un changement clair des priorités et de remettre en cause un certain nombre de tabous dans la sphère monétaire.

Concrètement, il faut assumer que la création monétaire serve la relance, tant que l’inflation reste modérée (graphique : « l’inflation reste modérée au sein de l’UEMOA). Rappelons que les statuts de la BCEAO ne donnent pas la définition précise de stabilité de prix (c’est le Comité de Politique Monétaire qui a fixé la cible à 3% : cela pourrait aussi être de 6% ou 10% en raison des besoins de financement importants et du stade de développement de nos économies). Ces mêmes statuts précisent que « sans préjudice de cet objectif, la Banque Centrale apporte son soutien aux politiques économiques de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), en vue d’une croissance saine et durable » (Statuts de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest, article 8).  Précisons que selon la théorie de Fischer, l’inflation est déterminée par la croissance de l’offre de monnaie. La faible inflation qu’enregistre l’UEMOA laisserait penser que l’offre de monnaie (graphique « UEMOA : Masse monétaire (M2)) peine à satisfaire les besoins des agents économiques de la zone.

Les pays membres de l’UMOA, Niger en tête, peuvent saisir la présente occasion pour négocier une baisse du taux de guichet de prêt marginal, actuellement fixé à 4,50% (le taux de refinancement est le principal outil de la politique monétaire des banques centrales pour influencer le volume des crédits dédié à l’économie) et inciter les banques commerciales de la place à pratiquer des taux d’intérêt faibles sur les prêts accordés aux agents économiques, à contrario de ce que l’on observe aujourd’hui dans le pays (graphique « Taux d’intérêt moyen des crédits accordés par les banques ») pour accompagner la croissance et mieux poser les bases d’une prospérité économique. Le but étant de construire un État social, qui fera des préoccupations de la population sa priorité absolue.

« La crise est une occasion, une chance de choisir, en bien ou en mal », disait Desmond Tutu. La balle est dans notre camps.

 

Adamou Louché Ibrahim

Analyste Economique

@ibrahimlouche