Coronavirus : ce que le Niger risque si on n’y prend garde

Dans cette analyse de la pandémie du Coronavirus, en sa qualité de citoyen et chercheur, Garba Abdoul Azizou après avoir mis en évidence les risques qui guettent notre pays sur les plans sanitaire, socioéconomique et sécuritaire, appelle au sens de responsabilité de tous pour se mettre à l’abri du danger. « Il est important de comprendre que les citoyens ont une grande responsabilité dans la lutte contre la pandémie du coronavirus. Il leur revient de faire preuve de discipline en respectant scrupuleusement les consignes sanitaires et sécuritaires », recommande-t-il en substance.

L’apparition de la maladie du coronavirus et son caractère pandémique donne tout son sens la théorie de la société du risque développée par le sociologue allemand Ulrich Beck. Pour ce dernier, le post-modernisme est synonyme de société mondiale de risque, dans laquelle l’être humain s’efforce de se sauver des catastrophes qui n’existeraient pas sans lui. Dans ces conditions, les incertitudes ne sont pas à négliger comme l’a si bien souligné le psychosociologue belge Philippe De Leener.

 Aujourd’hui, le monde entier est traumatisé par ces incertitudes depuis la déclaration du bureau de l’OMS en Chine, le 31 décembre 2019, informant de l’apparition d’une pneumonie inconnue dans la ville de Wuhan (province de Hubei). Il s’agit d’une nouvelle forme de coronavirus dont l’agent causal n’est pas identifié. Un risque viral qui mobilise les scientifiques, les politiques et surtout les médias qui inondent les esprits des informations sur tout ce qui se rapporte au virus.

Certes, le coronavirus est apparu dans une province chinoise, mais elle est l’une des maladies pandémiques qui a mis l’humanité à genou en quelques semaines seulement. Même les grandes puissances qui disposent de grandes capacités de riposte face aux situations incertaines, soudaines et menaçantes sont restées faibles et vulnérables dans le cas du coronavirus, connu sous le nom scientifique de COVID-19.

Au jour du 23 mars 2020, le rapport quotidien de l’OMS évoque 332.930 cas confirmés dans le monde avec 14.510 décès. Les régions les plus touchées sont celles de l’Europe (171424 cas), celles du Pacifique occidental (95637 cas), celles des Amériques (37016 cas) et celles de l’est de la méditerranée (25375 cas). L’Afrique subsaharienne reste la région la moins touchée avec 990 cas, dont 23 décès.

Le Niger est l’un des pays du Sahel qui s’en sort avec moins de cas confirmés à ce jour. Pour autant, il faut sérieusement s’inquiéter pour le continent de manière générale et pour les pays fragiles et en proie à l’insécurité comme ceux du Sahel en particulier.

Si face au coronavirus des pays comme la France, l’Italie ou la Belgique sont pratiquement à l’arrête en dehors des services essentiels, alors quels sont les risques pour un pays comme le Niger ?

Il est clair que le système sanitaire du pays ne peut être comparé à ceux de ces pays développés qui disposent de grands moyens de prévention et de prise en charge. La Chine d’où la pandémie a émergé a su endiguer la progression du virus et tend vers sa maitrise totale. Les États-Unis d’Amérique et la France, tous membres permanents du Conseil de Sécurité ont déclaré l’état d’urgence dans la perspective d’un sauvetage sanitaire et économique. Autrement, c’est une façon pour tous ces pays affectés de minimiser les effets de la pandémie en termes de danger.

Le Niger n’a ni les moyens sanitaires ni les moyens logistiques et financiers pour faire face à une pandémie de cette ampleur.  À moins que la chance soit du côté des pays sahéliens avec cette période de grande chaleur, s’il est avéré que le virus ne peut survivre au-dessus d’une certaine température, le pire est à craindre. Même dans l’hypothèse d’une telle condition climatique favorable, les populations ne sont pas à l’abri et les risques restent très élevés.

Le gouvernement nigérien a été très réactif en prenant des mesures préventives a temps. La mise en place d’un comité interministériel de lutte contre le coronavirus montre l’engagement et la détermination des autorités à faire à la pandémie. Cependant, cette démarche salutaire du gouvernement ne peut aboutir sur des résultats probants dans la seule condition qu’il ait participation effective de tous les acteurs et d’une discipline collective conjuguée à une prise de conscience générale. Il faudra donc multiplier les sensibilisations sur l’entendu du territoire national pour amener les populations à comprendre le danger existentiel que représente le coronavirus.

Au-delà des mesures préventives à chaud, le gouvernement du Niger doit se préparer conséquemment aux effets de la pandémie en termes de risques, notamment sur le plan sanitaire, sur le plan socioéconomique et sur le plan sécuritaire.

Pour minimiser ces risques, il faudra créer les conditions pour faire fonctionner le pays en temps de crise.

Sur le plan sanitaire, il est impératif de renforcer le système en matériels et en ressources humaines. L’État peut compter sur sa jeunesse pour former des volontaires qui peuvent être déployés dans le cadre de la sensibilisation et la prévention. La mise en place d’une police sanitaire est également nécessaire pour contrôler l’application et le respect des mesures prises par le gouvernement. Souvent, même les plus avertis sont dubitatifs sur la dangerosité du virus. La majorité a tendance à ne pas croire à ce type de maladie qu’elle n’a jamais connue auparavant et qui est complètement extérieure au pays . Dans ces conditions, il faudra mettre en place des mécanismes psychosociaux pour créer un sursaut collectif face à la pandémie.

Sur le plan socioéconomique, les risques tournent autour d’une paupérisation accélérée d’une bonne partie de la population, un affaiblissement du pouvoir d’achat dû à la rareté de certains produits de première nécessité et aussi à cause de l’investissement dans la prévention ou la prise en charge de la maladie. Les transactions économiques et commerciales seront ralenties à cause de la fermeture des frontières, les interdictions de transport en commun et les regroupements dans des lieux comme les marchés. Les zones les plus reculées seront les plus affectées par les mesures de préventions et protections. Les risques sur la production maraichers sont évidents en cette période de récolte de certains produits. Une mévente de ces produits constituerait un énorme manque à gagner pour les agriculteurs. Par ailleurs, une pareille situation peut provoquer une rareté des produits de première nécessité et une hausse des prix. Si les ménages les plus vulnérables ont des difficultés à accéder à ces produits de base, alors les risques d’une crise alimentaire ne sont pas à écarter.

En effet, pour minimiser les risques sur le plan socioéconomique, le gouvernement devrait prévoir un plan d’assistance humanitaire d’urgence dans les zones qui seront déclarées les plus affectées par la maladie. Le gouvernement devrait également renforcer le dispositif de suivi et de contrôle des prix sur le marché. Il est capital que les autorités prennent des mesures en vue de subventionner une catégorie de produit de première nécessité. Dans certaines conditions, procéder à la distribution gratuite et ciblée de vivres.

La facilitation dans le transport des produits de consommation reste fondamentalement vitale. Si les marchés devaient être fermés, il faudrait créer des points de vente déconcentrés à l’échelle nationale pour éviter d’asphyxier totalement l’économie.

Dans les grandes villes, l’Etat devraient prendre des mesures pour interdire la mendicité dans les rues, en mettant en place un centre d’accueil et de prise en charge des démunis et des handicapés. Les jeunes exondant qui s’adonnent à toute sorte d’activité de subsistance dans les rues devraient t également être pris en charge pour éviter au maximum les risques de contamination et de propagation.

Sur le plan sécuritaire, le pays est déjà confronté au terrorisme, aux trafics illicites et à la criminalité transnationale de part et d’autre de ses frontières avec les pays voisins. En plus de cela, si la pandémie devrait persister, l’État se verra dans l’obligation de déclarer l’état d’urgence sur l’étendue du territoire avec des mesures plus contraignantes.

En 2018, l’évaluation de l’état d’urgence par le CNESS a montré que les premiers mois de couvre-feu ont paradoxalement favorisé la montée de l’insécurité urbaine. De jeunes délinquants profitaient du confinement des populations pour perpétrer des vols dans les marchés, les magasins et même les domiciles. En cas de situation de crise sanitaire, il faudra éviter un débordement des Forces de Défenses et de Sécurité (FDS) afin qu’elles puissent jouer efficacement son rôle de défense et de protection du territoire national. Pour cela, il est essentiel de mettre en place des mécanismes de protection sanitaire des FDS. Ensuite, doter l’armée des matériels d’interventions adéquates qu’exige une telle situation. Renforcer les institutions militaires et paramilitaires en ressources humaines. C’est l’occasion de penser à la mise en place d’une police de proximité pour créer la confiance entre les populations et les FDS, mais aussi pour faciliter la coordination des actions sécuritaires.

En conclusion, il est important de comprendre que les citoyens ont une grande responsabilité dans la lutte contre la pandémie du coronavirus. Il leur revient de faire preuve de discipline en respectant scrupuleusement les consignes sanitaires et sécuritaires. L’efficacité de la lutte contre cette pandémie dépendra du comportement citoyen des nigériens et du soutien aux efforts du gouvernement. Cela permettrait d’endiguer la propagation de la maladie et éviterait à l’État de recourir à l’instauration d’un état d’urgence sanitaire.

 

Garba ABDOUL AZIZOU 

Chercheur, affilié au Centre d’Études des Crises et des Conflits Internationaux (CECRI) de Uclouvain.

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