Le 10 décembre restera à jamais comme une date marquante dans notre pays avec le martyre de 71 de nos soldats tombés sur le champ d’honneur. La doxa actuelle veut que l’on tire à vue sur la France, la force Barkhane, dans une confusion et une mauvaise foi générale. Oubliés le vol d’or au Mali (vulgaire montage !), l’affaire des motos livrés aux terroristes (en réalité fournis à l’armée malienne), le bombardement d’une base militaire nigérienne vers Diffa (fake news, tellement invraisemblable !) qui ont été les sujets viraux sur les réseaux sociaux de ces dernières semaines…
Il va de soi que tous les responsables mettent l’accent sur la cohésion de notre peuple même si des esprits chagrins s’échinent à donner des mauvais points aux uns et aux autres en décrédibilisant la parole et l’acte politiques. Tantôt c’est à la faute aux autorités, à la France, aux bases militaires. Ce qui est injuste. Notre credo à tous dans ces moments particuliers doit être « ne nous trompons pas d’ennemis« . Les terroristes et autres Cassandre instillent sournoisement la fitna avec cette folle idée que l’ennemi, c’est l’autre, l’allié, le partenaire, arguments repris par certains Nigériens sans discernement. Diviser la conscience des nigériens et de ses soldats en ces moments tragiques sera le cadeau inespéré offert aux terroristes et une petite victoire aux forces du Mal. Rares sont les Nigériens qui mettent le holà face à cet amalgame.
Quand on veut analyser objectivement un phénomène ou un fait politique, il nous faut de l’introspection, les éléments argumentaires, de la connaissance nécessaire et du recul. Oui, tous les pays ont des intérêts à défendre comme le Niger a les siens et comme le disait sans langue de bois, le secrétaire d’État anglais lord Palmerston repris par De Gaulle « la France [l’Angleterre] n’a pas d’amis mais que des intérêts« . Mais en quoi la Force Barkhane viendrait-elle bombarder Inatès parce qu’elle veut piller nos ressources minières alors qu’elle est présente depuis 50 ans à Arlit ? De l’absurdité pure et simple ! le mieux à faire à (re)négocier nos contrats avec exigence et sans faiblesse tenant compte de nos intérêts.
L’ennemi du Niger, c’est l’État Islamique dans le Grand Sahara d’Abou Adnane Al Sahraoui (EIGS, inféodé à Daesh) qui nous attaque à la frontière du Mali et de son rival et allié par nécessité le GSIM d’Iyad ag Ghali (ex-agrégat d’Aqmi et autres groupes armées terroristes –GAT-). L’ennemi a pris de l’assurance en faisant le vide surtout dans le triangle de l’axe Gao-Ansongo-Menaka. Dans ce no man’s land, plus d’écoles, de centres de santé, de casernes… Il vient attaquer sporadiquement le Niger et retourner au Mali à quelques encablures de là.
L’ennemi s’est beaucoup armé et professionnalisé comme dans une guerre et armée classiques. Le contrôle de trafics de drogue et de migrants, le pillage d’une partie des 21 millions de pièces d’armes des arsenaux libyens ainsi que les équipements pris aux armées nationales lui procure de plus en plus une puissance de feu, inimaginable il y a quelques années : en outre il possèderait des drones de surveillance (comme en novembre lors de l’attaque du convoi de la mine d’or de la Semafo au sud-est du Burkina entre autres -38 morts), même si la logistique est encore artisanale, quelques pickups, fusils d’assaut, RPG7, mortiers…dans un dispositif opératoire par petits groupes à motos. Malgré tout, ils ne pourront prendre possession d’un pan du territoire national.
Même si le président de la République a consenti avec son gouvernement d’énormes efforts en termes d’achat d’armements neufs, le Niger est confronté à une guerre asymétrique, non conventionnelle de guérilla dont l’ennemi est toujours dans une logique offensive. L’apport de nos alliés est aussi très appréciable en terme de formation (commandos antiterroristes -Flintlock), de logistiques, d’outils de renseignements et d’armements car nous ne réussirons cette guerre qui nous est imposée qu’en conjuguant ensemble nos efforts, nos moyens. Mais seules nos armées nationales peuvent gagner cette guerre, le reste n’intervient qu’en tant qu’appuis techniques et stratégiques.
Les prochains entretiens de Pau porteront surement sur la réévaluation des formats d’intervention, le fonctionnement et la collaboration de la force Barkhane et des autres forces alliées qui ont montré, il faut le dire, jusqu’ici leurs limites stratégiques ; au fond tout ce qu’on peut reprocher mezza voce aux troupes françaises incapables d’endiguer les attaques dans ce territoire plus grand que l’Europe. Faut-il s’interroger sur cette singularité qu’est la Minusma (15 000 hommes, 1,2 milliard $ de budget annuel) complètement déphasée et inopérante (malgré l’une de ses missions de soutenir l’accord de paix au nord-Mali) dont les moyens et l’effectif auraient dû être versés dans la Force conjointe du G5 Sahel et dans la formation d’une coalition en appui aux armées nationales ? sûrement l’un des chantiers du Niger qui étrennera son élection, en janvier, en tant que membre non permanent du Conseil de Sécurité.
Pour l’heure, il nous incombe de rester rassemblés auprès du président de la République, chef des armées. La situation l’exige !
Aboubacar Lalo