« Le FESPACO est né par la volonté de quelques cinéastes militants africains dont deux nigériens, Oumarou Ganda et Moustapha Alassane »
Elhadj Magori Sani est Directeur Général du Centre National de la Cinématographie du Niger (CNCN). Né à Galmi au Niger en 1971, cet ingénieur d’Etat en agronomie saharienne a réalisé « Notre Pain Capital » puis obtient un Master 2 Réalisation documentaire de création à l’Université Gaston Berger de Saint Louis (Sénégal). Parmi ces films, ‘’POUR LE MEILLEUR ET POUR L’OIGNON’’ a eu un succès éclatant. Dans cette interview, il parle du Fespaco et de la participation du Niger à ce grand rendez-vous africain du cinéma.
Niger Inter : Le Fespaco c’est pour bientôt. D’aucuns disent que l’histoire de ce festival est intimement liée au cinéma nigérien. Qu’en est-il précisément ?
Elhadj Magori Sani : La 26ème édition du Festival Panafricain du Cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO) se tiendra Insha Allah du 23 février au 02 mars 2019. C’est sans nul doute l’évènement inaugural des grands rendez-vous qui mobiliseront les pays africains pendant cette année 2019. Le FESPACO est né par la volonté de quelques cinéastes militants africains dont deux nigériens, Oumarou Ganda et Moustapha Alassane qui en 1969, ont eu l’idée d’organiser la semaine du cinéma africain à Ouagadougou pour soutenir le Burkina, qui à l’époque ne disposait d’aucun film, d’aucune infrastructure cinématographique. Et en 1971 Oumarou Ganda a remporté le premier étalon de YENNENGA marquant ainsi le premier clap du FESPACO proprement parlant. Aujourd’hui grâce au FESPACO, au soutien financier de l’Etat burkinabé, et à la volonté politique, le Burkina est devenu un de grands pays du cinéma du continent.
Le FESPCO vient de dévoiler la liste de sa sélection officielle, quelle est la part du Niger ?
Elhadj Magori Sani : Oui le Fespaco a dévoilé le vendredi 25 janvier 2019 la liste de tous les films en compétition et en panorama. Le Niger est en très bonne position avec 05 films dont 03 en compétition officielle et les deux autres en panorama. Nous avons Solaire made in Africa de Malam Saguirou (catégorie long métrage documentaire), le film BIBATA est partie de Nana Hadiza Akawala (court métrage documentaire). Un film d’école Algaita au cœur de Manga de Ari Adam de l’IFTIC. Nous avons également deux films en panorama à savoir le long métrage de fiction, ma belle-mère, ma coépouse de Moussa Hamadou Djingaray et le moyen métrage documentaire Etincelles de BAWA Kadadé. Ces derniers sont en lice pour les prix spéciaux du FESPACO. Il y a lieu de préciser que cette année le Fespaco a enregistré plus de 1000 films africains et de la diaspora parmi lesquels 167 films sont en sélection officielle dont cinq (05) sont nigériens.
Quelles leçons peut-on tirer de cette sélection 2019 et quel espoir pour le Niger cette année ?
Elhadj Magori Sani : On constate que la participation du Niger est bonne cette année en termes de nombre de films en sélection officielle. Même si nous n’avons pas de film dans la course à l’étalon de Yennenga, catégorie long métrage de fiction, nous sommes en bonne position en termes de nombre de films. Aussi on remarque que 4 des 5 films sont des documentaires, donc des films à petits budgets. Même si cette année la sélection a été très rude dans cette catégorie surtout, selon les organisateurs du Fespaco car beaucoup de films ont été produits, cela traduit le manque de financement dont souffrent les cinéastes nigériens.
Quelle est l’état des lieux de la participation du Niger au Fespaco 2019 ?
Elhadj Magori Sani : Placée sous le thème ‘’mémoires et avenirs des cinémas africains’’, cette édition du FESPACO se tient dans un contexte particulier pour notre pays. En effet, non seulement le choix du thème retenu met le Niger au cœur de l’attention des festivaliers en tant que nationalité de Oumarou Ganda, premier récipiendaire de la plus haute distinction du FESPACO, mais aussi cette 26ème Edition se tient à la veille de l’organisation par le Niger du plus grand évènement politique du continent à savoir le 33ème sommet de chefs d’Etats de l’Union Africaine UA 2019, qui aura lieu en juillet 2019 à Niamey.
C’est en tenant compte de ce contexte particulier que le Centre National de la Cinématographie du Niger a décidé de donner un cachet particulier à la participation de notre pays à l’édition 2019 du FESPACO, à travers la mise en œuvre d’un projet de participation dont les objectifs ont des dimensions d’ordre culturel, économique et politique.
Notre programme de participation se décline en dix projets cinématographiques dont entre autres l’accompagnement de nos films en sélection officielles, l’édition et le vernissage du livre intitulé Oumarou Ganda, cinéaste de la révolte des peuples de Harouna Niandou et Maizama Issa et d’autres projets qui sont inspirés de notre plan stratégique 2019-2035 et dont la portée dépasse le seul cadre du FESPACO, mais posent des bases fondamentales de la relance du cinéma nigérien.
Le cinéma est une fenêtre pour le pays. Quels messages du Niger entendez-vous passer cette année ?
Elhadj Magori Sani : Par la qualité des films que nous allons présenter, ainsi que nos projets cinématographiques que nous comptons mettre en œuvre, nous allons marquer le retour du Niger sur la scène internationale.
Aussi, les communications que nous comptons faire vont significativement redorer l’image du Niger sur le plan cinématographique et aussi ont pour objectif d’ouvrir les portes du Niger en montrant le retour en force de son économie, le dynamisme de ses institutions, la qualité de vie et certainement la sécurité et les infrastructures modernes qui présagent de l’accueil chaleureux que son peuple entend réserver à ses illustres hôtes de juillet 2019.
Nous comptons beaucoup sur toutes les sociétés publiques et privées, les institutions qui sont soucieuses de l’image du Niger de nous accompagner pour mobiliser les ressources nécessaires à une bonne présence et une excellente visibilité du Niger au Fespaco.
Dans le domaine du cinéma de plus en plus des jeunes cinéastes font parler du Niger. Comment le CNCN accompagne ces jeunes pour développer leur potentiel ?
Elhadj Magori Sani : Cette dernière décennie est marquée par l’entrée massive des cinéastes dans l’utilisation du numérique ce qui a favorisé l’émergence d’une génération de jeunes cinéastes qui aujourd’hui avec de petits budgets, réalisent de films qui portent le flambeau du Niger dans le monde.
Le CNCN entame un programme de relance du cinéma nigérien qui est axé sur des axes stratégiques permettant une redynamisation structurelle du secteur.
La formation, la promotion du numérique, les infrastructures, ainsi que la mise en place d’un cadre règlementaire, sont entre autres des axes principaux de notre stratégie. Nous allons donc restructurer l’ensemble de la filière du cinéma afin que l’industrie du cinéma puisse renaitre au Niger. Par ailleurs, nous sommes en train de multiplier les plaidoyers avec les cinéastes et les associations des cinéastes pour la création et l’alimentation du fonds de soutien au cinéma à l’instar des autres pays de la sous-région.
En tant que premier responsable du CNCN avez-vous le soutien des autorités pour booster le cinéma nigérien ?
Elhadj Magori Sani : Oui, nous avons le soutien des autorités qui au plus haut niveau ont toujours soutenu des cinéastes et qui cette fois ci sont d’accord que notre cinéma doit retrouver ses lettres de noblesse. Nous attendons donc les soutiens et les moyens nécessaires pour la mise en œuvre des projets cinématographiques que nous avons déclinés à partir de notre plan stratégique 2019-2035.
Dans un pays comme le Niger où l’utilisation des ressources est alternative et concurrente, nous savons qu’il est de notre devoir de convaincre les autorités compétentes de l’utilité et de l’opportunité de mettre autant de soutien financier dans le cinéma. Le cinéma étant avant tout une branche économique pourvoyeuse d’emplois et de richesse. L’état devrait accélérer la mise en application des textes sur l’industrie cinématographique, l’application du statut de l’artiste et appliqué le décret sur la copie privée.
Qu’entendez-vous par copie privée ?
Elhadj Magori Sani : Lorsque vous achetez un Smartphone, une tablette, un disque dur externe, une clé USB, un CD ou tout autre support avec capacité de stockage, c’est sans doute pour copier et reproduire une musique, un film ou une œuvre artistique numérique. Une part minime et forfaitaire du prix d’achat de ce support-là doit être spécialement prélevée à la Douane et versée directement aux créateurs, artistes, producteurs. En contrepartie de cette rémunération, les auteurs, créateurs artistes, producteurs autorisent à copier toutes les œuvres légalement acquises (musique, séries, films…) sur tous les supports de visionnage dans le cadre d’un usage privé. La copie privée est donc une licence légale, une exception au droit d’auteur, destinée à combiner liberté du consommateur et droits d’auteur.
Et quand on sait que tous ces produits sont soumis à la spéculation sur le marché et que même l’Etat ne tire pas profit de la marge financière que se réservent les spéculateurs, les nigériens eux-mêmes doivent se battre avec leurs artistes à qui ils réclament toujours de « faire toujours comme les autres artistes du continent », pour l’application dudit décret conformément à l’ordonnance n° 2009-24 du 3 novembre 2009, portant loi d’orientation relative à la Culture.
En termes d’organisation quels sont les acquis du cinéma nigérien aujourd’hui ?
Elhadj Magori Sani : Les acquis du cinéma nigérien c’est son histoire glorieuse et surtout un dynamisme de ses cinéastes toute génération confondue. Il y a aussi de plus en plus de la cohésion entre les générations. Cependant, le Centre à l’instar du CCFN, le CCOG, le CIRTEF, le CFPM et bien d’autres institutions, ne dispose d’aucune infrastructure lui permettant d’accomplir sa mission. Mais nous osons espérer que bien d’autres questions seront incessamment abordées et réglées pour que le cinéma nigérien rayonne.
L’an passé on a suivi un malheureux contentieux entre cinéastes nigériens au moment où une jeune réalisatrice était en passe de produire son film un autre nigérien lui a fait un procès de plagiat. Comment avez-vous réglé cette affaire ?
Elhadj Magori Sani : Je crois que cette question a été soumise au BNDA, qui a statué que même si c’est la même histoire, les deux scenarios présentés sont complètement différents et chacun des deux cinéastes peut librement réaliser son film.
Quel est votre dernier mot ?
Elhadj Magori Sani : Mon message va particulièrement à l’endroit des sociétés d’Etats, des sociétés d’économies mixtes, aux investisseurs, aux décideurs politiques et institutionnels pour qu’ils voient le cinéma comme étant un secteur d’économie culturelle où l’ on peut investir et produire des richesses et des emplois. Et aussi de se rappeler que pour un peuple, le cinéma peut servir d’outil d’affirmation de soi, de protection de son identité et de valorisation de son patrimoine. C’est sans aucun doute un instrument politique qui a servi et qui sert aux pays développés aujourd’hui de rependre leur suprématie dans le monde. Même si nous n’avons pas pour ambition de dominer le monde, mais avec le cinéma, un peuple peut se faire une place respectable dans ce monde.
Interview réalisée par Elh. Mahamadou Souleymane