Le Niger à l’ère des Plans de Développement Economique et Social

Actuellement, de nombreux pays africains sont à des degrés divers  engagés dans des programmes de réforme et de planification, initiés grâce à la volonté des autorités nationales ou suscités par les institutions partenaires internationales.

Après la mise en œuvre de son premier Programme de Développement Economique et Social (PDES, 2012-2015), le gouvernement nigérien a élaboré un nouveau PDES 2017-2021 dans un contexte marqué par des préoccupations majeures notamment « la persistance des menaces sécuritaires, la migration clandestine, la baisse des prix des matières premières, le changement climatique, etc. ». « Avec ces deux plans, le Niger renoue véritablement avec l’exercice de planification économique après plusieurs décennies d’affaiblissement de la fonction de planification », déclarait SE Mahamadou Issoufou.

La planification est un « processus mis en œuvre par les agents économiques consistant à fixer, pour un horizon de moyen terme (compris entre trois (3) et dix (10) ans, des grandeurs économiques (en termes de production, d’investissement…) et des mutations qualitatives associées à l’évolution de ces grandeurs (modifications des structures de production, de la consommation…).  Toute planification correspond ainsi à un dosage particulier de deux séries d’éléments : d’une part, des prévisions de l’évolution plus ou moins spontanée des grandeurs économiques et, d’autre part, des objectifs plus ou moins contraignants fixés aux agents et à leur environnement » (Dictionnaire d’économie et des sciences sociales). Pour ce qui est de la planification établie par les pouvoirs publics, on oppose la planification « impérative » (Cf. la planification soviétique) à la planification indicative (Cf. la planification française). Le PDES ressemble plutôt à de la planification indicative puisqu’il est un projet explicite de développement économique et social élaboré pour la deuxième fois au Niger et permettant d’établir un ensemble cohérent de mesures ayant pour but d’organiser de manière rationnelle les moyens disponibles essentiellement au niveau du pays pour atteindre les objectifs fixés par les pouvoirs publics, tout en respectant au mieux les principes de liberté économique.

Le PDES, un programme certes ambitieux ….

A travers le PDES, le gouvernement espère poser « les jalons d’une politique économique de moyen terme qui permettra d’impulser une dynamique de développement équilibré, porté par une forte croissance inclusive et durable ». Un objectif à sa portée grâce aux nombreuses potentialités et richesses naturelles du pays.

Plan de Développement Economique et Social
Période concernée Objectifs poursuivis
1er Plan

(2012 – 2015)

Promouvoir le bien-être économique, social et culturel de la population.
2è Plan

(2017 – 2021)

Contribuer à bâtir un pays pacifique, bien gouverné avec une économie émergente et durable, et une société fondée sur des valeurs d’équité et de partage des fruits du progrès.

Pour y parvenir, le gouvernement semble mobilisé afin d’assurer la disponibilité des ressources.  A titre de rappel, une planification ne saurait être stratégique sans plaidoyer pour obtenir des ressources financières nécessaires à la mise en œuvre de toutes les interventions essentielles. La question des ressources constitue un thème récurrent tout au long du processus de planification stratégique. Ces ressources déterminent également l’ampleur et l’efficacité de la réponse vis-à-vis des défis auxquels le pays fait face. Concernant le PDES, l’identification des coûts de celui-ci a été effectuée selon « une hiérarchisation précise des programmes à mettre en place dans chacun des secteurs. Une priorisation interne à chacun des secteurs a été faite en fonction des critères de pertinence et de faisabilité, notamment techniques et financières » (PDES 2012-2015). Ainsi, le coût total de mise œuvre du PDES 1 (2012-2015), fondé sur le scénario optimiste, était évalué à 6 318 milliards de FCFA. Quant au coût du PDES 2 (2017-2021), il est évalué15 018,2 milliards de FCFA dont 9 305,7 milliards de dépenses publiques et 5 712,5 milliards d’investissements privés. Les dépenses publiques seront financées par 5 523,9 milliards de ressources propres et 3 712,5 milliards de ressources extérieures à mobiliser.

Pour ce qui est du financement du PDES 2 notamment, notre pays a organisé les 13 et14 décembre 2017 à Parisune table ronde pour convaincre les bailleurs de fonds / investisseurs internationaux de la pertinence du programme. En outre, différents moyens de communication ont été élaborés en amont pour promouvoir l’événement : le site internet www.nigerrenaissant.org, créé pour l’occasion, constitue un outil formidable pour découvrir les atouts du pays. Le choix de Paris pour organiser l’évènement « #InvestInNiger » est loin d’être anodin, surtout quand on sait que la capitale française reste une des plus grandes places financières au monde. Un choix qui s’est avéré payant car plus de 800 participants ont été enregistrés, et sur les 17 milliards de dollars attendus, le Niger a su mobiliser plus de 23 milliards de dollars américains, à titre de promesses. Selon « Lepoint.fr » « les organisations institutionnelles comme la Banque mondiale ou l’Agence française de développement (AFD) ont apporté au total 12,7 milliards de dollars. Le Niger n’en attendait que 7 de leur part. Le secteur privé a participé à hauteur de 10,3 milliards, soit légèrement plus que les 10 milliards attendus. Le gouvernement nigérien, lui, s’était engagé à apporter lui-même 10 milliards de dollars au PDES. Les représentants du secteur privé national ont, quant à eux, promis un milliard ». Une somme certes très importante mais dont l’allocation efficace susciterait des interrogations.

… mais dont la mise en œuvre efficace buterait sur la « réalité nigérienne » !

 Tous les experts s’accordent à dire que l’un des facteurs favorisant la réussite d’une planification consiste à bien remonter à la racine causale du ou des problèmes dans le pays, en analysant l’ensemble des facteurs potentiellement explicatifs (personnels, sociaux, environnementaux, économiques etc.) afin d’identifier les stratégies les plus adéquates pour modifier la situation.

Au-delà des limites « classiques » ou techniques d’une planification stratégique :

i) les insuffisances de l’appareil statistique ii) les limites des prévisions iii) le fait de ne pas prendre en compte les réalités locales dans l’élaboration des stratégies de développement ;au Niger, le PDES se heurterait à une série de contraintes et de pesanteurs, qui entraveraient l’atteinte des résultats escomptés. En effet, il n’est un mystère pour personne que la gestion du pays souffre de dysfonctionnements majeurs. Ces derniers seraient imputables essentiellement à trois points. Premièrement, le décalage flagrant entre les discours de nos gouvernants et les actes qu’ils posent au quotidien. Dernier exemple en date, l’effort [quasi] sans précédent (Cf. Lois des Finances 2018) demandé par le gouvernement à la population pour accroitre la mobilisation des ressources internes et qui s’est traduit par la création de nouveaux impôts et donc augmenter la pression fiscale. Pendant ce temps, le gouvernement, « étant aux frais de la princesse » et ne sentant quasiment point la pression fiscale, rechigne à réviser à la baisse son train de vie ; acte, au-delà d’être symbolique, serait synonyme de « compassion ». Cela discrédite la parole publique, voire pousse à contester le rôle et l’autorité de l’Etat.

Deuxièmement, la gestion du pays s’illustre par le clientélisme ambiant. Le favoritisme gagne du terrain au détriment de la méritocratie. L’administration du pays en pâtit sérieusement de cette situation. En effet, rares sont les Services Publics dotés d’un personnel compétent à même de réaliser efficacement et correctement les tâches qui leur incombent ; ou bien des responsables jouissant pleinement de leurs prérogatives pour mettre en œuvre leurs projets, aussi ambitieux soient-ils ! Puisque « l’accès d’un parti à des positions de pouvoir, que ce soit la plus haute, ou qu’elles soient associées à une place dans l’alliance gagnante, implique la distribution massive de récompenses aux membres du parti et aux clients politiques qui ont accompagné l’ascension (…). Les récompenses sont donc dispensées tout au long d’une mandature, sous forme de postes, de privilèges, de faveurs, de passe-droits, aux frais de la République (…). Ainsi s’expliquent d’étranges nominations, et les soudaines promotions de protégés qui ne se distinguaient guère jusque-là par leur réussite ou leur diplôme » (Olivier de Sardan, 2016). Cela favorise la culture de médiocrité, l’absence de [bons] résultats et donc la qualité du service public qui se dégrade davantage. L’absence d’un personnel compétent pourrait également compromettre la mise en œuvre du plan ainsi élaboré.

Enfin, comme le gouvernement peine à s’ériger en modèle, les retards et l’absence de rigueur dans l’administration du payssont devenus légion. Nombreux sont les citoyens ayant fait l’amère expérience de voir leurs démarches administratives retardées à cause de l’absence de l’agent devant signer leur document. Ces attitudes irresponsablesont des graves conséquences sur notre économie i)pertes financières considérables pour l’Etat.À titre d’exemple, pour un fonctionnaire travaillant 200h et rémunéré 300000 nets par mois, la perte pour l’Etat s’élèverait à 1500FCFA pour une (1) heure de retard. Imaginez alors le montant de la perte apporté au nombre de fonctionnaires retardataires ii)perte de temps (le temps, c’est de l’argent a-t-on coutume de dire) iii) générer de la frustration des usagers des services publics,laquellefinit par altérer la confiance des premiers vis-à-vis des seconds.

A la lumière de ce qui précède, la mise en œuvre efficace du PDES pourrait être contrariée par nos attitudes susceptibles d’entraver l’atteinte des résultats attendus, notamment la croissance inclusive et l’amélioration du niveau de développement économique social. Sauf retournement de situations : sursaut national, mettre l’intérêt du pays en avant au détriment des intérêts partisans, s’attarder sur l’essentiel au détriment des futilités ….

En définitive, il y’a lieu de saluer la volonté des autorités de sortir le pays de sa situation actuelle et donc d’améliorer le quotidien de nos concitoyens. L’opérationnalisation des stratégies planifiées dans les secteurs prioritaires nécessite de la volonté, des gens rigoureux, voire irréprochables en matière de gestion de deniers publics. Maintenant que le PDES est entériné, place à la mise en œuvre rapide et efficace. Pour ce faire, l’Etat ainsi que les bailleurs de fonds doivent décaisser rapidement les fonds. Une fois les financements des projets acquis, il nous incombera de consommer ces crédits et de les utiliser de manière efficiente. L’histoire récente dans la gestion du pays a montré que c’est dans l’utilisation des fonds que l’émergence du pays buterait. D’où la nécessité de former tous les exécutants à une allocation efficace et efficiente des crédits qui leur seront octroyés et les mettre dans des conditions de travail optimales. Ainsi, on pourra espérer récolter les fruits de cette mobilisation inédite et avoir « un Niger renaissant pour un peuple prospère ».

 

ADAMOU LOUCHE Ibrahim

Analyste Economique

@ibrahimlouche

NigerInter Magazine N°010 Mars 2018