Le débat politique est devenu brusquement malsain ces derniers temps au Niger depuis la sortie médiatique de deux leaders politiques notamment Sanoussi Tambari Jackou sur Anfani FM et Hama Amadou sur Vox Africa. Les deux leaders ont fait usage des arguments identitaires dans le débat public. Ce qui a enflammé l’atmosphère déjà nauséabond des médias sociaux nigériens. Le philosophe nigérien, Dr Sahidi Bilan enseignant chercheur à l’université de Sunderland à Londres décode ce discours sur les antivaleurs. Décryptage.
Recourir à l’ethnie et la région relève des considérations particularistes, sectaires et identitaires d’un autre âge pour s’emparer du pouvoir politique et l’exercer. L’utilisation de l’ethnie et de la région est l’insigne du manque d’imagination et d’inspiration car il repose plus sur les sentiments, la « bouillie du cœur » que sur la raison. Ce que vise le politicien qui a recourt à une telle stratégie est l’infantilisation et l’instrumentalisation politique des groupes identitaires comme un bétail électoral ou encore un tremplin pour parvenir au pouvoir et le plus souvent de manière cynique. Dans ce genre de stratégie, toute la manigance idéologique est de profiter de l’ignorance ou du niveau d’alphabétisation des groupes ethniques pour les manipuler en leur inculquant le sentiment d’abandon politique et économique ou de victimisation d’un système politique adverse que l’on cherche à déstabiliser, disqualifier ou à affaiblir.
Appartenir à une ethnie ou à une région est en réalité un épiphénomène et par conséquent de l’ordre de la pure contingence. Le repli identitaire consacre le rejet et l’exclusion de l’autre. Si chacun s’enferme dans son identité, il serait impossible de parler de la société mais plutôt d’une mosaïque d’individus dont chacun se croirait le centre et en persistant dans cette logique de l’exclusion et de rejet, aucune communication et interaction ne sont apparemment possible car dans ce mode d’existence atomique ou solitaire rien ne semble unir les individus ensemble. S’il faut en croire l’ethnologie, pour l’ethnocentriste « l’humanité cesse aux frontières de la tribu, du groupe linguistique, parfois même du village » (LEVI-STRAUSS, 1961, p. 21). Ainsi, l’ethnocentrisme est un refus affiché de la reconnaissance de la diversité culturelle et le ravalement de l’autre à un rang inférieur ou un niveau infrahumain. L’usage de l’ethnie en politique peut avoir des conséquences imprévisibles et désastreuses telles que les guerres civiles et les génocides. L’exemple du Rwanda est encore frais dans nos mémoires.
En réalité, ce qui détermine la valeur d’un être humain est sa capacité à vivre en communauté, en société. Vivre en société, c’est vivre avec d’autres êtres dans le strict respect de la différence et de soi. Le soi se forge et s’affirme en transcendant sa particularité mais aussi par la médiation des autres. Lorsque le politicien fait recours à l’ethnie, il a plus en vue son intérêt particulier et sordide. C’est plus une stratégie abjecte qui consiste à faire abstraction des liens multiséculaires qui lient les groupes ethniques d’un même pays pour s’approprier du pouvoir par le truchement de la haine et du mensonge en dressant une ethnie contre une autre. L’idéologue politicien qui en fait usage est en réalité à court d’idées, d’argumentions et est incapable d’avoir le pouvoir sur la base d’un projet de société inclusif et convaincant. Conquérir le pouvoir et l’exercer ou le maintenir et l’influencer à tout prix ne doit pas être une finalité de toute politique responsable. Bien au contraire ! Comme l’a si bien notifié le philosophe ivoirien, Prof. DIBI (2018), « l’exercice du pouvoir est lui-même un moyen en vue d’une fin. Il est ordonné au désir que demain soit meilleur qu’aujourd’hui, que fleurissent les conditions de l’avènement d’une société davantage épanouie, ouverte sur l’universel, brillant de la lumière de la fraternité, soucieuse d’offrir une demeure à la veuve, à l’orphelin, à l’étranger et à toute faiblesse.»
L’universel ne peut se construire dans le particularisme, l’exclusion, la discrimination ethnique ou régionaliste. Un pays se construit par la coordination et la synergie des efforts de ses fils dans leur diversité et différence. Loin d’être un obstacle la diversité et la différence constituent une source inestimable de richesse culturelle, créativité pour un pays. Les nigériens sont conscients de leur identité culturelle bâtie sur plus d’un centenaire de vivre ensemble et par le brassage inter-ethniques par le biais du mariage et des alliances à plaisanteries.
Il est fondamental que les nigériens consacrent plus leur énergie à réfléchir sur ce qui nous rapproche plus que sur ce qui nous divise. L’effritement d’un pays est semblable à une bombe à destruction massive. Il n’est de l’avantage de personne car rien ne peut se construire sans la paix, la quiétude et la sérénité. Nous exhortons les nigériens à rester alertes et de rendre immune les discours incendiaires des politiciens en panne d’imagination et hermétiquement fermés à la raison car ils sont incapables de mobiliser leur électorat autour d’un idéal social qui viserait à réaliser le Bien pour l’épanouissement de tous.
N’oublions jamais que la pomme commence toujours à pourrir de l’intérieur. Et retenons également que « Le lézard ne pénètre que là où il y a des fissures. C’est pourquoi, les murs fendillés sont leur endroit de prédilection »[1]. L’unité de tous les nigériens est essentielle pour le développement du pays. L’unité est inintelligible sans la diversité et la diversité est impensable sans l’unité.
Sidi Bilan
DIBI, K. Augustin, 2018, LE RHDP, CE BEAU CADEAU DU DESTIN TOMBĒ PARMI DES PLANTES ĒPINEUSES. Fraternité Matin. Abidjan 12.02.18
LĒVI-STRAUSS, C. 1961, Race et Histoire. P.21
[1] Proverbe africain