Focus sur la lutte contre le tabac au Niger

«Les mesures financières et fiscales ont le double avantage de réduire la consommation des produits du tabac et de renflouer les caisses de l’Etat », déclare Inoussa SAOUNA 

Le Niger fait partie des premiers pays de la sous-région à disposer d’une loi antitabac. La mise en œuvre reste et demeure un vrai défi. Inoussa SAOUNA, président de SOS Tabagisme-Niger brosse ici l’état des lieux du dispositif national de lutte contre le tabac.

Niger Inter : En tant que président de SOS Tabagisme quel est l’état des lieux de la lutte contre le tabac au Niger?

 Inoussa Saouna : Merci au journal le républicain de nous offrir cette opportunité pour parler de la situation de la lutte contre le tabac au Niger.  On peut dire que la situation de la lutte contre le tabac après une longue léthargie se réveille à travers les différents acteurs. Durant la décennie de 2000-2011 le Niger était le pays leader de la lutte contre le tabagisme en Afrique. Cela grâce à  l’activisme de la société civile engagée dans ce combat mais aussi une réelle complicité d’action entre les acteurs notamment au niveau du ministère de la santé et des autres ministères concernés par cette question.  Ainsi le Niger a très vite ratifié la CCLAT qui est la convention cadre pour la lutte contre le tabac, une loi nationale pour mettre en œuvre cette convention, un décret d’application et plusieurs arrêtés. Dans cette période le modèle du Niger servait d’exemple aux autres pays pour adopter leur législation. Plusieurs forums internationaux ont été organisés au Niger dont le plus important fut la 3e conférence Internationale francophone sur le  contrôle du tabac en 2010 qui a vu la participation de 27 pays francophones du monde. Cette dynamique est en train de renaitre grâce à la volonté politique du gouvernement mais aussi de l’engagement personnel du Ministre de la Santé Publique. En effet le combat contre l’industrie du tabac est un politique il faut donc toujours un leadership et c’est la volonté du Dr Mainassara de marquer son passage au ministère de la santé dans ce domaine en adoptant des réformes qui permettrait une réelle mise en œuvre des politiques nationales de lutte contre le tabac.

Niger Inter : Au niveau législatif on se rend compte que la mise en œuvre des textes est toujours un défi à relever. Que faites-vous pour faire bouger les lignes ?

 Inoussa Saouna : SOS tabagisme-Niger s’est battu plusieurs années pour accompagner le gouvernement à adopter la loi et les textes subséquents. Cependant l’application a malheureusement fait défaut. Le seul point où cette loi est rigoureusement appliquée est l’interdiction de la publicité du tabac. Nous sommes très heureux de constater que cette interdiction importante est respectée.  Le tabagisme est une épidémie  dont l’agent vecteur de transmission est la publicité.  Les autres dispositions ne sont pas hélas appliquées et cela découle de deux facteurs à notre point de vue.

Le premier facteur  est la loi qui comporte certaines insouciances au regard des acteurs chargés de son application. Et le deuxième  facteur est lié au manque d’un cadre organisationnel consacré exclusivement à la lutte contre le tabac. Le Niger est seul pays de la sous-région qui ne dispose pas d’un organe de lutte contre le tabac ce qui constitue un handicap majeur pour non seulement mobiliser des fonds mais aussi suivre l’application des textes adoptés.  Aussi,  au regard de la publication des directives de la mise en œuvre de certaines dispositions de la CCLAT, une relecture de notre loi antitabac s’impose. En effet :

  1. la loi antitabac prévoit l’aménagement d’espaces fumeurs dans certains lieux publics (Article 12 de la loi et Articles 6, 7 et 8 du décret d’application) tandis que les directives de l’Article 8 de la CCLAT disposent que les lieux publics doivent être 100% non-fumeurs ;

  1. la loi antitabac ne contient pas des mesures financières et fiscales alors qu’il est avéré qu’elles sont un moyen efficace et important de réduire la consommation du tabac pour diverses catégories de la population, en particulier les jeunes. Les mesures financières et fiscales ont le double avantage de réduire la consommation des produits du tabac et de renflouer les caisses de l’Etat ;
  2. l’article 5.3 de la CCLAT qui stipule clairement le caractère inconciliable entre les intérêts commerciaux et autres des compagnies du tabac et la santé publique n’est pas développé dans notre loi antitabac ;
  3. la loi antitabac ne prévoit pas la mise en place d’une structure autonome chargée d’organiser et de coordonner la lutte contre le tabac au Niger. Ce qui réduit la visibilité des actions de lutte contre le tabac réalisées par le Gouvernement et ses partenaires ;
  4. D’autre forme de consommation du tabac ont fait leur apparition notamment la Chicha qui est devenu un phénomène social dans la sous-région et qui nécessite  d’être pris en charge par la loi.

C’est pour cela avec l’appui de  l’ONG américaine Campaign for Tobacco-Free Kids (CTFK), nous avons mis en place une équipe pluridisciplinaire pour réfléchir sur un amendement de la loi. Ce processus est fortement soutenu par le gouvernement à travers le Ministère de la Santé publique qui attend impatiemment nos propositions. La démarche est aussi soutenue par l’Assemblée nationale à travers le réseau des parlementaires contre le tabac. C’est pour moi l’occasion de saluer le leadership des membres  de ce réseau pour leur engagement pour la santé publique. Nous demandons à la presse de nous soutenir pour faire aboutir ce processus comme par le passé.

Niger Inter : L’industrie du tabac ne manque pas de stratégie pour saper les politiques de lutte contre le tabac. Comment les OSC antitabac s’organise-t-elles face à ces nouvelles méthodes ?

 Inoussa Saouna : Le tabagisme est une épidémie mondiale qui tue des millions de personnes par an. La particularité de cette épidémie c’est qu’elle est transmise par une industrie qui réfléchit et qui adopte des méthodes pour la propager.  Depuis que la communauté sanitaire mondiale s’est engagée à réduire la propagation de cet épiderme à travers des mesures législatives et administratives, l’Industrie du tabac innove toujours pour bloquer les gouvernements. Sa dernière trouvaille a été la création d’une fondation dédiée à la lutte contre le tabac. Cette fondation est une machination pour annihiler les politiques de lutte contre le tabac. Ils sont en train de recruter des acteurs en Afrique notamment au niveau des ministères de la santé mais aussi dans la société civile  par la création des organisations fantoches de lutte contre le tabac. Au niveau de SOS Tabagisme-Niger nous restons vigilants pour débusquer et dénoncer tout acteur  qui devient collabo de l’industrie du tabac.

Niger Inter : La chicha et la cigarette électronique sont devenues un phénomène à la mode pour les jeunes. Quels sont les dangers de ces produits ?

Inoussa Saouna : La chicha ou le Narguilé est un phénomène importé de l’orient notamment en Inde et les pays arabes. Cette nouvelle forme de consommation du tabac de manière traditionnelle a été récupérée aujourd’hui par des marchands qui en ont transformé en une  industrie. La jeunesse est ciblée par ce produit. En termes de danger  Une recherche publiée dans la revue Tobacco Control révèle ainsi que le narguilé dégage deux fois plus de particules fines, des substances qui aiment se fixer dans les entrailles des poumons.  Selon les experts, la chicha est deux fois plus dangereuse que la cigarette. C’est pourquoi nous avons pris ça en compte dans nos propositions d’amendement à la loi. La cigarette électronique est une création de l’industrie du tabac. Le danger sur sa nocivité est en cours de traitement entre les scientifiques. Pour nous cette cigarette ne règle pas le problème de la dépendance du fumeur comme on veut la présenter. Notre conviction est qu’il n’y pas de bonne cigarette. Le tabac tue dans toutes ses formes !

Niger Inter : M. SAOUNA vous avez transmis des propositions à la commission des finances et budget de l’Assemblée nationale relativement à la loi de finances. Avez-vous un dernier mot sur cette loi des finances 2018 ?

Inoussa Saouna : Nous avons participé aux débats citoyens sur cette loi des finances. Elle a été adoptée par les représentants du peuple, promulguée par le président de la République et même publiée au journal officiel. Ce débat est dernière nous.  Cette loi a été adoptée pour faire face à la situation du moment. Nous attendons les retombées le plus rapidement possible sur notre économie.

Bien sûr des prophètes du malheur continuent leur incantation mais je suis convaincu  à l’épreuve du temps qu’ils vont se rendre compte de leur mauvaise foi et leur perspective contre-productive.

Réalisée par Elh. M. Souleymane