Le député Issoufou Issaka est Président du Groupe Parlementaire Zamzam Lumana Africa-Hankouri. Il répond aux questions d’actualité notamment sur la loi des finances 2018 et l’installation de la Commission électorale nationale indépendante (CENI).
Niger Inter : Vous êtes Député national. Le projet de loi de Budget 2018 est soumis à votre auguste parlement pour examen. Quel est votre commentaire sur cette loi des Finances ?
Député Issoufou Issaka: Depuis l’avènement de la 7ème République, les mois d’Octobre et de Novembre, consacrés à la présentation solennelle, à l’examen et au vote du budget général de l’Etat, constituent des périodes de désespoir et d’angoisse pour le peuple nigérien. Le caractère fantaisiste et irréaliste a toujours pris le dessus sur les préoccupations essentielles des laborieuses populations.
Le projet de loi des finances pour l’année 2018 n’a pas fait exception à la règle, pire il a fait transparaitre la profondeur et l’étendue du fossé qui séparent le peuple de ses dirigeants. Il ne peut en être autrement car le fameux programme dit de renaissance qui constitue le socle sur lequel sont bâties les politiques publiques manque non seulement d’objectifs fiables mais de priorisation d’actions permettant d’améliorer véritablement les conditions d’existence des populations nigériennes. C’est un catalogue de vœux pieux qui dénote l’amateurisme et la non maitrise des réalités nationales par ses concepteurs. Par conséquent, les différents budgets qui en découlent sont loin d’être des instruments efficaces de politique économique c’est-à-dire des budgets qui favorisent et soutiennent l’activité économique du pays. Plus que tous les autres, le projet de loi des finances 2018 fait la part belle aux princes qui nous dirigent à travers des dépenses de prestiges. Il est octroyé à la Présidence de la République 157.919.965.637 FCFA soit 8,3 % du budget global alors que les deux mamelles de notre économie que sont l’agriculture et l’élevage doivent se contenter de 5,6 %, l’hydraulique 2,5% et l’environnement 0,5%. le cumul des prévisions budgétaires de l’Enseignement supérieur (2,7%), de l’Enseignement professionnel (0,9%) et de l’Enseignement secondaire (2,5%) n’atteigne guère le montant de la Présidence, équivaut à la dotation de la présidence. La santé et l’éducation nationale ne bénéficient respectivement que de 5,6% et 6,8% des dotations budgétaires. Bref, on peut remarquer que le montant global alloué aux institutions constitutionnelles, 209 milliards soit 11% du budget, dépasse de loin celui affecté au développement rural.
Pourtant, en dépit du faible financement des secteurs sociaux de base qui impactent le mieux-être des populations, c’est paradoxalement ces dernières qui seront sollicitées pour financer ce budget à hauteur de 1031 milliards de FCFA en termes de recettes fiscales.
Niger Inter: le budget est un instrument essentiel pour un pays. En tant que Député et ancien membre du Gouvernement ne pensez-vous pas que le débat sur la loi des finances exige plus de sérénité et du sens de la repartie que la polémique ambiante à laquelle nous assistons actuellement ?
Député Issoufou Issaka: je dirais même que le budget est l’élément essentiel d’un pays en ce sens qu’il cristallise l’ensemble des actions que seront accomplies au profit des populations. En ce sens le processus de son adoption doit susciter un débat, une attention de la part de toutes les couches sociales de notre pays. Le manque de sérénité dont vous faites cas découle de la gouvernance actuelle dont la caractéristique est le manque de transparence dans le processus d’arbitrage et d’exécution budgétaire et le refus de la contradiction. S’agissant du manque de transparence même les membres du gouvernement dans leur quasi-totalité l’ont lors de leur passage au niveau des commissions permanentes de l’Assemblée nationale. Quant au refus de la contradiction, le ministre des finances a annoncé les couleurs lors de la présentation solennelle de la loi des finances à l’hémicycle. Ces propos ont été relayés par le ministre chargé de l’intérieur comme pour annoncer la répression de toute contestation. Il est temps, grand temps, pour les autorités actuelles de comprendre la seule voie de salut pour un Gouvernement est d’œuvrer véritablement pour le bonheur des populations.
Niger Inter : Jusqu’ici il n’y a que les dispositions relatives aux taxes d’habitation, de mutation et le projet de nouvelle tarification de la NIGELEC qui sont controversés. N’est-ce pas justement que les députés sont en position de procéder à un toilettage de ce projet de budget ou bien selon vous il est question de reprendre ce texte dans sa globalité ?
Député Issoufou Issaka : Les controverses vont au-delà de ce que vous mentionnez. Elles portent d’abord sur la nature des dépenses, le train de vie de l’Etat doit être revisité, revu et ajusté aux réalités nationales. Regardez la taille du Gouvernement, le nombre de conseillers-ministres, la multitude d’Administrations de mission, les avantages exorbitants accordés aux animateurs de ces structures ; Il est indispensable de mettre de côté les dépenses de prestige et privilégier les investissements productifs et structurants. La gouvernance actuelle faite d’endettement souvent inopportun et de politisation à outrance de l’Administration, doit être réorientée vers la recherche de l’efficacité et l’efficience dans nos actions.
S’agissant des charges nouvelles, en plus de celles que vous mentionnez dont l’activation de l’impôt sur l’héritage est la plus inadmissible parce que contraire à nos réalités sociales et religieuses, il y a l’élargissement de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à certaines activités dont le transport et à une trentaine de biens et produits de première nécessité dont les prix vont flamber. Il faut y ajouter les cadeaux fiscaux consentis aux compagnies et firmes opérant dans les domaines de la téléphonie et des hydrocarbures.
Pour ma part, je pense qu’il y a eu en sus une surestimation de certains postes de recettes tels les ressources minières et les hydrocarbures dont les niveaux de production ont été exagérés.
Pour toutes ces raisons, est-ce qu’il sera question d’un simple toilettage du budget ou d’une refonte en profondeur ?
Niger Inter : aujourd’hui on a enregistré des blessés et des dégâts sur des biens publics et privés sur un projet de loi qui n’a même pas été examiné par les députés. Ce qui est inédit dans notre pays. Pensez-vous que cela est normal dans un Etat de droit ?
Député Issoufou Issaka : Tout comme les accusations fortuites, le montage de faux dossiers contre les adversaires politiques, le vrai faux coup d’Etat suivi de l’enlèvement et la séquestration durant quinze (15) mois d’honnêtes citoyens, ces actes sont inédits et en porte à faux avec les principes élémentaires dans un Etat de droit. Je crois sincèrement que l’histoire retiendra que sous la 7ème République, la démocratie au Niger a enregistré un recul, nos us et coutumes ont été pervertis, plus rien n’émeut personne dans ce pays.
Niger Inter : 17,56 % seront alloués dans le projet de loi des finances 2018 à la sécurité soit de loin plus que certains secteurs sociaux de base comme la santé, l’hydraulique ou l’énergie. Ne pensez-vous pas que c’est le contexte sécuritaire du Pays qui exige tant de sacrifice pour notre peuple ?
Député Issoufou Issaka : je suis de ceux qui pensent sincèrement que la sécurité n’a pas de prix, aucun sacrifice n’est de trop pour que notre pays et les populations qui y vivent soient sécurisés. Ne dit-on pas que sans sécurité point de développement ? Ce qui est critiqué ici, ce sont les actes posés par les uns et les autres qui nous ont conduits dans cette situation, la destination réelle des fonds alloués à nos forces de défense et de sécurité (FDS). Le Ministre d’Etat, chargé de l’Intérieur, le Sieur Bazoum Mohamed a reconnu, lors de l’attaque de Tongo Tongo qui a coûté la vie à huit militaires nigériens et étatsuniens, que la réaction de nos FDS allait être vigoureuse n’eût été la faiblesse de leurs moyens par rapport à ceux des assaillants. C’est certainement cette dépravation des fonds alloués à la sécurité qui a fait dire au Ministre de la Défense, Kalla Moutari, dans une interview à Monde Afrique, que « nos armées n’ont pas encore convaincu dans la lutte contre les djihadistes ». Il faut espérer que ces Ministres, en charge des questions de sécurité, feront de l’utilisation optimale des ressources allouées à notre sécurité.
Je voudrais par ailleurs louer à nouveau la bravoure de nos forces de défense et de sécurité qui, malgré les moyens limités, assurent la quiétude et la sécurité dans notre vaste pays. Elles ont convaincu de par leur professionnalisme et leur prédisposition au sacrifice même ultime, la nation nigérienne leur en est reconnaissante.
Niger Inter : le Ministre d’Etat chargé de l’Intérieur vient d’installer officiellement la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) qui sera désormais permanente. Les représentants de l’opposition ne sont toujours pas désignés. Vous êtes Président du Groupe Parlementaire Zamzam Lumana Africa-Hankouri, comment expliquez-vous votre absence à la CENI ?
Député Issoufou Issaka : Les partis politiques de l’opposition politique et les partis non affiliés n’ont cessé de dénoncer la manière cavalière et exclusive dont le processus de révision des lois électorales a été conduit. Le code électoral qui en est issu est inique en ce sens qu’il exclut la représentation à la CENI des partis non affiliés, supprime le recours aux élections législatives partielles, met la CENI sous coupe réglée. Il vous souviendra, en outre, de la cacophonie qui a prévalu entre les partis politiques de la majorité eux-mêmes d’abord et entre eux et la présidence ensuite relativement à la désignation du Président et du Vice-Président de la CENI. Il va sans dire qu’à l’opposition, l’installation d’une CENI dans ces conditions est un non évènement.
Niger Inter : Selon vous quelles sont les conditions de possibilité du dialogue politique au Niger après l’échec du CNDP ?
Député Issoufou Issaka : Le retour à la bonne gouvernance c’est-à-dire le strict respect de la constitution et des lois et règlements de la République.
Propos recueillis par Elh. Mahamadou Souleymane