Docteur Mamane HIMA est Consultant en Santé et Environnement. Très disponible à accorder aux médias des contributions intellectuelles et citoyennes dans plusieurs domaines, son ouverture d’esprit lui confère la stature d’un intellectuel à jour capable de cogiter sur les vraies préoccupations du monde contemporain. Dans cette interview qu’il a bien voulu accordée à Niger Inter : , il décrypte les tenants et les aboutissants du ‘’Dividende démographique’’. Un débat on ne peut plus très actuel.
Niger Inter : On parle de dividende démographique. Comment définissez-vous cette notion ?
Dr Mamane Hima : En réalité cette notion est plutôt la traduction d’une réalité par les démographes et les spécialistes des sciences sociales qui s’accordent pour dire que : « Le dividende démographique est un « boost » ou « coup de pouce » que le changement dans la structure d’âge d’une population peut apporter au développement économique de ce pays. »
Cependant, il faut souligner qu’il est précédé par «une transition démographique », elle-même résultante d’un long processus qui à terme consacre le passage de taux de natalité et mortalité élevé à un niveau faible, favorisant ainsi des opportunités de développement pour les pays et un bien-être social pour les familles. Cette dynamique s’enclenche à la faveur de mutations d’ordre politiques et économiques, ainsi que des bouleversements culturels et religieux qui ébranlent la trame de la société.
Niger Inter : Pourquoi c’est en Afrique que la question démographique se pose avec acuité ?
Dr Mamane Hima : Quand on parle d’Afrique, on a tendance à la considérer comme un ensemble homogène ayant les mêmes caractéristiques démographiques. Pourtant de ce point de vue elle est plurielle. Les pays d’Afrique du Nord et Australe ont quasiment entamé leur transition démographique, l’Afrique du sud est bien engagée dans le processus alors que l’Afrique de l’ouest semble être dans ce que j’appelle « une impasse démographique ». C’est dans cette aire géographique du continent que les pesanteurs figent toute amorce d’une réduction de la natalité malgré les gains très appréciables en termes de baisse du taux de mortalité. L’exemple du Niger est très explicite avec plus de 7 enfants par femme en âge de procréer et une espérance de vie estimée à trente-sept (37) ans en 1960 et cinquante-huit (58) ans en 2016 soit un gain de vingt un an (21) en cinquante-six (56) ans. Nous sommes encore à une procréation naturelle. C’est un pays dans lequel on peut croiser une femme de vingt-deux ans avec un enfant qu’elle tient par la main, un enfant qui rampe, un enfant au dos et un autre en gestation. Les tendances sont lourdes et ce tableau est accentué par la vulnérabilité des pays du Sahel qui pour la plus part sont dans le peloton de queue en matière d’indice de développement humain. Dès lors il n’est pas étonnant d’entendre les responsables politiques lancer des cris d’alarme. Le président Issoufou MAHAMADOU s’exprimait d’ailleurs en ces termes dans son allocution à la nation, le 18 décembre 2014 : « La question de la transition démographique fait partie des défis majeurs auxquels est confrontée notre société. Face à cette question, on retrouve le même obstacle, celui de la rigidité de nos mentalités, celui de l’ignorance des préceptes religieux. « Vous êtes tous des bergers et tout berger est responsable de son troupeau. ». « Il suffit à l’homme comme péché d’abandonner ceux dont il a la charge. ». C’est en ayant à l’esprit ces hadiths que j’avais déclaré devant les cadres de commandement, à Maradi, en Avril dernier, que nous avons le devoir de procréer avec responsabilité, c’est-à-dire le devoir de faire des enfants que nous pouvons nourrir, éduquer et soigner. Notre pays a le taux de fécondité le plus élevé au monde. Plus grave, une enquête récente révèle que le nombre d’enfants désirés, aussi bien par les femmes que par les hommes, est supérieur au taux de fécondité. Ne nous voilons pas la face, nous devons créer, comme c’est le cas dans beaucoup de pays musulmans, notamment arabes, les conditions de la transition démographique. Notre pays doit chercher à bénéficier du dividende démographique qui est l’union de la transition démographique et du développement durable. »
Vous constatez que les signaux que renvoient l’Afrique et son reflet dans le miroir ne rassurent guère le reste du monde surtout que cette masse critique de jeunes sont sans perspectives dans la plus part des cas.
Niger Inter : D’aucuns pensent que c’est une injonction des Occidentaux notamment avec la polémique suscitée par Emmanuel Macron et la rencontre des parlementaires africains à Ouagadougou sur le dividende démographique. Qu’en pensez-vous ?
Dr Mamane Hima : Ces propos sont condescendants et il prend un raccourci en disant que les investissements sont inutiles dans un contexte de forte croissance démographique. Je dirai que les africains l’attendent plus sur la responsabilité de la France dans l’état de délabrement de nos économies et les mesures hardies qu’il prendra pour d’une part mettre fin aux pillages de nos ressources minières et pétrolières, d’autre part engager la France dans un partenariat « gagnant gagnant » au lieu de l’esprit « gagnant perdant » qui prévaut. Les Africains sont conscients que l’obtention du dividende démographique passe par un processus dont la baisse de la fécondité est l’étape initiale. II défonce une porte déjà ouverte.
Niger Inter : Paradoxalement les pays africains disposent des ressources naturelles. N’est-ce pas la redistribution des richesses qu’il faudrait revoir en termes de gouvernance à l’échelle mondiale ?
Dr Mamane Hima : C’est vrai que le sous-sol africain regorge de richesses et paradoxalement les pays sont classés parmi les plus pauvres de la planète et conséquemment les africains sont aussi très pauvres car la plus part vivent avec moins d’un dollar par jour. Avant de parler de redistribution de ces richesses, il faut dire qu’elles ne nous appartiennent que de nom, car ce sont des multinationales avec l’aval de leur pouvoir public qui pillent nos ressources avec la complicité des dirigeants. Un autre aspect c’est que très peu de matières premières sont transformées sur le continent, il n’y a donc aucune valeur ajoutée qui pourrait être induite par la chaine de transformation. Un autre fait, c’est la perception que nous avons de ces richesses. En effet, elles nous servent comme une source éventuelle de devises mais pas comme moteur de développement. Ces matières premières continuent à faire fonctionner les industries européennes, américaines et asiatiques et les produits finis ou manufacturés nous reviennent à des couts exorbitants voire prohibitifs. Il faut donc améliorer la gouvernance mondiale et faire en sorte que les pays détenteurs des matières premières participent à la fixation du prix de celles-ci et que la responsabilité sociétale des entreprises ne soit pas une vue de l’esprit. Une autre exigence c’est l’élaboration d’un contenu local de développement qui tienne compte des populations.
Niger Inter : On constate partout qu’une minorité détient les richesses au détriment du plus grand nombre. N’est-ce pas là le nœud du problème ?
Dr Mamane Hima : C’est vrai qu’il y a des grandes disparités dans nos pays. D’abord les zones rurales dans lesquelles vivent la plus part de nos concitoyens. Leurs activités se limitent à l’agriculture et à l’élevage quand c’est possible. Et ces activités qui relèvent du secteur primaire ne sont pas performantes. L’agriculture ne nourrit plus son homme, les terres sont appauvries car avec la pression démographique, il n’y a plus la possibilité de les laisser en jachère, les outils de production sont moyenâgeux (houe et hilaire). Quant à l’élevage, l’occupation des aires de pâturage, les sécheresses récurrentes en ont fait une activité à haut risque. Il y a forcément une fracture sociale entre une population urbanisée, éduquée, formée qui capte l’ensemble des richesses au détriment du plus grand nombre qui vit dans les zones rurales. Il urge d’initier des activités économiques dans ces zones et de créer les conditions d’un mieux-être en milieu rural notamment en faisant de l’agriculture et de l’élevage les véritables leviers de développement. Il faut comme le dit le président Issoufou MAHAMADOU « une croissance inclusive »
Niger Inter : Comment selon vous faire en sorte au 21ème siècle avec les merveilles des sciences et techniques que tous les enfants puissent accéder aux besoins humains fondamentaux (santé, éducation, habitat…) ?
Dr Mamane Hima : Vous savez, j’ai coutume de dire que « les africains sont des spectateurs du 21ème siècle ». La raison est simple. Avec le développement des NTIC et la possibilité à une minorité urbaine africaine d’accéder à internet à travers un téléphone androïde ou une tablette , nous sommes dans le virtuel en pensant que nous sommes logés à la même enseigne que les citoyens américains , européens ou asiatiques . C’est une grande illusion, car dans ces pays se nourrir, se soigner, s’éduquer, se former sont des problèmes résolus alors qu’en Afrique ça relève de la quadrature de cercle. Il y a des efforts et des sacrifices importants à faire pour y parvenir. Nous sommes sur la même planète mais nous ne vivons pas les mêmes réalités. Il nous faut agir sur les secteurs sociaux de base. Pour le secteur de la santé le constat est amer. Les épidémies, la malnutrition, les maladies parasitaires et infectieuses continuent à faire grimper le taux de mortalité en Afrique. Il n’y a pas que les enfants , il faut nécessairement investir dans la santé pour d’abord avoir des agents de santé compétents en nombre suffisant, créer des infrastructures de pointe pour élargir l’offre de soins. Les systèmes de santé dans leur ensemble doivent être renforcés, avec l’élargissement des soins de santé primaires.
L’éducation doit être repensée. Elle doit cesser d’être cette machine à fabriquer des chômeurs et priorité doit être donnée à la formation professionnelle. Ce sont là quelques pistes de réflexions.
Niger Inter : La crainte des africains c’est qu’à travers le dividende démographique qu’on préconise un malthusianisme sauvage comme le préconise certains. Quelle est votre opinion?
Dr Mamane Hima : Loin s’en faut. Vous savez la transition démographique ne se décrète pas. En dehors de la chine qui a imposé la politique de l’enfant unique, je ne connais pas d’autres exemples à travers le monde où l’Etat central est passé par des méthodes contraignantes. Par contre avec la baisse sensible de la mortalité surtout infantile, l’éducation, et les réalités économiques, beaucoup d’africains surtout en milieu urbain sont déjà dans cette dynamique de réduction de la taille de la famille. Il faut continuer la sensibilisation, améliorer le fonctionnement de nos formations sanitaires, responsabiliser chacun face à sa progéniture. Je pense que la dynamique s’enclenchera et que le plus grand nombre va progressivement tendre vers une taille de la famille conforme à ses revenus. Mais il faut laisser le temps au temps.
Niger Inter : D’ aucuns pensent plutôt que la population est un facteur de développement. Que répondez-vous ?
Dr Mamane Hima : Bien sûr, mais il y a des préalables. Il faut qu’elle soit intégrée dans le système économique et qu’elle soit une force productrice capable d’innover et de créer de la richesse. Elle doit être soucieuse de son bien-être c’est-à-dire capable d’investir et de consommer.
Niger Inter : Comment selon vous réconcilier cette vision de dividende démographique avec les facteurs socio-culturels ?
Dr Mamane Hima : Je parlerai surtout de conciliation. C’est difficile mais ce n’est pas antinomique dans tous les aspects. Les choses bougent et changent, il n’y a pas de solutions clefs en main, mais ce qui était vrai hier ne l’est pas forcément aujourd’hui et ce qui est vrai aujourd’hui ne le sera pas forcément demain. En plus avec le brassage, le contact et d’autres dynamiques sociales, les valeurs des uns semblent se dissoudre dans celles des autres, nous évoluons de plus en plus vers le citoyen du monde qui pense et vit de la même manière quelque soit le lieu où il réside sur la planète. Peut-être sommes-nous à la « civilisation de l’universel », comme dirait L.Sedar SENGHOR ?
Niger Inter : Avez-vous un dernier message ?
Dr Mamane Hima : Le message, c’est que la politique de l’autruche nous mènera vers une impasse. Il nous faut adopter une procréation responsable au plan individuel, quand à l’Etat il doit orienter les ressources vers la santé, l’éducation et la formation professionnelle et garantir un accès aux services sociaux de base surtout en zone rurale et faire en sorte que les secteurs primaire et tertiaire soient le moteur de développement dans nos pays.
Interview réalisée par Elh. Mahamadou Souleymane