Dr Sahidi Bilan connu sous le nom de Sidi Bilan est philosophe de formation. Il a fait le premier cycle de ses études universitaires au département de philosophie à l’université de Niamey et son second cycle à l’Université de Cocody en Côte d’Ivoire. Dans cette interview fleuve, il a bien voulu décrypté la notion de renaissance culturelle, l’école nigérienne, la modification de la constitution en Afrique et le récent rapport de la Cour des comptes sur les partis politiques. Il a également partagé avec ses concitoyens son expérience de la diaspora.
Niger Inter : Présentez-vous à nos lecteurs et internautes.
Dr Sidi Bilan : Après mon DEA en philosophie, j’ai bénéficié d’une bourse doctorale allemande sous la recommandation de mes professeurs pour poursuivre mes recherches sur Hegel en Allemagne. Je suis titulaire d’un PhD en philosophie, sociologie et sciences politiques de l’université technique d’Aachen et d’un certificat de compétence en langue allemande de l’université de Mannheim. J’ai soutenu ma thèse de doctorat en philosophie sur la Science de la logique de Hegel. Après mon PhD, et deux années d’assistanat à l’institut de Philosophie de Aachen, je suis allé à Londres pour améliorer mon anglais. Parallèlement, j’ai entrepris des études pratiques en gestion sanctionnées par un Master général en gestion des affaires. Après le certificat Proficiency en Anglais de l’université de Cambridge et ce Master général, j’ai eu un deuxième Master spécialisé en stratégie à l’Université de Anglia Ruskin. Pour me rendre plus compétitif sur le marché du travail, j’ai finalement fait un troisième Master en Marketing & Innovation dans la même université. Je travaille actuellement à l’université de Sunderland à Londres à la faculté des sciences juridiques et gestions comme professeur, enseignant-chercheur et en même temps comme directeur académique des programmes de gestions Undergraduate. Je suis fellow de l’académie britannique de l’enseignement supérieur (The British Higher Education Academy). J’enseigne la philosophie, la sociologie et la gestion dans plusieurs départements, comme celui du Tourisme, santé et Assistance sociale. Je mène mes recherches dans le domaine de la stratégie et en philosophie dans le cadre de l’idéalisme objectif. Je m’intéresse à des domaines comme la philosophie de l’esprit et aussi la philosophie morale et politique.
Niger Inter : Dans un commentaire récent sur Facebook vous parlez de ‘’LA PATHOLOGIE CULTURELLE DE L’AFRICAIN’’. Vous avez affirmé : « L’état d’aliénation profonde dans laquelle nous nous trouvons me semble être une pathologie. La maladie la plus mortelle et cruelle est la pathologie culturelle. Elle est plus dangereuse que le HIV et l’Ebola parce qu’elle est endémique et s’étend sur plusieurs générations. Elle est plus cruelle, car elle amène le patient inconsciemment à se haïr, à avoir honte de lui-même et détester tout ce qui est africain. » Pouvez-vous préciser votre pensée ?
Dr Sidi Bilan : Cet article est une expression de mon constat de la situation dramatique que vit l’Africain d’aujourd’hui. J’ai eu le privilège de voyager et de rencontrer des personnes de plusieurs cultures. Je travaille en ce moment dans un milieu interculturel avec des collègues et des étudiants venus du monde entier. Cette expérience m’a beaucoup édifié dans le sens de ma propre introspection. J’ai beaucoup observé le comportement de l’africain dans son interaction avec les ressortissants des autres cultures. L’Africain s’offre comme un être déchiré culturellement. Ne connaissant pas d’où il vient et qui il est culturellement, il a tendance à copier l’autre même dans ses bêtises les plus obscènes, dans sa manière de parler, de manger, de vilipender son frère, les postes de certains africains de la diaspora sont illustratifs. Tout cela le plus souvent juste pour faire plaisir et être accepté. Cette situation est à mon sens le produit de la méconnaissance voire même de l’ignorance de nos cultures respectives. Métaphoriquement parlant, l’Africain est comme la chauve-souris qui n’est ni un animal et ni un oiseau. Puisque n’étant pas enraciné dans sa culture, par conséquent n’ayant aucune norme à l’aune de laquelle il faut évaluer ce qu’on prend de l’autre, il ne saura pas quoi prendre de l’autre ou ce qu’il faut récuser ou rejeter. Il y a également des comportements qui ne concordent pas avec les exigences du développement tels que la négligence, le non-respect des délais dans l’accomplissement des tâches administratives, la bureaucratie, la procrastination, etc.
Vivre à l’extérieur m’a aussi permis d’avoir une autre perception de ma propre culture et de celles des autres frères et sœurs africains. Pendant que nos sœurs se dépigmentent parce qu’elles pensent que l’idéale de la belle femme est celle qui est claire ou blanche, les femmes blanches cherchent à se noircir car une femme au teint brun leur apparaissent plus belles. C’est aussi très clair chez tous les Africains que le retard du développement de l’Afrique est en partie lié à la mauvaise gestion, la corruption etc. Dans l’effort des Africains assimilés de vouloir reproduire le mode de vie occidental chez eux à tout prix. C’est ce que j’appelle le mode de vie du paraitre ou la vie inauthentique, celle d’essayer d’être ce qu’on n’est pas et ne pas être ce qu’on est.
Niger Inter : Dans son programme de campagne pour un second mandat, le Président Issoufou a érigé ‘’La Renaissance culturelle’’ comme l’axe n°I. Selon le chef de l’Etat : « Nous avons une ambition au niveau du Gouvernement, c’est celle de réaliser ce que nous appelons trois modernisations: la modernisation sociale, la modernisation politique, et la modernisation économique. » En tant qu’intellectuel nigérien vivant à l’extérieur que pensez-vous d’une telle approche ?
Dr Sidi Bilan : Honnêtement parlant, le concept de la renaissance culturelle est très bien et il est à saluer même si je pense que ses contours restent encore à être bien définis. Nous vivons présentement dans un monde globalisé, et seuls les pays qui répondent à ses exigences en bénéficient réellement. Il s’agit alors de saisir ce concept de renaissance culturelle pour redéfinir nos économies, notre politique mais aussi notre organisation sociale pour mieux profiter des dividendes des progrès scientifiques et techniques qui ont leurs impératifs modernes. Profiter des progrès scientifiques et des techniques de la communication et de l’information exige de nous l’adoption corolaire de certains comportements comme condition sine qua non de toute participation à l’exigence de la vie moderne. Dans cette perspective, la modernisation est l’exigence de se soumettre aux principes de la rationalité, de la transparence, de l’efficacité et de l’efficience. La Renaissance culturelle est donc un programme qui exige de nous un changement de nos mentalités, de nos perceptions des choses, de notre attitude vis-à-vis du travail, de nos interactions avec les autres mais aussi une ouverture politique, la promotion aussi bien des droits individuels que collectifs, l’Etat de droit etc.
Niger Inter : Que serait cette Renaissance culturelle selon vous en tant qu’enseignant chercheur et citoyen nigérien vivant la marche du Niger de l’extérieur ?
Dr Sidi Bilan : La culturelle est ce qui définit un être humain et au-delà de l’individu une société donnée. En d’autres termes, l’individualité d’une société est le fait de sa culture. La culture est, pour ainsi dire, ce par quoi une société vit et se particularise des autres sociétés. La renaissance culturelle est particulièrement intéressante pour les sociétés en voie de développement. Elle permet à une société, à une Nation qui a été pendant très longtemps le réceptacle des cultures du monde de se redéfinir afin de mieux se repositionner dans le concert des nations. Toutes les grandes nations se sont à un moment donné de leur histoire interrogées sur ce qu’elles sont, où est ce qu’elles sont et où elles veulent être. En Chine, il y a eu sous Mao la grande révolution culturelle. Les Occidentaux sont très jaloux de leur origine culturelle gréco-latine. Alors pourquoi pas nous? Il est important pour le Niger et pour l’Afrique en général d’avoir un rapport réflexif à leur passé car il est temps de se demander pourquoi après plus de 50 ans des indépendances nominales le développement économique et politique de l’Afrique tarde à prendre ses élans ? Le prérequis du développement est l’enracinement culturel, le dialogue critique avec notre patrimoine culturel afin de mieux comprendre qui nous sommes, qu’est-ce qu’on peut offrir et ce qu’on peut prendre des autres.
Niger Inter : Le refus de certains chefs d’Etat africains de quitter démocratiquement le pouvoir fait qu’aujourd’hui en Afrique les citoyens ont horreur de la modification de la constitution. Quelle est votre lecture de ce paradoxe africain où certains pensent qu’il faut mourir au pouvoir ?
Dr Sidi Bilan : Il est impératif que les constitutions africaines soient véritablement l’émanation des aspirations du peuple souverain. Si la constitution est l’expression de la volonté et de la souveraineté du peuple alors elle fonctionne comme gage de la justice sociale, de l’équité et de la liberté pour tous. L’Etat de droit est donc en principe garanti par la constitution. Généralement, ce qu’on constate en Afrique est que la constitution est immédiatement instrumentalisée par les dirigeants, les hommes politiques en général, une fois au pouvoir pour faire main basse sur les ressources et s’arroger certaines libertés de faire ce que bon leur semble ou encore la Constitution est taillée sur mesure pour permettre à un dirigeant politique ou une équipe de parvenir au pouvoir. Une fois au pouvoir, l’arbitraire, le clientélisme, la corruption, la concussion deviennent mode de gouvernance. Au terme de leurs mandats, les autocrates déguisés ont causé tellement de torts qu’ils craignent les règlements de compte une fois n’étant plus au pouvoir. Dès lors le tripatouillage des constitutions semble être le seul moyen de se maintenir au pouvoir et de se dérober à la justice contre des éventuelles malversations financières et des crimes de sang contre des adversaires politiques. Il y a alors lieu de consolider les institutions pour parer à des éventuelles modifications illégales des constitutions. Je pense que ces genres de pratiques politiques ont un lien direct avec nos mentalités et comportements de personnes qui ne savent pas culturellement où elles en sont réellement. La promesse dans nos sociétés anciennes était divine, sacrée et l’individu ou le dirigeant promettant préférerait mourir que de faillir. Le sens de l’honneur était un principe simple de gouvernance. Quand l’enfant va dans un autre village, son père lui dit : « je préfère entendre ta mort que ta honte ». Aujourd’hui, le père dit : « mieux vaut mourir que de revenir pauvre. »
Niger Inter : D’aucuns disent les constitutions en Afrique ne sont que des plagiats d’autres constitutions. N’est-ce pas peut-être là l’origine de l’impasse de la gouvernance en Afrique ?
Dr Sidi Bilan : Oui absolument ! C’est précisément à cela que je faisais allusion tout à l’heure. Si nos Etats dits modernes avaient un ancrage dans nos cultures, nous n’aurions pas tous ces problèmes avec des dirigeants, insouciants, irresponsables qui s’accrochent au pouvoir et même vouloir s’y éterniser. Tenir la promesse était une valeur morale ultime qui va au-delà même de l’individu et de sa famille. Ne pas tenir une promesse, c’est se tourner contre les ancêtres, ce qui serait par conséquent un sacrilège. Le pouvoir appartient aux ancêtres et on ne peut s’y accrocher.
Niger Inter : En tant qu’enseignant chercheur, quelle est votre perception de l’école nigérienne et ses problèmes actuels ?
Dr Sidi Bilan : Etant moi-même produit de l’école nigérienne, et en tant que nigérien, je suis profondément peiné par la situation de déliquescence avancée dont souffre notre école. La baisse de niveau et l’incapacité de l’école nigérienne à répondre aux défis majeurs dont fait face notre pays est un échec collectif. Le mal est tellement profond qu’il nécessite une solution globale qui passe par les états généraux de l’éducation. L’école est un des piliers fondamentaux du développement. Quand l’école ne marche pas, c’est tous les autres sous-systèmes de la société tels que l’économie, l’administration, la santé … qui ne fonctionneront pas. Je lance un appel pressant à nos autorités de tout faire pour doter l’école nigérienne de toutes les ressources humaines et financières requises pour remédier aux problèmes dont souffre notre école. Aucun investissement dans l’école n’est de trop. Bien au contraire ! Je pense qu’il faut mettre sur pied des structures en place avec les compétences requises qui permettent aux élèves très tôt de choisir une voie professionnelle ou de formation manuelle afin d’apprendre un métier. C’est un leurre dans un pays que tout le monde face des études universitaires qui sont axées sur des généralités. Il faut que chacun ait une compétence professionnelle pour pouvoir participer concrètement à la production.
Niger Inter : A l’université de Niamey, il y a des années qu’on valide après 30 mois du fait de l’irrégularité de certains enseignants, apprend-on. Comment appréciez– vous une telle administration de nos universités ?
Dr Sidi Bilan : Si cela s’est avéré alors il faut le dire sans ambages, c’est inadmissible ! Je pense qu’il y a lieu de revoir le système de recrutement des enseignants à l’Enseignement supérieur car il ne suffit pas juste d’avoir un parchemin pour être qualifié à enseigner à l’université. L’enseignement est plus qu’un métier, c’est une vocation. Il faudrait soumettre les enseignements à un système d’évaluation annuelle comme il en est le cas dans plusieurs universités britanniques. Chaque année les enseignants doivent suivre des stages de mise à niveau sur les techniques de l’enseignement et les stratégies d’apprentissage. Il y a une différence fondamentale entre un enseignant et un chercheur. Un chercheur peut ne pas être un bon enseignant. Voilà pourquoi dans les universités britanniques l’aptitude de pédagogie est exigée chez tous les enseignants-chercheurs. Enseigner à l’université n’est pas synonyme de garantie de travail. Il faut aussi appliquer sans faille le code de l’éthique et de déontologie sans sentiment. Il faut que des statuts de l’enseignant-chercheur qui garantissent à la fois les intérêts des enseignants mais qui aussi plus l’avenir de la jeunesse nigérienne sur lequel repose l’avenir du pays.
Niger Inter : On parle d’évaluation des enseignants comme alternative à la baisse du niveau à l’école. Comment entrevoyez-vous la solution des problèmes qui assaillent notre école ?
Dr Sidi Bilan : L’évaluation des enseignants n’est pas forcément une mauvaise approche car cela se fait dans les pays où la qualité de l’enseignement est en cause. Je suis en faveur de l’évaluation des enseignants à tous les niveaux de l’école primaire à l’université. Seulement l’évaluation seule ne suffit pas si les infrastructures requises pour enseigner ne sont pas disponibles. Je pense qu’il faut une approche holistique pour résoudre le problème. Il faut revoir toute la chaine qui va du recrutement des enseignants à tous les niveaux, leur formation pédagogique, leur mode d’avancement dans le métier à l’évaluation annuelle.
L’évaluation peut être étendue aux enseignants du supérieur aussi. L’enseignant est évalué par rapport à des indicateurs clés de performance tels que le taux de réussite des étudiants, la ponctualité au cours, la qualité du feedback des étudiants, la qualité du contenu enseigné etc. Les enseignants sont aussi évalués par leurs étudiants à la fin de chaque module délivré. Je pense que la performance pédagogique des enseignants peut être améliorée si l’université mettait en place une instance pédagogique indépendante au niveau de chaque faculté pour veiller à la provision de la qualité dans l’enseignement au niveau de chaque département et que les étudiants soient associés dans ce processus d’évaluation par rapport à leur expérience académique. Je pense aussi qu’associer la diaspora académique pourrait aussi donner un tonus à la qualité de l’enseignement.
Niger Inter : Une question d’actualité : selon le dernier rapport de la Cour des comptes du Niger, l’écrasante majorité de nos partis politiques ne sont pas en règle et ces derniers bénéficient de la subvention de l’Etat. En tant que citoyen quelle est votre réaction ?
Dr Sidi Bilan : C’est scandalisant! Cela relève de la négligence mais aussi de la démission de l’État. Le rôle de l’Etat, nous le savons tous, est d’appliquer la loi à tous sans exception. Pour bénéficier de certains droits, il faut assumer ses responsabilités et observer ses obligations. De l’égalité des citoyens devant la loi dépendra la justice sociale. A mon sens, c’est très simple de régler ce problème. Il faut publier par voix de presse tous les partis qui ne sont pas en règle, leur donner un délai raisonnable pour se conformer à la loi. Tout parti qui dérobe après doit se voir simplement retirer son autorisation d’exercice. Un parti qui n’est pas conforme aux textes et règlements du pays qu’il aspire gouverner un jour n’a pas le droit de prendre la parole. C’est une exigence de l’Etat de droit qui est aussi le devoir d’accomplir ses devoirs vis à vis de l’Etat.
Niger Inter : Vous vivez en Grande Bretagne, un pays développé. Quelles sont les bonnes pratiques qui font que la gouvernance marche par rapport à nos pays africains ?
Dr Sidi Bilan : En Grande Bretagne, les lois sont vraiment impersonnelles et s’imposent à tous, quel que soit votre rang social, origine et croyance. Les droits et devoirs des citoyens sont clairement définis et les institutions sont solides et fonctionnent pour tous. Il y a un respect scrupuleux des libertés individuelles et des communautés. Les politiciens sont respectueux de la chose publique et cela fait que des phénomènes tels que la corruption, les détournements des deniers publics sont presque inexistants. Le politique est au service du peuple et il lui est redevable. L’intérêt général est au-devant des intérêts politiciens et les politiciens œuvrent pour et dans l’intérêt général et savent taire leurs divergences quand il le faut. Il y a la transparence dans l’action du gouvernement car elle est scrutée par l’opposition dans un esprit constructif.
Interview réalisée par Elh. Mahamadou Souleymane