Entretien  à bâtons rompus avec M. Issoufou Amadou

« Sous aucun prétexte, les organisations de la société civile  ne doivent engager leurs militants dans des luttes politiciennes au risque de se vider d’une partie de leurs membres qui ne se reconnaitront pas dans ce genre d’actions », déclare M. Issoufou Amadou

M  Issoufou Amadou est ancien syndicaliste et ancien cadre de commandement. Il fut Secrétaire général adjoint du Syndicat National des Enseignants de Base (SNEB). Dans cet entretien,  il décrypte le rapport société civile et partis politiques, la situation scolaire, l’affaire de 200 milliards et la gouvernance en général. Entretien.

Niger Inter : Aujourd’hui  il n’y a aucune ligne de démarcation entre certaines organisations de la société civile et les parties politiques. En tant qu’ancien acteur de la société civile, trouvez –vous normal cet état des faits ?

Issoufou Amadou: Je voudrais d’abord remercier votre équipe pour l’occasion que vous m’offrez de m’exprimer et saluer vos efforts pour un travail citoyen. Permettez-moi aussi d’adresser à la nation mes sincères condoléances  suite à la disparition de plusieurs éléments des FDS dans l’exercice de leur fonction, qu’ALLAH leur accorde le paradis, amin ! Ceci dit, pour répondre à votre question, je dirais d’emblée que ce n’est pas normal. La ligne de démarcation entre les partis politiques et les organisations de la société civile (OSC) doit être nette, claire et précise, il ne doit pas y avoir d’amalgame, de copinage, ou même de complaisance. Du reste, les textes régissant les OSC disent qu’elles sont apolitiques mais elles peuvent se prononcer sur les questions d’intérêt national tout en restant dans leur rôle de défendre les intérêts de leurs membres. Pour être crédibles, les OSC doivent éviter les affinités avec les partis politiques, elles sont un contre pouvoir, alors que les partis politiques ont pour objectif de le conquérir, le « gérer » parfois au mépris des règles   établies.

 Les intérêts n’étant pas les mêmes, les OSC trahissent leurs missions en répondant aux mots d’ordres des partis politiques à moins que ce ne soit fait pour servir de tremplin aux leaders ce qui constituerait une trahison de leur  mandat. Les OSC doivent être ingénieuses, elles doivent proposer des solutions aux problèmes des populations, participer à leur éducation citoyenne et les amener à  décider par elles-mêmes ! Sous aucun prétexte, les organisations de la société civile  ne doivent engager leurs militants dans des luttes politiciennes au risque de se vider d’une partie de leurs membres qui ne se reconnaitront pas dans ce genre d’actions.

Niger Inter : En tant qu’enseignant, qu’elle est votre analyse sur les récentes mesures notamment l’évaluation des enseignants ?

Issoufou Amadou : Personnellement, je ne vois aucun inconvénient à cela si tant est qu’elle va permettre  d’identifier les  problèmes  que les enseignants ont dans la pratique de la classe et y apporter  des solutions. C’est  du reste  un vieux sujet ! C’ était d’ailleurs l’une des recommandations de la réunion des  cadres du MEP/A/PLN/EC que nous avions tenue à Zinder  en septembre 2015. Par lettre circulaire, n° 282/MEP/A/PLN/EC/SG/DEP  du 22 octobre 2015, la ministre de l’ époque instruisait les directeurs régionaux à organiser ce qu’elle a appelé « l’ évaluation des  compétences des  enseignants  afin de détecter   ceux  qui n’ ont pas  les  compétences pour tenir une classe ». Si aujourd’hui, cette évaluation pose problème, on peut dire que c’est lié aux antécédents  existants malheureusement entre les ministères en charge de l’éducation et les syndicats d’enseignants. Il faut à moins avis que ces parties se retrouvent pour aplanir leurs divergences.

Niger Inter : Comment remédier selon vous au problème de baisse de niveau des enseignants et des élèves ?

Issoufou Amadou: Je suis gêné par cette expression s’agissant des enseignants, plutôt, parler de lacunes. Pour les corriger, il existe déjà  un dispositif d’encadrement et de formation continue. Ce qui  manque  chez beaucoup de mes collègues c’est l’auto-formation, ils ne lisent pas beaucoup, ils sont attentistes pourtant ils ont les moyens. En tant qu’enseignant à BILMA, j’ai pu acheter  la collection d’une dizaine de volume de « pédagogie pour l’Afrique  nouvelle » qui coutait 120 000 fcfa avant la grille salariale de 1996 ; j’avais à peu près le même salaire qu’un enseignant contractuel d’aujourd’hui, qui, lui est là avec zéro ouvrage, inscrit dans aucune bibliothèque ! Le premier défi à relever par l’enseignant aujourd’hui c’est qu’il  doit aimer son métier, aimer ses élèves et fournir des efforts pour être un bon maitre !

Chez les élèves, la première question à régler c’est de ramener la sérénité à l’école de façon à ce que le maitre puisse boucler son programme annuel pour cela et par ce temps de crise financière et sécuritaire, j’oserais inviter les syndicats à observer une trêve tout en poursuivant les discussions avec le gouvernement, qui à son tour doit honorer ses engagements. L’école nigérienne est sur un lit d’hôpital et pour la soigner il faut  une équipe pluridisciplinaire de médecins, si j’ose dire. Elle exige que nous mettions notre fibre  patriotique en avant ! Après le retour de la stabilité, il faut penser aux cours de rattrapages selon les capacités de chaque enseignant et en tenant compte des particularités de chaque zone et à moyen terme repenser  les curricula.

Niger Inter : Une question qui défraie la chronique c’est l’affaire de 200 milliards révélée par le journal le Courrier. Quelle est votre appréciation de cette actualité ?

Issoufou Amadou: En effet, cette information fait la Une de l’actualité mais personnellement, je la trouve incomplète pour être vraie ! Rappelez-vous des révélations du Républicain sur les LAPS et les PSOP, tellement elles étaient complètes et compromettantes, elles avaient dérouté le régime de l’époque, ce fut un travail d’investigation que votre journal avait mené, c’est ce qui manque aujourd’hui à certains de vos confrères, pour être vraie une révélation doit véritablement confondre celui qu’elle incrimine sinon, elle tombe sous le coup d’une calomnie.

Le Président Issoufou Mahamadou a bâti toute sa réputation d’homme d’Etat sur la base de la lutte contre la corruption, le détournement du denier public, les passes droits, penser qu’il peut permettre une telle bavure, est un leurre !

Quant au ministre Massoudou Hassoumi qui est cité dans cette affaire, celui par lequel on a l’habitude d’entendre si haut certaines vérités que les autres disent tout bas, il a dit d’ailleurs de qui  venait cette machination tout en restituant les faits tels qu’ils se sont passés. Je ne doute pas un seul instant que ce ministre incarne des valeurs d’homme d’Etat. Pendant ces six (6) dernières années ses adversaires politiques ont cherché vainement par tous les moyens des forfaitures à lui coller. Ils ont attendu cette intrigue, j’allais dire ce coup d’épée dans l’eau d’Africard pour rebondir. A l’évidence nous sommes  face à un montage grotesque, un grossissement de fait visant à assimiler le régime actuel aux régimes corrompus ont vécu dans ce pays. Je sais que Massoudou est un démocrate par conséquent il saura se laver au moment opportun.

Niger Inter :  Quelle est lecture faites-vous de la gouvernance actuelle de notre pays ?

 Issoufou Amadou: De 2011 à ce jour, beaucoup d’efforts ont été faits sur tous les plans, dans un pays où tout était priorité. Puisque nous avons précédemment parlé des syndicats, comparez par exemple les différentes plates formes revendicatives, vous verrez qu’il y a eu assez d’efforts consentis. Le monde rural, la santé, l’éducation, les infrastructures, etc. Tous les indicateurs ont connu des bons significatifs, cette situation a favorisé le retour à la croissance du Niger d’une part et d’autre part elle a marqué son retour  sur la scène internationale  malgré une situation sécuritaire et financière particulièrement difficiles. Il ya c’est vrai et de façon sporadique quelques manifestations de mecontents, je crois que c’est  aussi ça la marche patiente mais ferme d’un peuple vers son progrès.

Pour le reste, je demeure confiant, le Président de la République a promis de respecter tous ces engagements ; je ne suis donc pas pressé de le voir sanctionner un jour ses propres compagnons qui commettraient des fautes graves.

Du reste avec l’opération ’’ mai boulala ‘’, qu’on soit sans veste ou qu’on la double ça ne servira a rien si on a été reconnu coupable de détournement de denier public, on sera ‘’chicoté’’ !

J’attends imperturbablement de vivre IN CHA ALLAH dans ce Niger où il fera encore  bon vivre qu’il nous léguera en 2021.

Propos recuelillis par Elh. M. Souleymane