Le nouveau président gambien, Adama Barrow, a reçu « Jeune Afrique » et plusieurs médias francophones à son domicile de Banjul, samedi 3 décembre, au lendemain de son élection. Interview.
Jeune Afrique : Quelles seront vos premières décisions, une fois que vous serez investi président en janvier ?
Ma première décision sera de mettre en place un cabinet, avec lequel je souhaite commencer à travailler. Celui-ci sera composé de membres des huit partis politiques qui forment la coalition de l’opposition. Nous allons travailler ensemble.
Redoutez-vous des troubles pendant la période de transition qui vous sépare de votre prise de fonctions ?
Je ne suis pas inquiet. Nous avons déjà parcouru un long chemin pour arriver ici. Je dis toujours à mes proches que nous progressons étape par étape. La plus importante d’entre elles a été franchie hier, mais je ne suis pas sous pression. Je suis confiant sur la suite des événements.
Savez-vous où se trouve Yahya Jammeh et savez-vous s’il compte rester en Gambie ?
C’est en tout cas ce qu’il m’a dit : il souhaite rester en Gambie et se retirer dans son village, pour s’occuper de sa ferme. Nous devons lui accorder le bénéfice du doute.
Vous n’y voyez pas d’inconvénient ?
Je n’ai de problème avec ça. Il est Gambien, il peut vivre en Gambie s’il le veut. Il est un citoyen ordinaire et désormais un ancien président, sa place est ici.
Il y a beaucoup de prisonniers politiques en prison. Quand allez-vous les libérer, et comment ?
Je ne peux pas vous dire précisément quand, mais ils seront libérés. Ce sont des personnes qui se sont battues pour leur pays : ils voulaient le changement et c’est pour cela qu’ils ont été mis en prison. Il doivent donc participer au changement que nous sommes en train de vivre.
Aviez-vous peur que Yahya Jammeh manipule cette élection présidentielle du 1er décembre ?
Je n’ai jamais eu peur. Être un président sortant est un grand avantage en Afrique, mais le niveau de soutien populaire que nous avions était très difficile à neutraliser. C’est pourquoi nous étions convaincus que l’impossible pouvait devenir possible.
Mais pensiez-vous qu’il accepterait le résultat du scrutin de la sorte ?
Je dis toujours aux journalistes que le pouvoir appartient au peuple. Ce ne sont pas des paroles en l’air. Quand le peuple s’exprime, il faut le respecter. Si vous ne le faites pas, il faut en assumer les conséquences. Jammeh est très malin. Il connaissait notre popularité, la détermination des gens et leur colère.
Les pressions diplomatique de certains pays occidentaux, comme les États-Unis ou la Grande-Bretagne, ont-elles aidé ?
Elles ont aidé, mais je ne pense pas que ce soit la principale raison de la reconnaissance de sa défaite. Il est là depuis 22 ans, il savait bien ce qui se tramait en Gambie. Les gens étaient prêts et n’avaient pas peur. Jammeh savait que c’était fini.
Étiez-vous au courant que votre échange téléphonique avec Jammeh serait retransmis à la télévision nationale ?
Non, je ne savais pas. Mais je n’aurais pas été contre, pour des questions de transparence.
Vous semblez même assez ouvert à l’idée de garder des relations avec lui. Vous avez notamment dit que vous pourriez lui demander des conseils…
Il est au pouvoir depuis plus de vingt ans. Si vous voulez connaître en détails les secteurs clés, vous êtes obligé de lui demander certaines choses. C’est inévitable. La réconciliation nationale est très importante. Beaucoup de gens ont voté pour lui. Il faut les prendre en compte et placer l’intérêt de la Gambie au-dessus de tout.
Je pense que Dieu m’a investi pour sauver la Gambie et initier un changement
Allez-vous engager des poursuites judiciaires contre Yahya Jammeh ?
Je l’ai dit plusieurs fois : nous n’avons de comptes à rendre à personne. Si nous avons des dossiers à juger, nous le ferons. Nous respecterons la Constitution et les droits de chacun, mais la loi s’appliquera à tous.
Que dites-vous aux nombreux jeunes Gambiens qui ont tenté ou souhaitent tenter le « backway », l’immigration clandestine en Europe ?
Les Gambiens tentent le « backway » parce qu’ils sont désespérés. Ils prennent donc des risques. Quand notre gouvernement sera en place, les choses commenceront à changer. Nous allons ramener l’espoir.
Avant d’être investi candidat de la coalition de l’opposition, vous avez signé un accord indiquant que si vous étiez élu, vous organiseriez au bout de trois ans de nouvelles élections auxquelles vous ne participeriez pas. Allez-vous respecter cet accord ?
Je vais le respecter. Je ne me considère pas comme un politicien. Je pense que Dieu m’a investi pour sauver la Gambie et initier un changement. Après ce changement, les politiciens prendront la relève. Mon parti continuera, mais je ne serai pas de la partie. Je suis businessman, je continuerai mes affaires.
Aviez-vous imaginé vous retrouvez dans cette position il a six mois ?
Jamais. C’est une grande surprise. Les gens m’approchent, me soutiennent. Aujourd’hui, je suis investi d’un devoir national auquel je dois répondre.