Les leçons du dernier remaniement ministériel

Après plusieurs jours de suspense, le remaniement ministériel, attendu depuis plusieurs semaines et de manière plus imminente depuis l’annonce du ralliement du Mouvement national pour la société de développement (MNSD – Nassara) à la majorité présidentielle, a finalement été annoncé, mercredi 19 octobre dernier. On s’attendait à un jeu de chaises musicales ou à ce que les cartes soient vigoureusement rebattues. Il n’en a rien été. L’on peut même dire que pour la circonstance la montagne a accouché d’une minuscule souris. Même si le Secrétaire général du gouvernement, interrogé par la télévision nationale sur le sens de ce remaniement, s’est félicité d’un « gouvernement de large ouverture», la pilule a du mal à passer chez l’écrasante majorité des Nigériens, désabusés vis-à-vis de la classe politique en général et de ces petits arrangements entre amis, profitant à une certaine élite accrochée aux privilèges du pouvoir…

Plus de deux semaines après la nouvelle distribution ministérielle, la pilule reste amère, même chez les « purs et durs du parti rose ». Entre incompréhensions et colère, l’opinion publique nigérienne, dans son ensemble, ne digère pas le sens de ce remaniement ministériel voulu et orchestré par Issoufou Mahamadou, himself. D’abord pressenti pour être une équipe resserrée d’une trentaine de membres, composée de gestionnaires et de technocrates trentenaires, quadragénaires et quinquagénaires, afin d’être en harmonie avec le « mood de l’opinion », elle s’est finalement élargi à 42 membres (c’est-à-dire exactement la même taille que l’ancienne équipe quotidiennement critiquée pour sa grosseur et son inefficacité).

Le peuple s’attendait à une soustraction. Le président a opté pour une addition. Ce calcul n’améliore pas la pédagogie espérée du remaniement ministériel. Il présuppose déjà que le train de vie de l’Etat ne sera pas réduit nonobstant la conjoncture économique et les menaces sécuritaires qui planent sur notre pays. Seulement six nouvelles têtes pour un remaniement très attendu par l’écrasante majorité des Nigériens ! Cela dénote surtout le constant souci de Issoufou Mahamadou à toujours vouloir chercher des compromis. Rechercher le consensus ? Bravo ! Mais, chez nous, le compromis vire à la compromission. Et dans la compromission à perpétuité avec les missions cardinales renvoyées aux calendes grecques. Entre un pré carré cramponné à ses strapontins, des alliés qui ne veulent pour rien en démordre, des personnalités sentant souvent le soufre et des egos surdimensionnés, pas forcément facile de choisir. Au final, pas de changements majeurs mais des enseignements.

Où est le nouvel élan supposé être porté par une équipe recadrée ? En dehors de l’arrivée des six ministres issus des rangs du MNSD, ce qui en soi n’est pas une surprise, le président a finalement décidé de ne pas bouger fondamentalement les lignes. Plus grave pour la classe politique dans son ensemble, des millions de Nigériens remâchent le sentiment que leurs légitimes préoccupations ne sont jamais prises à bras le corps par un personnel politique qui apparemment n’en fait qu’à sa tête.

Faut-il le répéter ? Un remaniement ministériel sert généralement à incarner un nouveau cours politique, comme lorsqu’on décide de remplacer un Premier ministre – ce qui n’est pas le cas ici, puisque le remplacement de Brigi Rafini n’était pas à l’ordre du jour. Il vise également à résoudre un problème ponctuel, presque technique, lié, par exemple, au départ d’un ministre ou de plusieurs ministres, comme ce fut le cas avec le changement de Issoufou Sidibé à la tête du ministère des finances. Accessoirement, il peut s’agir de calmer la grogne populaire, après une montée de, afin de montrer le pouvoir n’est pas insensible aux préoccupations des citoyens. Là aussi, le président a ramé à contre-courant, puisque la perspective d’un remaniement ministériel était à ce point tellement évidente depuis les élections générales de janvier 2016, avec les inquiétantes  fractures sociales constatées, et surtout au fait que les Nigériens de toutes classes et de toutes conditions n’ont cessé de tirer à boulets rouges sur un gouvernement pléthorique, bouffi et énorme alors que l’on leur demandait en même temps de serrer la ceinture. Cherchez l’erreur ! A vrai dire, la grille de lecture de ce remaniement donne l’impression que le président de la république semble avoir perdu le sens du peuple ou a trahi son bon sens…

Il n’y avait donc aucun effet de surprise, ni de réelles attentes dans l’opinion, tant les Nigériens apparaissent désabusés vis-à-vis des pouvoirs en général et de cet exécutif en particuliers. Toutes les réactions suscitées par cette guignolade du remaniement confirment cette prise de distance mêlée d’exaspération à l’égard de la politique «d’en haut». C’est pourquoi l’effet psychologique de ce remaniement est presque nul, voire négatif.

Bref, au finish, un flop retentissant. Avant de se lancer dans cette aventure dont il espère plus de stabilité et d’unité pour maintenir le cap de la nation, le chef de l’État aurait sans doute dû envoyer des ballons sondes. Il aurait constaté que le cru nigérien de 2016 est radicalement différent de la cuvée 2011, lorsqu’il avait le vent en poupe, porté par la magie favorable du changement, et que la machine à espoirs tournait à plein régime.

Faute de s’attaquer à la hache à la taille énorme de son premier gouvernement de la deuxième mandature de la Septième République, Issoufou Mahamadou devrait composer avec la révolte et à la colère grandissantes d’une jeunesse urbanisée, de plus en plus éduquée, avide de faire ses preuves et de refaire le Niger et qui ne trouve plus aujourd’hui que dans Internet et les réseaux sociaux l’élixir et l’exutoire que le pouvoir est sensé lui offrir….

Comprenne qui pourra le sens de cette manœuvre politique. En aurait-il voulu en faire un grand coup politique et ramasser pardessus tout la mise, que Issoufou Mahamadou  a surtout gaspillé une partie des atouts dont il avait en main. Il n’aura pas profité de son avènement, largement populaire, pour amorcer la grande rupture. Empêtré d’abord dans un mariage ruineux avec son allié du Moden FA-Lumana, il a noyé la lutte contre la corruption dans des eaux boueuses. Tel Hercule secouant des écuries mythologiques, il aura en revanche engrangé une profusion de grands travaux, souvent inachevés, mais dont certains portent déjà leurs fruits. Et sortent, en tout cas, le pays d’un mortel enlisement.

En vérité, Issoufou Mahamadou, qui débuta dans les fleurs, chemine aujourd’hui dans les ronces. Il traine une méchante image au sein de l’opinion.  L’inflation même de cette nouvelle distribution ministérielle, proche d’un inventaire à la Prévert avec une kyrielle de portefeuilles ministériels, ne justifiait en rien, en effet, un tel hallali. Ses choix, par ailleurs, laissent pantois: alors qu’il plaide la pertinence, la cohérence, l’efficacité et l’efficience, ses décisions n’apportent aucune réponse convaincante à ces préoccupations..

La reconduction de la plupart des membres de l’équipe sortante déjà brocardée n’est pas crédible, tant les contentieux sont nombreux avec la plupart d’entre eux. La prééminence dans le gouvernement de son cercle de fidèles d’entre les fidèles aux postes clé, interroge à plus d’un titre. S’agit-il de resserrer les rouages lâches d’un attelage où chacun rue dans tous les sens ou traduit-il l’incapacité de se défaire d’une nomenclature de pouvoir et de fortune dont les moindres faits et gestes fâchent aujourd’hui la rue ? Que dire de tous ceux qui ont des dossiers pendants devant la justice ou trainent une séquelle d’affaires plus ou moins consistantes !

Cette vertu qu’il avait de porter le fer dans la plaie, Zaky semble l’avoir perdu aujourd’hui avec les vices et vicissitudes du pouvoir.  L’ivresse du pouvoir grise-t-elle tant à ce point ? Issoufou Mahamadou donne l’impression de préférer le «gouvernement des copains et des alliés» à «l’administration de la chose publique». Comme jadis, Tandja Mamadou, dont il brocardait à longueur de journée la somnolence et le pilotage par procuration. Cet «exercice du pouvoir», n’est certainement pas de nature à réconcilier les citoyens avec la politique, dont ils persistent à croire qu’elle peut et qu’elle doit agir sur le réel.

Nul ne peut douter de l’intelligence de Issoufou Mahamadou. Mais, elle devient cependant de plus en plus sujette à caution. Sans doute de subtils calculs tactiques et stratégiques expliquent son attitude et ses choix. Mais le pays n’y comprend que dalle.

Quelle étrange manière de gouverner ? Pourquoi Issoufou Mahamadou veut-il trop embrasser, quitte à faire cohabiter carpes et lapins, alors qu’il dispose d’une majorité plus que confortable pour mener à bien son dernier quinquennat, qu’il dispose pour la première fois depuis l’avènement de notre processus démocratique de tous les atouts en main : l’Exécutif, l’Assemblée nationale, la plupart des communes, le gros des syndicats et de la société civile ? Plus surprenant encore, ce remaniement renie même la loi sur le quota – laquelle fait obligation de 25% de femmes dans les fonctions électives, au gouvernement et dans l’administration publique – alors que Issoufou Mahamadou proclame son attachement à la cause de la femme, sans laquelle clame-t-il, urbi et orbi, aucun développement n’est possible. Autant dire que le chef de l’État a mis tout le monde contre son dos. Certes, il a beau plaider qu’il agit, dans cette opération, au nom de l’intérêt général et pour préserver la stabilité du pays aujourd’hui gravement menacée, mais l’intérêt général est, au Niger, rarement aussi « général » qu’il devrait l’être. On attend donc du « lion de Dandadji » qu’il revoit rapidement sa copie. La rigueur au service exclusif de l’intérêt national, c’est parfois l’honneur des hommes d’Etat.

Ibbo Daddy Abdoulaye

LE REPUBLICAIN du 10 au 16 Novembre 2016