Boureima Issoufou, président de la HALCIA parle…

Créée en 2011, la Haute Autorité de  Lutte contre la Corruption et les Infractions Assimilées(HALCIA)  est l’une des structures  sur laquelle  le   président de la république Issoufou Mahamadou compte  s’appuyer pour donner une impulsion à la bonne gouvernance qui est sa principale préoccupation.   Dans cet entretien avec Niger Inter Magazine, le président de la HALCIA, le magistrat    Bouraima   Issoufou aborde  sans langue de bois les différents contours de la délicate mission confiée cette structure.  En attendant le parachèvement de son cadre légal   la HALCIA poursuit dans la discrétion,  mais non sans efficacité,  sa mission de prévention et de  répression de la corruption et des infractions assimilées.   

 

 Niger Inter Magazine : Monsieur le président pouvez-vous brièvement brosser un état des lieux des actions de la HALCIA de vos débuts en 2011 à aujourd’hui?

Boureima Issoufou : Je dois rappeler qu’avant les Etats africains faisaient la lutte contre la corruption pour plaire aux bailleurs de fonds en répondant à leurs exigences ou conditions pour accéder aux financements des programmes ou projets. En ce qui concerne le cas du Niger, la particularité c’est qu’il y a une volonté politique affirmée. En effet, après avoir été élu  en 2011,  le Président Issoufou  a fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille. Il est parti du constant  suivant : le Niger est un pays riche,  mais il était mal géré. Et comme vous le savez le Président de la République avait un programme très ambitieux dont la réalisation nécessite la mobilisation des ressources internes. Il avait fait aux nigériens la  promesse de créer des services sociaux de base, de créer les conditions du développement socio-économique. Un programme évalué à plus de 6000 milliards de  francs CFA.  Et,  en son temps,  la mobilisation  de ces  ressources était difficile en l’état des performances des services en charge de cette mobilisation. Et ce, parce qu’il avait deux grandes préoccupations : le monopole fiscal de l’Etat était fortement érodé par les fraudes de tout genre ; mais aussi l’efficacité de la dépense publique n’était pas également au beau fixe. En maitrisant la mobilisation des ressources internes et avec la mansuétude des partenaires extérieurs, le Président savait pertinemment qu’il n’est pas impossible de tenir ses promesses et par conséquent satisfaire les attentes des nigériens. C’est qu’au Niger à la base même de l’idée de la lutte contre la corruption il y a la nécessité de lancer les bases du développement du pays. C’est en cela que la volonté politique des autorités de la 7ème République cadre avec les objectifs de la Convention des Nations-Unies signée en 2003 à Mérida au Mexique où tous les Etats du monde ont réaffirmé leur volonté de combattre la corruption dans toutes ses formes. C’est vous dire que la démarche du Niger repose sur une vision qui intègre les principes universels pour combattre le fléau de la corruption. C’est ainsi dès l’entame de son premier mandat, le Président Issoufou a créé la HALCIA, son président et le vice-président ont été nommés en août 2011 puis les autres membres. Nous nous sommes attelés à la tâche mais le décret qui créait la HALCIA ne contenait pas toutes les dispositions pouvant nous permettre d’accomplir notre mission et répondre aux attentes du peuple nigérien qui est très friand de justice tout court. Je le dis parce que la frontière pour la lutte contre la corruption et la lutte contre l’impunité n’est pas très claire. La HALCIA devait pallier aux insuffisances de la justice en matière de la lutte contre la corruption et infractions assimilées mais très malheureusement notre texte ne donne pas suffisamment de légalité. C’est pourquoi nous nous sommes plus focalisés sur la prévention et la sensibilisation,  et  de concourir à la répression de la corruption qui relève de la compétence des juridictions. Mais je dois avouer que malgré l’insuffisance de notre décret de création, nous avons participé à la production des rapports de qualité à partir des dénonciations et des plaintes des citoyens. Nous arrivons à détecter des infractions mais également nous sommes attelés à faire ce que notre texte nous permet à savoir la prévention et la sensibilisation. Nous avons également œuvré pour qu’une loi sur la lutte contre la corruption soit une réalité au Niger pour rendre la lutte contre la corruption plus efficiente. Et je vous informe que le conseil des ministres l’a déjà adoptée. Le chantier de la lutte contre la corruption et les infractions assimilées  est très avancé. On n’est pas du tout au  niveau où on était en 2011. Nous sommes en train de nous diriger dans une direction où la lutte contre la corruption pourra s’exercer avec tous les moyens que cela requiert. Ce qui a permis à la HALCIA d’avoir des résultats probants aujourd’hui en dépit de la faiblesse de son cadre légal et des moyens,  c’est surtout la volonté politique. C’est un élément essentiel. Nulle part vous ne pouvez lutter contre la corruption sans une forte volonté politique. Et ce, parce que le Président de la République est très conscient que la réussite de son programme dépend de l’existence des moyens et du sérieux de ceux qui sont en charge de mobiliser ces moyens. C’est justement avec une structure de lutte contre la corruption forte qu’il peut réaliser son programme notamment le programme de la renaissance II qui nécessite plus de moyens financiers (NDLR : 8000 milliards).

Niger Inter Magazine : Pourtant d’aucuns pensent que la lutte contre la corruption est plombée. Que répondez-vous ?

Boureima Issoufou : Je pense que les gens sont très pressés. Je viens de vous décrire l’insuffisance de nos textes. Jusqu’à présent nous sommes régis par le décret de 2011. Ça fait à peine un mois que le projet de loi de lutte contre la corruption vient d’être adopté par le Conseil des ministres. Et le passage de ce texte à l’Assemblée nationale ne pourra se faire qu’en Octobre, une étape je le dis au passage,  très risquée car il faut le souligner ces dispositions n’ont pas été faciles à prendre. Ces dispositions,  c’est le chemin de croix.  C’était depuis 2012 que nous attendions ces textes. L’opération Maiboulala n’est pas plombée. Nous recevons des dénoncions et plaintes des citoyens mais malheureusement timidement. Et comme vous le savez la HALCIA n’a pas la latitude d’auto saisine. C’est sur la base des dénonciations des citoyens que nous pouvons agir. Quelques dénonciations sont venues sur le terrain attendu par les nigériens à savoir la grande corruption mais très malheureusement les moyens à notre disposition ne nous permettent pas de répondre efficacement.  Nous  disposons des agents d’investigations mais les affaires sont tellement nombreuses. Il faut aussi déplorer le fait que souvent en fait de plaintes ou dénonciations nous recevons des supputations, des rumeurs sans fondement. Et vous conviendrez qu’en matière d’investigation les délations, les rumeurs sans fondement ne mènent à rien. C’est le lieu de dire aux citoyens avant de nous saisir qu’il faille d’abord venir avec un dossier sérieux sur la base des faits réels pas des préjugés ou ressentiments. Je dois avouer du reste nous avons besoin de ces dénonciations objectives de la part de la presse, la société civile ou du citoyen lambda. Je ne doute pas par ailleurs que les inspections d’Etat initiées par le Président de la République vont lever d’autres lièvres. Et sur la base de ces rapports la HALCIA va sévir conformément aux attentes des nigériens.

Niger Inter Magazine : L’un des dossiers sur lesquels vous êtes attendu c’est justement l’affaire dite des contractuels de l’éducation. Où en êtes-vous présentement ?

Boureima Issoufou : Les travaux sont en train d’être faits présentement, nous avons une équipe pluridisciplinaire. Des gendarmes, des commissaires de la HALCIA et des Inspections des services des ministères concernés, des agents de l’Institut national de la statistique et des agents du ministère des finances  travaillent d’arrache-pied pour finaliser leurs rapports dans un cadre approprié. Nous avons fini Diffa, Dosso, Agadez et Niamey. Ils ont fait les 2/3 de Tahoua, il reste actuellement Maradi, Zinder et Tillabery. Vous avez raison l’attente est très forte. C’est pourquoi j’ai demandé à la fin du mois d’août de faire un  état des lieux sur cette mission c’est-à-dire porter déjà à la connaissance du public ce qui a été déjà fait. Je dois vous dire que c’est un travail gigantesque qui a fait puisque personne ne voulait faire ce travail de décompte des contractuels. Il nous a fallu beaucoup d’ingéniosité en nous appuyant sur la gendarmerie nationale pour pouvoir faire ce travail. Nous avons effectué le décompte physique des contractuels, il s’agit désormais de faire le croisement entre ce que nous avons trouvé dans les documents aussi bien au niveau de l’administration scolaire, des paieries, le ministère des finances… Et dans le feu de l’action une autre préoccupation est apparue à savoir des contractuels engagés comme fonctionnaires mais qui continuent de bénéficier doublement du salaire et du pécule ! Le terrain nous fait découvrir beaucoup de monstruosités, le travail avance normalement. Je vous assure que d’ici la rentrée prochaine nous ferons en sorte que les trois ministères concernés disposent des effectifs réels de contractuels.

Niger Inter Magazine : Comme avant-gout confirmez-vous qu’il  y a  vraiment des irrégularités sur le terrain ?

Boureima Issoufou : Absolument ! Actuellement à Maradi par exemple il y a des personnes qui ont été arrêtées dans le cadre de cette opération. Les gens n’ont même pas attendu le rapport de la mission pour commencer des dénonciations qui ont permis l’arrestation d’une dizaine de personnes prises en charge par le procureur. La préoccupation du gouvernement c’est de payer le juste montant qu’il faut pour tous les contractuels. Alors qu’aujourd’hui c’est pratiquement 5 milliards 100 millions qu’on paye pour les pécules des contractuels. Je ne doute pas que ce montant sera revu significativement à la baisse à l’issue de notre investigation.

Niger Inter Magazine : Monsieur le président, il y a comme une sorte de hiatus entre le travail que vous faites et le traitement fait de vos dossiers par la justice. Les nigériens ont un gout d’inachevé du résultat de vos travaux notamment les dossiers comme ceux des fraudes aux examens et concours où on a vu que des menins fretins alors des hautes personnalités étaient en cause dans ces affaires…

Boureima Issoufou : Vous avez raison. Cette préoccupation est la nôtre également. Il faut peut-être revenir un peu en arrière pour voir le traitement que nous aurions voulu voir de l’ensemble du processus. Nous ce n’est pas tant le fait de ne pas prendre les hautes personnalités qui nous dérange que la différence de traitement fait aux gens dans une même affaire. Et nous avons donc approché les autorités en charge de la répression pour en savoir plus sur le pourquoi de cette différence de traitement des personnes mises en cause. Certes selon les dossiers les personnes impliquées sont nombreuses : par exemple si vous devez inculper  toutes les personnes impliquées dans le concours du ministère des finances ce n’est pas moins de trois cent personnes. Ce qui suppose que s’il faut les inculper  toutes et les placer  sous mandat de dépôt vous imaginez un peu le désastre. Mais qu’à cela  ne tienne. J’estime que la détention peut être l’exception et que l’essentiel est de procéder à leur  inculpation et que les conséquences juridiques  s’en suivent. Et je vous assure par rapport aux grosses pointures dont vous parlez, que  ce n’est qu’une question de temps et de lenteur judiciaire mais rassurez-vous,  personne ne sera épargné. J’aurais ouï-dire au moins qu’une haute personnalité sera rappelée très certainement pour faire face à ses responsabilités et rendre gorge pour tout ce qu’elle  a fait. Et là je n’ai aucun doute que tout le reste va suivre. En fait ce  que vous dénoncez n’est rien que le trafic d’influence qui constitue une infraction assimilée au même titre que la corruption, le blanchiment d’argent etc. Lorsque nous avons transmis les dossiers à la justice nous étions convaincus au niveau de la HALCIA que personne ne saurait échapper  aux mailles de la justice. Encore une fois j’exhorte mes compatriotes à être patients et laisser la justice faire son travail. Je vous assure que ma conviction n’est pas entachée.  Je sais seulement d’expérience que souvent le processus est long, souvent il y a des privilèges et des immunités qui gênent. C’est pour cela d’ailleurs que la Convention des Nations-Unies à laquelle notre pays a souscrit encourage les Etats à abattre les privilèges pour que l’accès à certaines catégories de personnes soit plus accessible à la justice. Mais je suis convaincu d’une chose,  que tôt ou tard la justice va sévir contre tous ceux qui ont commis des forfaitures.

Niger inter magazine : On a entendu le Président de la République le 2 aout dernier dire qu’il poursuit le combat de la lutte contre la corruption avec patience. Avec le recul comment réussir efficacement ce chantier de lutte contre la corruption ?

Boureima Issoufou : Je tiens d’abord à réitérer à l’endroit de l’opinion publique que l’opération Maiboulala n’est pas plombée, en ce sens que depuis le mois de mai dernier l’équipe mixte (inspections d’Etats, inspections des finances et la HALCIA) a été mise ne place pour mettre la pression sur les services fiscaux qui sont en charge des mobilisations des ressources et même au niveau des impôts et la douane nous sommes en train de mettre la pression pour mettre un terme à l’évaporation des ressources mobilisées. De même nous sommes en train également de travailler pour améliorer l’efficacité de la dépense. Nous sommes en train de voir au niveau des réalisations de l’Etat comment faire le rapport pour voir s’il y a concordance réelle entre les fonds alloués et les dépenses réelles. En cas de manquement les indélicats sont sommés de verser les sommes indues. Et déjà nous enregistrons des résultats très intéressants. Au fur et à mesure que nous découvrons des impairs nous appelons des gens ici à la HALCIA et je vous assure que nous avons interpelé des  personnalités pas des moindres et de la manière la plus discrète nous sommes en train de mettre l’Etat dans ses droits. Je vous assure que ce processus est train de porter des fruits. Sur le terrain même de la répression notre vœu serait que le ministre de la justice s’explique sur le pourquoi concernant  les grosses pointures qui  n’ont pas été inquiétées jusqu’ici. Il vous répondra certainement que ce n’est qu’une question de temps. A la vérité dans l’organisation judiciaire, c’est la loi elle-même qui a fait le distinguo entre le commun des mortels et les autres en leur conférant des immunités qui supposent des procédures particulières. Pour répondre précisément à votre question je dois rappeler que nous avons élaboré une stratégie de lutte contre la corruption au terme du premier mandat du Président de la République. Je sais que la volonté politique existe au plus haut sommet mais je crois que pour éviter le deux poids deux mesures, je pense qu’il s’agit pour le gouvernement d’instruire les différents parquets de ne pas faire de concession sur les affaires de corruption. En d’autres termes,  c’est une décision politique qui parviendra aux procureurs sous forme de circulaire que le gouvernement fera parvenir aux procureurs de la République en leur demandant d’ être impitoyables et aveugles sur les faits portants sur la corruption et infractions assimilées. Autrement dit la volonté politique doit se traduire à ce niveau pour signifier aux autorités de la répression que c’est une priorité parmi les priorités du gouvernement. On a vu par exemple la différence de traitement des concours des ministères de la santé, du plan et des finances qui s’explique justement par le fait que ces juges ne sont pas logés à la même enseigne. Je garde l’espoir que le changement interviendra dans ce domaine. Je demande à la presse, aux citoyens, à la société civile d’accompagner cette noble mission qui nous est assignée pour le bien de notre peuple.

Niger Inter Magazine : Vous demandez aux citoyens et à la presse de dénoncer les faits de corruption. Récemment il y avait une affaire qui a défrayé la chronique notamment l’affaire dite ‘’panama papers’’ mettant en cause un nigérien,   pour  ne pas le nommer. Au sein de la HALCIA cette affaire a-t-elle suscité un commentaire ?

Boureima Issoufou: J’avoue que nous sommes allés au-delà du commentaire. Autant la dénonciation est sérieuse surtout par voie de presse si c’est sérieux, précis et concis nous sommes toujours partant pour vérifier les faits et assumer notre rôle. C’est l’occasion de vous dire que la presse est notre partenaire privilégié si elle est sérieuse. Nous encourageons la presse à être un partenaire de la HALCIA, de venir vers nous et aussi de travailler dans le respect de l’éthique et la déontologie du métier des journalistes. Je vous confie que nous venons de recevoir une dénonciation par voie de presse sur un scandale passé sous le mandat précédent qui intéressera les nigériens.

Niger Inter Magazine : Une dernière question au magistrat que vous êtes : ‘’la loi est dure mais c’est la loi’’, n’est-ce pas simplement tout ce dont on a besoin pour réussir la lutte contre la corruption ?

Boureima Issoufou : Je le pense sérieusement ‘’dura lex, sed  lex’’. Mais à mon avis la solution est la suivante à l’endroit de chacun et de tous : autant que possible,  respectons d’abord la loi. Lorsque vous violez la loi on sera obligé de vous l’appliquer. Il suffit de circonscrire ses faits et gestes dans le cadre de la loi pour que celle-ci ne soit plus un sujet d’inquiétude à votre endroit. Vous êtes en charge d’un département ministériel, vous avez des dépenses à faire, respecter la loi, le code des marchés. C’est ainsi on a beau chercher des poux sur votre tête on ne trouvera pas. La démocratie suppose le respect de la loi. Restez coller à la loi si vous êtes aux affaires, eh bien la loi pénale qui vous faire peur ne vous atteindra pas !

Réalisée par Elh. Mahamadou Souleymane et Souley Moutari Saidou