Interview du ministre de la Justice, Garde des Sceaux relativement à la grève du SAMAN : « La nomination des premiers présidents du Conseil d’Etat et de la Cour des Comptes est conforme à la loi »
Monsieur le ministre, le syndicat autonome des magistrats du Niger (SAMAN) a condamné la nomination des deux premiers présidents du Conseil d’Etat et de la Cour des Comptes, quelle est votre réaction ?
Je dois dire que j’aurais voulu ne pas avoir à réagir par rapport à cette déclaration excessive, illogique et incompréhensible de la part des magistrats. Savez-vous que depuis 1960 jusqu’en 2012, le Niger était dans une situation où l’ensemble de ces juridictions qui ont leur spécificité étaient logées dans l’unique Cour suprême qu’on avait, exceptée la Cour constitutionnelle qui s’est émancipée plus tôt. Or, cette réforme a été voulue depuis l’ouverture démocratique de notre pays mais n’a jamais été réalisée.
Alors, je suis choqué, outré d’entendre des magistrats du Niger qui connaissent bien la tradition juridique et judiciaire de notre pays, héritière d’une vieille démocratie comme celle de la France, où c’est le Premier ministre même qui préside le conseil d’Etat, où beaucoup d’hommes politiques ont travaillé ou à la Cour des comptes, venir dire que c’est le magistrat de l’ordre judiciaire, qui en général est radicalement incompétent, qui devait diriger ces juridictions.
Au contraire, c’est eux qui sont incompétents. Or, ce qu’il aurait fallu dire c’est en quoi nous avons violé la loi ?
La loi dit qu’on nomme un magistrat ou une personnalité. Personne ne conteste la qualité d’homme politique de Alkache Alhada. Mais cela ne le rend pas incompétent pour présider le Conseil d’Etat, en rappelant qu’il est par ailleurs un enseignant-chercheur en droit public, bien connu pour ses compétences.
En ce qui concerne Sidibé Saidou, qui ne le connait pour ses compétences en matière économique et financière pour diriger si bien la cour des comptes? On nous a dit du point de vue juridique, qu’il aurait aussi à examiner le compte le concernant. Il y a des ministres qui l’ont précédé et dont c’est le tour des comptes d’être jugés. Il faut rappeler que ces personnalités ont publiquement prêté serment de dire en toute impartialité le droit par rapport à leurs charges. Elles ont juré devant Dieu et devant les hommes.
Quand Alkache Alhada était à la Cour des comptes, combien d’entreprises publiques il a condamné pour mauvaise gestion et dont les travaux ont été régulièrement publiés. Non, il faut arrêter de faire des combats d’arrière-garde parce qu’on n’est pas content que telle ou telle personne soit quelque part. L’indépendance du juge oui, mais. Comment peut-on oser dire que c’est le syndicat qui comprend mieux le droit que le Conseil supérieur de la Magistrature dans lequel siègent des magistrats de haut rang, élus par leurs pairs et qui est beaucoup plus légitime, beaucoup plus averti que ce syndicat.
Il y a la question de la séparation des pouvoirs qui est consacrée Monsieur le ministre ?
Absolument ! Mais eux dans leur déclaration, ils poussent la séparation des pouvoirs jusqu’à dire pourquoi devons-nous tenir la session du conseil supérieur de la magistrature au Palais de la Présidence. Mais c’est ahurissant ! C’est au Président de la République, Président du Conseil Supérieur de la Magistrature, qui est chargé d’assurer l’indépendance de la justice de se déplacer pour aller à la Cour de cassation ?
La Cour de cassation est-elle supérieure au Président de la République, magistrat suprême de notre pays ? C’est vrai qu’à un moment donné on l’a fait et on s’est rendu compte qu’à chaque fois qu’on fait déplacer le Président, ça coûte cher au budget de l’Etat. Pourquoi le ferions-nous ?
Je suis donc en somme choqué par l’exagération des propos de ce syndicat. En voulant discréditer pour rien mais pour des causes qui leur sont propres, et je pense pour des cause politiciennes, ils n’ont pas à discréditer notre Justice qui a fait des reformes importantes. Nous essayons de construire un état de droit au Niger et c’est par ces juridictions que ça se fait. Ma foi, si on ne nous salue pas d’avoir déplacé
un enseignant-chercheur en droit public de la Cour des comptes au Conseil d’Etat et nous féliciter d’avoir mis un homme averti, un homme intègre, tous pour construire ces juridictions et leurs traditions juridiques, alors on peut se taire.
Le SAMAN menace d’observer une sorte de journée « Justice morte » de 24h voire de porter l’affaire devant les services juridiques des Nations Unies. Qu’avez-vous à dire à ce propos ?
J’ai entendu tout cela. D’abord c’est un syndicat et nous sommes une démocratie donc ils sont libres d’exprimer leur désaccord par les moyens qui leur sont propres. Maintenant, ils veulent attaquer quelles décisions au niveau de quelle instance pour apprécier notre ordre constitutionnel, on les attend. Et nous réagirons le moment venu.
Qu’en est-il de la demande de retrait des deux décrets formulée par le syndicat ?
On ne retirera rien du tout. Je peux vous dire que c’est régulier. Leur nomination est conforme à la loi. Ils ont été nommés par l’instance prévue par la constitution : le conseil supérieur de la magistrature. Les deux personnalités ont prêté serment conformément aux lois de la République, devant le Président de la République, en présence du ministre de la Justice comme l’a bien dit la loi et par conséquent ces nominations sont valides, ces personnalités vont exercer leurs fonctions. Je vous dis que c’est des hommes qui ont conscience de leurs charges. Vous savez, chacun peut apprendre lorsqu’on atteint un certain niveau de responsabilité et de culture scientifique. Et, en cela le Niger n’invente rien du tout, je le répète. En France, les hommes politiques les plus connus ont fait ou le Conseil d’Etat ou la Cour des Comptes.
Concernant le cas précis de M. Saidou Sidibé, le président a des rôles administratifs et juridictionnels. Il y a une chambre spécifique qui est chargée de juger les comptes de l’Etat, ce n’est pas lui qui les juge comme le suppose le SAMAN. Il y a un président pour cette première chambre qui est chargée de juger les comptes. M. Saidou Sidibé est un homme que je connais. Même s’il devait le faire, il fera son travail avec âme et conscience.