Liberté de presse au Niger : On doit tous, mieux faire…

 

 Il y a déjà 23 ans que  l’assemblée générale des Nations Unies a proclamé  le 3 mai, journée mondiale de la liberté de presse, faisant ainsi suite à  la recommandation adoptée lors de la vingt-sixième session de la Conférence générale de l’UNESCO en 1991, et répondant  également  à l’appel des journalistes africains qui, en 1991, ont proclamé la Déclaration de Windhoek sur le pluralisme et l’indépendance des médias. Cette date anniversaire donne l’occasion de célébrer les principes fondamentaux de la liberté de la presse, d’évaluer la liberté de la presse à travers le monde, de défendre l’indépendance des médias et  rendre hommage aux journalistes qui ont perdu leur vie dans l’exercice de leur profession. C’est aussi ce  jour, qui est choisi pour la remise du  Prix mondial de la liberté de la presse.

L’édition 2016 de cette journée a pour thème «  accès à l’information et aux libertés fondamentales, c’est votre droit !». Ce qui est remarquable au Niger en matière de liberté de presse, c’est d’abord cet élargissement sans cesse du paysage médiatique, sans doute grâce à un cadre légal de plus en plus favorable. En effet on enregistre en 2016, deux  télévisions et une radio d’Etat (Télé Sahel,  Tal Tv, et Voix du Sahel), deux journaux publics, Le Sahel et Sahel Dimanche, mais surtout une floraison de titres de journaux privés, une centaine de journaux privés,  67 radios privées, 15 télévisions privées, 170 radios communautaires.

 Mais, pour  coller à l’actualité, et parler ainsi  de la situation de la liberté de presse au   Niger,  on peut  revenir sur le  classement  sur la liberté de presse,  publié en avril 2016 par l’ONG Reporters Sans frontières,  qui classe le pays à la 52ème  place sur 180 pays. Comparé, au classement précédent, il y a une régression dans le rang du Niger qui perd ainsi 5 points.  « Dans un contexte international marqué par la lutte contre le terrorisme et alors que le président Issoufou tente d’assurer sa succession, la situation de la liberté de l’information au Niger s’est particulièrement dégradée en 2015. En janvier, plusieurs médias on fait les frais de violences policières pour avoir couvert les manifestations post-Charlie Hebdo », déplore RSF dans son rapport 2016 sur la liberté de la presse, relevant aussi le blocage pendant près de trois jours des réseaux sociaux toujours en 2015.

Une évolution à reculons ?

 Paradoxalement, depuis l’adoption de l’ordonnance  n° 2010-35 du 04 juin 2010, portant régime de la liberté de Presse, et  consacrant la dépénalisation du délit commis par voie de presse,  la situation semble évoluer, en sens contraire. Le Niger  ne fait que  perdre des points  dans le classement  de RSF.    Une évolution à reculons ?  Cette régression  n’a  pas toujours été le fait des pouvoirs publics.  En effet, dès 2012, on a assisté à ce qu’il était convenu  de  qualifier  d’abus de la liberté de  presse. Et cela, par le fait même des acteurs du monde des médias, où des dérapages ont été constatés.  Cette année-là, un journaliste avait été condamné à une peine d’emprisonnement,   pour « faux et usage de faux » par la justice. Un  journal avait fait carrément l’objet d’interdiction par l’ONC, l’instance de régulation des médias,  pour « dérapages graves ».

 En fait la 52ème  place qu’occupe   le Niger en 2016, s’avère beaucoup moins honorable, quand on tient compte de l’évolution de la situation.  De la 29ème    place qu’il avait  occupée, en 2011-2012, en matière du respect de la liberté de presse,   le Niger a reculé en 2013 dans le classement de Reporters Sans Frontières pour revenir à la 43ème place.  En 2015, c’était la 48ème   place et cette année la 52ème  place. Une évolution à reculons !   A qui la faute ?   En 2012 Reporters Sans Frontières avait   attiré l’attention des journalistes,   en relevant que la dépénalisation ne signifie pas liberté de publier ou de diffuser n’importe quel contenu, et qu’elle  doit  s’accompagner d’un respect scrupuleux, par les journalistes, des règles d’éthique de la profession. «Diffamation, calomnie, mensonge, et atteintes à la vie privée sont la négation de la déontologie journalistique. Si des individus utilisent les médias pour nuire à d’autres personnes, ruiner leur réputation et ne diffuser que de fausses informations, il est inévitable qu’ils soient sanctionnés. A terme, le manque d’éthique de certains auteurs d’articles risque de pervertir la liberté de la presse, si durement conquise», alertait  ainsi l’ONG  Reporters sans frontières. Depuis 2013, plusieurs organes de presse ( des journaux, radios et télévisions) ont fait l’objet de plaintes, au niveau du Conseil Supérieur de Communication, ou d’auto saisine de la part de cette instance de régulation. Et dans le plus grand nombre des cas les auditions des responsables  de ces organes par le conseil de presse ont débouché sur des sanctions, pour manquement à l’éthique et à la déontologie.

L’Observatoire Nigérien Indépendant des Médias pour l’Ethique et la Déontologie(ONIMED), est tout aussi préoccupé par les dérapages de plus en plus fréquents constatés surtout dans la presse écrite.  Ce   « tribunal des pairs »  censé œuvrer aux côtés du  Conseil Supérieur de la Communication(CSC), pour renforcer les capacités des acteurs des médias, et assurer un journalisme de qualité au Niger, a eu à enregistrer des plaintes ou à s’autosaisir sur des supposés cas de violation des règles d’éthique ou de déontologie par des journalistes.

  « Plus royaliste que le roi ! On a l’impression que cette presse, fait plus de la politique que les politiciens, et cherche à attiser le feu », s’exclame un journaliste animateur d’une revue de presse des journaux sur une télévision privée.

On doit tous  mieux faire…

La  situation est appréciée, diversement, mais la responsabilité des uns et des autres,  des acteurs politiques toutes tendances confondues est très souvent pointée du doigt.  On ne peut s’auto satisfaire de l’évolution de la situation, même si dans son message à la veille du 3 mai,  la ministre de la communication  a  relevé que  « le Niger figure, en 2016, dans le Top 10 du classement africain,  devant le Bénin ou encore le Sénégal ! ». Mais  comme Mme Amina Moumouni  l’a déclaré elle-même,   cela  doit interpeller  « tous les acteurs, aussi bien les pouvoirs publics que les professionnels des médias, quant à la nécessité  absolue, qu’il y a,  à poursuivre les efforts en vue d’une presse plus responsable et plus professionnelle ». On doit   tous   mieux faire. Les professionnels des médias le savent : Le respect des devoirs qu’ils  se sont eux-mêmes imposés, à travers leur « Charte », constitue  la  meilleure protection pour eux-mêmes, leur profession, et,  est la clé du succès de leur mission d’information, d’intérêt général.  « La déontologie du journaliste est une responsabilité sociale » et son respect « est la meilleure défense de la liberté de la presse et de qualité du journalisme », rappelait  lors d’un colloque, l’expert et consultant en communication de l’institut de presse et des sciences de l’information de Tunis, le Pr Mohamed Ridha Najar.

 En fait, étant tous concernés par la liberté de presse, on doit tous mieux faire !

Saïd