Ancien directeur de recherche au CNRS et directeur d’études à EHESS à Marseille, ex-maoïste de la Gauche prolétarienne, il a passé l’essentiel de son temps au Niger et en a même obtenu la nationalité. Il collabore désormais au LASDEL, un laboratoire nigérien de sciences sociales, et a publié en 2014 aux editions Karthala, avec Valéry Ridde, Une politique publique de santé et ses contradictions. La gratuité des soins au Burkina Faso, au Mali et au Niger.
Tout pouvoir politique au Niger, quel qu’il soit, se heurte à une série de contraintes et de pesanteurs, qui limitent ses marges de manœuvre et ses capacités de changements. Ce sont, en quelque sorte, autant de prisons. Le rejet de la classe politique par une très grande partie de la population (rejet largement sous-estimé par les principaux partis politiques, qui n’en mesurent pas l’ampleur, et croient être les représentants du pays réel alors même que celui-ci n’a plus confiance en eux) est une conséquence directe de ces prisons qui enferment le pouvoir : qui croit vraiment encore aux promesses des politiciens ? L’opinion générale est : « Ils sont tous les mêmes » ; « Quels que soient ceux qui sont au pouvoir, rien ne change » ! Chaque lecteur entend surement ces propos quotidiennement, et les a sans doute lui-même pensés, sinon proférés.
Aujourd’hui, le résultat est que le mot « politik », en zarma, signifie discorde, querelles sans fin, conflits et rivalités, il équivaut à fitina, baab-ize tarey, dan unbanci. Cette dérive de la démocratie nigérienne fait que les nostalgiques de la dictature militaire de Seyni Kountché, d’un côté, les partisans d’un régime islamiste de l’autre, sont hélas de plus en plus nombreux… Si l’on veut éviter ces deux maux (une rupture dictatoriale ou une rupture islamiste) il faudra bien qu’une rupture démocratique survienne (sortir de ces prisons dans un cadre démocratique).
Les quatre prisons ont pour gardiens respectifs : (1) les grands commerçants ; (2) les militants, alliés et courtisans ; (3) les bureaucrates ; (4) les experts internationaux.
Ces prisons sont d’abord celles du pouvoir, mais aussi celles de la vie politique toute entière (condamnée à la reproduction sans fin des mêmes pratiques), et de la démocratie elle-même (rendue responsable de cette situation). Elles enferment le pays dans la soumission à un système décrié qui ne satisfait que ceux qui en profitent.
La prison des grands commerçants
L’un des effets pervers majeurs de la démocratie (ce régime qui est le pire… mais à l’exception de tous les autres déjà essayés dans le passé, disait Churchill) est le coût des élections, et donc la nécessité de trouver des financements importants pour faire campagne. Ce coût est particulièrement élevé au Niger, dans la mesure où la distribution de la « rente électorale » est avidement attendue par un grand nombre d’acteurs : les électeurs eux-mêmes, tachant de monnayer leurs voix, ou leurs clientèles électorales quand ils en ont ; les militants des partis, qui ne se mobilisent que s’ils sont « motivés », c’est-à-dire rétribués ; les personnels technico-administratifs-judiciaires (la CENI et ses multiples démembrements, les présidences de bureaux, etc..) ; les prestataires de biens et services (voitures, essence, gadgets, fournitures, etc..) ; et enfin les prestataires magico-religieux (devins, marabouts, zimma, boka, etc…)[1].
Où trouver l’argent ? En dehors d’éventuelles contributions de mécènes d’Etat (comme certains Etat pétroliers parfois ou Kadhafi autrefois), il n’y a que deux sources importantes : les dons des grands commerçants, d’une part (chaque parti a les siens, sans compter ceux qui donnent à plusieurs) ; d’autre part, les trésors de guerre accumulés par les partis (en particulier ceux qui sont au pouvoir) : mais ceci renvoie encore aux grands commerçants, car cette accumulation trouve le plus souvent son origine dans des rétro-commissions illicites sur les marchés publics et des entreprises privées proches des leaders politiques…
Les grands commerçants sont ainsi au cœur du système électoral nigérien. Ce sont eux qui le font fonctionner. Mais ce n’est pas par désintéressement. Ils attendent un retour sur investissement, en termes de protection, de « bienveillance » fiscale, de placement de leurs parents et clients à des postes stratégiques, ou de passations de marchés. Ils sont aussi au cœur de la grande corruption systémique, qui a partie liée avec les élections, l’exercice du pouvoir et la faiblesse des rentrées fiscales.
Les députés, les maires, les présidents sont quelque part prisonniers de leurs financiers, et il leur est presque impossible de ne pas renvoyer l’ascenseur puisque c’est à eux qu’ils doivent leur élection… Prenons un exemple simple. Le LASDEL a ainsi depuis longtemps analysé le dilemme des maires face aux collecteurs de taxes des marchés (les marchés sont la principale ressource des communes)[2] : comme maires ils voudraient un recouvrement efficace de ces taxes ; mais les collecteurs ont été nommés pour « récompenser » les militants des partis ayant conquis la mairie (c’est la « norme pratique ») :
ceux-ci s’« arrangent » – adjara– , avec les commerçants du marché, dont une partie a par ailleurs financé la campagne du maire, en prélevant sans reçu un montant inférieur à ce qui est dû ; ils mettent donc impunément une partie de ces recettes « informelles » dans leur poche, l’autre partie va dans la caisse de leur parti, et ils ne versent que le solde (les taxes prélevées avec reçus) aux finances communales. Les maires ne peuvent mettre fin à ce système qui pénalise la municipalité mais dont ils sont eux-mêmes le produit.
Cet exemple vaut pour tous les autres échelons des pouvoirs élus démocratiquement, et, en fait, pour le pays tout entier, devenu otage des grands commerçants, qui sont en général « intouchables », comme de nombreux exemples le prouvent.
La prison des militants, des alliés et des courtisans
Le second effet pervers de la démocratie nigérienne concerne l’obligation de remercier ses militants et de composer avec ses alliés, ainsi que l’environnement courtisan qui en découle.
L’accès d’un parti à des positions de pouvoir, que ce soit la plus haute, ou qu’elles soient associées à une place dans l’alliance gagnante, implique la distribution massive de récompenses aux membres du parti et aux clients politiques qui ont accompagné l’ascension. L’ingratitude serait le pire des défauts, et source de « honte ». Les récompenses sont donc dispensées tout au long d’une mandature, sous forme de postes, de privilèges, de faveurs, de passe-droits, aux frais de la République.
Ainsi s’explique l’inflation spectaculaire du nombre des conseillers et autres chargés de mission, dont les fonctions réelles sont aussi floues que les avantages dont ils bénéficient sont élevés. Ainsi s’expliquent d’étranges nominations, et les soudaines promotions de protégés qui ne se distinguaient guère jusque-là par leur réussite ou leur diplôme.
Ainsi s’expliquent aussi les difficultés que tout chef d’Etat rencontre pour s’élever au-dessus de son parti, pour prendre de la hauteur, et échapper aux querelles de clans et aux règlements de comptes avec l’opposition. Il est sans cesse redevable à l’égard de ses propres troupes, il est prisonnier de ceux qui l’ont fait roi. Ce clientélisme de parti n’est pas tant l’expression de la toute-puissance d’un Président (comme on le croit généralement) que le signe de sa dépendance : le chef est enchaîné à ses barons, à ses notables locaux, à ses leaders régionaux. Il devient leur obligé. Il en est prisonnier.
Mais le cycle de la dépendance mutuelle continue. A leur tour les bénéficiaires des largesses du pouvoir, les militants récompensés, les dignitaires portés aux affaires du pays sont devenus des obligés du chef quel qu’il soit. Ils forment une ceinture de courtisans autour de lui, unis par l’accès commun aux privilèges. Nommés par complaisance pour service rendu, leur gratitude s’exprime à son tour par leur propre complaisance envers le pouvoir.
Cette complaisance est aussi une déférence, qui, semblable aux louanges des griots, exalte les mérites du chef et de ses lieutenants. On comprend mieux alors la surdité si fréquente des hauts responsables face aux mécontentements populaires, leur ignorance – parfois arrogante – des talaka, leur refus de toute critique – immédiatement interprétée comme un complot de l’opposition…
Leur entourage s’empresse à caresser le pouvoir dans le sens du poil, et à dénigrer toute pensée libre et non complaisante. Les courtisans considèrent comme un outrage intolérable cette pensée pourtant fort sage de Montaigne : « Quand on me contrarie, on éveille mon attention, non pas ma colère : je m’avance vers celui qui me contredit, qui m’instruit ».
L’obligation de distribuer des faveurs aux militants et la déférence en retour de ceux-ci se conjuguent en outre avec la nécessité d’alliances entre partis pour exercer le pouvoir, ce qui implique au Niger une répartition de fiefs pour chaque parti allié.
Aucun parti, depuis la Conférence nationale, n’a jamais eu la majorité. Toutes les combinaisons d’alliances entre les principaux partis ont déjà été essayées, toutes suivies de volte-face et de haines tenaces. Ces alliances sont scellées par la répartition des postes, à commencer par les Ministères. Chaque ministère devient, le temps que durera l’alliance, un fief du parti auquel appartient le Ministre.
Ce sont des fiefs à un double titre : d’abord le Ministre y nomme les gens de son parti, du haut en bas de la hiérarchie (une variante est que les cadres du Ministère qui veulent garder leur place prennent la carte de ce parti) ; en second lieu, les « affaires » se font avec les grands commerçants liés au parti, et les commissions illicites et avantages de fonction divers vont au parti du Ministre et à ses hommes du ministère. Il en est de même pour les grandes sociétés publiques et hautes charges de l’Etat.
Ce système de répartition des postes se fait évidemment aux dépens de la compétence, qui n’est pas le premier critère de nomination, y compris pour le choix des Ministres : chaque parti en effet propose ses candidats, autrement dit ses « barons », qui, une fois en poste, sont intouchables : les démettre menacerait l’alliance elle-même. Et on a ainsi un premier ministre qui ne peut exercer son autorité sur la plupart de ses ministres ou des dignitaires de l’Etat.
On comprend mieux pourquoi, depuis près de 25 ans, les revendications des oppositions, quelles qu’elles soient, pour une « dépolitisation » de l’administration restent lettre morte une fois cette opposition arrivée au pouvoir. La politisation de l’administration est au centre du système politique de récompenses et d’alliances. Elle n’est pas une question d’opportunité ou de tactique : elle est systémique.
La prison des bureaucrates
L’Etat, ce n’est pas simplement un président, un gouvernement, des cabinets ministériels et des DG. C’est aussi, voir surtout, une bureaucratie, depuis Niamey jusqu’aux sous-préfectures, avec sa branche dite de « commandement » et ses services dits « techniques », ses domaines de souveraineté (magistrature, police, armée, diplomatie) et ses bataillons d’infirmiers et d’instituteurs. Tout cet « appareil d’Etat » délivre des services aux populations : sécurité, justice, santé, éducation, eau, routes, etc.
Mais chacun sait, au Niger, que ces services sont de mauvaise qualité. Les usagers, qui sont aussi les citoyens, s’en plaignent amèrement. La situation sinistrée de l’école publique l’illustre abondamment. Cette délivrance déficiente des services n’est pas seulement due à la pénurie et au « manque de moyens ». C’est aussi le produit d’une gestion désastreuse des ressources humaines dans tous les secteurs, ainsi que des comportements « non observants » des agents de l’Etat : bien souvent ces derniers n’observent pas les lois, les normes, les règlements et les procédures officielles, mais suivent plutôt des « normes pratiques » différentes, implicites, routinières, largement partagées[3].
La culture bureaucratique nigérienne est la somme de ces comportements non observants, de ces normes pratiques, de ces routines, faites de « débrouillardises », de favoritismes, d’absentéismes, de privilèges, de petite ou moyenne corruption, de trucages, entre dabarou et adjara. Tout pouvoir est confronté à cette culture bureaucratique, et le rapport de force est paradoxalement en faveur de la bureaucratie, et non en faveur du pouvoir. Les politiques publiques décidées au sommet de l’Etat se trouvent, dès lors qu’elles sont mises en œuvre sur le terrain, confrontées à la culture bureaucratique qui règne dans les services chargés de les appliquer. Et ces politiques se trouvent démembrées, désarticulées, détournées, contournées.
Cette bureaucratie, fondée sur une pléthore de petites habitudes ancrées dans la quotidienneté des services, constitue une citadelle que bien peu de politiciens sont prêts à affronter. Elle préexiste et survit aux divers régimes. La modifier est une entreprise de longue haleine, bien au-delà des échéances électorales qui obsèdent la classe politique. En outre, s’y attaquer, c’est se mettre à dos tous ceux qui bénéficient du fonctionnement actuel, et en premier lieu les grands commerçants, les militants et les alliés…
La prison des experts internationaux
Le Niger est un pays « sous régime d’aide ». Nous dépendons beaucoup de la rente du développement. En fait cette rente (comme la rente pétrolière) a beaucoup d’effets pervers. Plutôt que de développer les initiatives locales, l’ingéniosité populaire, ou les réformes venant de l’intérieur, l’aide au développement induit la dépendance, les stratégies de captation et l’addiction aux réformes venant de l’extérieur. Les institutions de développement implantent sans cesse chez nous de nouveaux « mécanismes miracles » standardisés, élaborés par des experts internationaux, non adaptés aux contextes nigériens, de type « prêt à porter », alors qu’il nous faudrait du « sur-mesure ».
Les pouvoirs successifs ont une forte tendance à se mettre à la « remorque » des bailleurs de fonds, à accepter tout projet et tout programme dès lors qu’il constitue une manne financière[4], quand bien même on ne croit pas à son efficacité, quand bien même on ne lèvera pas le petit doigt pour en assurer le succès.
Les meilleurs cadres techniques du pays, et plus généralement les fonctionnaires, ont pour principale ambition (en dehors de la politique) d’être recrutés par des « projets », des ONG ou des institutions internationales : ceux qui restent dans le service public sont aigris, en quête de compensations et d’opportunités de gains, et peu portés à prendre des initiatives réformatrices. Quant aux multiples projets et programmes élaborés et financés par l’aide, au sein des administrations ou vers la société civile, on constate que tout s’effondre dès lors que le financement extérieur et l’assistance technique ou gestionnaire s’arrêtent.
Certes il existe çà et là des politiques nationales menées sans le concours d’experts internationaux et sans le financement des bailleurs de fonds. Mais, le plus souvent, elles sont considérées par ceux qui les mettent en œuvre ou ceux à qui elles sont destinées comme étant elles aussi des rentes qu’il faut s’approprier ; le plus souvent aussi, comme les projets de développement, elles ne sont pas pérennes. Le plus souvent, enfin, elles sont caractérisées par leurs incohérences, leur impréparation et leur manque de rigueur.
Au total, le système de l’aide, que ce soit l’aide projet, l’aide sectorielle ou l’aide budgétaire (les trois restent mêlés), induit une dépendance malsaine et paralysante, du haut en bas de l’Etat comme de la société civile. Contrairement à beaucoup d’idées reçues, cette prison n’est pas tant imposée de l’extérieur qu’intériorisée par les acteurs nationaux. C’est surtout une prison mentale.
On a souvent évoqué les aspects politiques de cette dépendance (« la main qui donne est au-dessus de celle qui reçoit »), ou ses aspects économiques (ajustement structurel, macro-conditionnalités néo-libérales), mais beaucoup moins ses aspects « socio-culturels » : perte du sens de l’initiative, adoption de la rhétorique des partenaires et pratiques du double langage, attitudes de « bons élèves », comportements rentiers, passivité, absence de soutien aux innovations locales, primat aux procédures standardisées aux dépens des contextes, faible recours à l’expertise nationale…
Conclusion : l’étonnante popularité de Sankara
Face à ces prisons, la marge de manœuvre du pouvoir, de tout pouvoir, semble très restreinte. Chaque responsable politique a en effet tendance à se plier aux contraintes que nous avons soulignées. Le rejet de la politik par la population exprime ce constat : tout va toujours continuer comme avant, quel que soit le parti au pouvoir. Mais pourtant, en même temps, tout le monde rêve d’une alternative, tout en déplorant qu’elle apparaisse impossible au temps présent.
C’est ici que le nom de Sankara vient à l’esprit. Pourquoi est-il, aujourd’hui encore, si populaire ? Mon hypothèse est que c’est justement parce qu’il symbolise, aux yeux de l’opinion publique, le refus de ces quatre prisons. Il incarne l’image d’un homme intègre et courageux, ayant refusé les privilèges et les facilités du monde politique en place, ayant cherché à transformer l’administration et le mode d’exercice du pouvoir, et à mobiliser les énergies et initiatives nationales. Entendons-nous bien : je n’entends pas faire ici le panégyrique de Sankara, ni plaider pour un homme providentiel (encore moins pour un officier putchiste, car après tout c’en était un). Je veux simplement souligner ce fait capital : les qualités que, dans toute l’Afrique, on attribue à Sankara, à tort ou à raison, trente ans après, dessinent en creux ce que chacun souhaiterait qu’un président élu ose enfin faire, et la déception corrélative qui s’ensuit lorsqu’il se révèle n’être pas différent des autres, donc impuissant à faire bouger les murs.
Certes, rien ne changera par un coup de baguette magique, et on ne peut plus croire au « grand soir ». Certes il faudra sans doute des décennies pour modifier en profondeur les mœurs politiques, la culture bureaucratique et la dépendance à l’aide. Mais il faut bien commencer, si l’on veut éviter la permanente reproduction des mêmes maux à laquelle on assiste depuis 30 ans, si l’on veut donner un sens plus positif à la démocratie, si l’on veut réhabiliter la politique, et si l’on veut réduire le désenchantement ou la désespérance qui servent de terreau aux islamistes radicaux et aux jihadistes.
Dans cette perspective, si l’on entend rester dans un cadre démocratique, et qu’on refuse les pièges et les dangers des coups d’Etat ou des insurrections, il n’y a que deux possibilités pour faire bouger ces murs.
Soit, au sein de la classe politique actuelle, un Président prend les risques d’ouvrir enfin des brèches dans les quatre prisons. Quel chef d’Etat aura le courage de décevoir, au moins sur certains points, ses financeurs, ses militants, ses alliés, ses fonctionnaires, et ses bailleurs de fonds ? Quel chef d’Etat osera faire « de la politique autrement », quitte à se mettre à dos nombre de ses soutiens classiques ? Quel chef d’Etat sera capable de développer des stratégies de rupture avec tout un ensemble d’habitudes bien établies au cœur même de l’Etat ? Quel chef d’Etat pourra assumer des réformes contre ses courtisans ?
Soit, au sein des nouvelles générations, une relève se dessinera, dont on peut espérer qu’elle prendra en main le changement. La classe politique actuelle, issue de la conférence nationale, a vieilli de concert, il est peu probable qu’elle veuille ou accepte de quitter ses prisons : ce sont pour elle des prisons dorées, qu’elle a elle-même contribué à bâtir. L’arrivée d’une nouvelle classe d’âge aux responsabilités est souhaitable, voire inéluctable. Mais il faudrait que cette rupture générationnelle soit aussi une rupture avec les mœurs politiques, administratives et affairistes de la génération précédente. Ce n’est pas toutefois gagné d’avance.
Parier sur la jeunesse comporte des risques : beaucoup de jeunes sont sensibles aux sirènes de la classe politique en place et ne rêvent que de la remplacer. En quête eux aussi de privilèges, ils se font sans scrupules acheter par les partis politiques pour leurs manifestations ou leurs campagnes. Quels jeunes sont prêts à « faire de la politique autrement », et à en payer le prix personnel et social ?
Il n’y aura pas de « nouveau Sankara », ni au Niger, ni au Burkina Faso, ni ailleurs. Mais y aura-t-il des hommes politiques qui assumeront certaines des ruptures dont Sankara est l’image, et dont la popularité montre à quel point elles sont espérées et nécessaires ? Qui acceptera de s’attaquer, pas à pas, pierre à pierre, progressivement mais obstinément, aux quatre prisons du pouvoir ?