M. Issoufou: je veux m’attaquer à «la pauvreté qui chasse les Africains de leur pays»

Le président nigérien Issoufou Mahamadou n’est pas venu les mains vides au Sommet de La Vallette sur la crise migratoire. Il a soumis à ses partenaires européens une liste de propositions pour le Niger : renforcement des capacités des forces de sécurité du pays pour lutter contre les trafics, mais aussi divers projets de développement local pour inciter les Nigériens à rester au pays. Pour les détailler, il a répondu aux questions de notre envoyé spécial Léonard Vincent.

Le Niger est particulièrement concerné par la question migratoire. Ce sommet à La Valette doit être particulièrement important et attendu par vous ?

Issoufou Mahamadou : Oui, tout à fait. Le Niger est particulièrement concerné par ce sommet, parce que le Niger est un pays de transit pour les migrants qui vont vers l’Europe, mais le Niger aussi est un pays d’origine des migrations vers le Maghreb et en particulier vers la Libye. Donc, le Niger est doublement concerné. Les différents partenaires des différents pays, qu’ils soient de destination, d’origine ou de transit, doivent avoir une responsabilité commune, avoir un programme de coopération pour faire face au grave problème que connaît aujourd’hui la migration, avec tout le cortège de morts qu’on constate dans le désert nigérien, libyen ou bien en Méditerranée. Il faut donc que ces différents pays s’attaquent aux causes profondes de la migration. Et ces causes profondes sont le déficit de la démocratie, l’insécurité, la pauvreté, les inégalités. Et pour faire face, il y a deux solutions. Il y a une solution à court terme qui est sécuritaire, il y a une solution à long terme, structurelle, qui porte sur le développement économique et social.

Vous êtes venu ici à La Valette avec des propositions. Quelles sont-elles ?

Alors nous sommes venus avec des propositions, avec un programme précis. Il y a d’abord des propositions concernant la solution à court terme, c’est-à-dire la solution sécuritaire. Ce que nous proposons, c’est que l’Europe nous aide à renforcer les capacités opérationnelles de nos forces de défense et de sécurité, que l’Europe nous aide à mettre en place des forces spéciales dédiées à la lutte contre la migration clandestine. Et également, nous proposons, toujours sur le plan légal, qu’il y ait une organisation de la migration légale. Nous sommes d’accord également sur les propositions qui sont faites en ce qui concerne les réadmissions, le retour des migrants dans leur pays d’origine. Mais tout ça, c’est des solutions à court terme. Sur le long terme, c’est le développement, parce qu’il faut s’attaquer à la pauvreté qui chasse les Africains de leur pays d’origine. Il me semble que l’aide publique au développement ne suffira pas. C’est vrai que l’Union européenne propose la création d’un fonds fiduciaire de 1,8 milliards d’euros. Cela ne suffira pas. Les besoins sont énormes. C’est pour cela que dans nos propositions, nous avons estimé qu’il faut monter un véritable plan Marshall pour faire face à ce phénomène migratoire, et au-delà. Je pense que ce, à quoi il faut penser, c’est à la réforme de la gouvernance économique mondiale. Il faut que le commerce entre les pays du Nord et les pays du Sud soient plus équitables. Il faut que les termes de l’échange soient justes. Et il faut davantage d’investissements vers les pays africains. Cela a un double avantage pour les pays européens. Le premier avantage, c’est que ça permet de fixer les migrants dans le pays d’origine. Le deuxième avantage, c’est que, en développant les pays absolument sous-développés, l’Europe va avoir des marchés qui contribueront à la relance de l’économie sur le continent européen.

Vos propositions sont très détaillées pour ce qui concerne votre pays. Il est question de plusieurs initiatives locales. Est-ce que vous pouvez nous détailler un peu quelques projets phares ?

Nous avons des propositions précises portant sur la mise en place des centres d’accueil pour les migrants. Il s’agit ici d’accueillir les migrants, de les protéger, de respecter leurs droits et éventuellement de créer les conditions de leur retour dans leur pays d’origine. Ça, c’est un premier aspect. Le deuxième aspect porte sur le développement et en particulier pour le développement de l’agriculture, parce que l’agriculture crée beaucoup d’emplois. Dans notre pays, ça permet de retenir les Nigériens qui sont tentés d’aller en migration vers les pays du Maghreb, notamment vers la Libye parce que nous, on ne peut pas arrêter le flux des migrants subsahariens qui passent par notre pays, sans arrêter le flux des Nigériens qui vont vers la Libye par exemple. Donc il faut les retenir sur place. Nous avons prévu des projets de développement de l’agriculture, des projets de développement du tourisme par exemple. Si vous prenez le cas de la région d’Agadez, c’est une région de tourisme par excellence et cela permettra de reconvertir ceux qui s’adonnent au trafic des migrants vers d’autres activités.

Vous avez chiffré les projets que vous proposez ?

Absolument. Nous avons chiffré les projets, c’est à peu près 700 millions d’euros qu’il nous faut pour faire face aux solutions que nous préconisons.

A la fin de votre discours, vous avez cité Montesquieu. Est-ce que vous pouvez dire ce que vous avez dit ?

Ce que j’ai dit, c’est que le problème migratoire, c’est un problème qui concerne toute l’humanité puisque ça ne concerne pas que l’Afrique. Ça concerne aussi le Moyen-Orient, la Syrie, l’Irak, ça concerne les pays d’Amérique latine. Allez-y à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis, vous verrez les mêmes drames qu’on voit dans le désert nigérien ou sur la Méditerranée. Donc ça concerne toute l’humanité. Par conséquent, il faut que nous, dirigeants, nous évitons de nous replier sur nos frontières, de nous replier sur nos patries, et Montesquieu disait : « Quand on doit choisir entre sa patrie et l’humanité, il faut choisir l’humanité ».

RFI.FR