Cette année, environs 120 000 migrants africains en partance pour l’Europe, « le paradis rêvé », ont transité par Agadez, « la perle du Sahara » (nord Niger). Selon l’agence FRONTEX chargée de coordonner les politiques européennes en la matière, c’est quasiment plus du double de ce qui a été enregistré l’année dernière. Au moins 25 000 d’entre eux ont péri sur la route et dans la mer méditerranée. Une hécatombe qui n’a malheureusement aucun impact sur les flux des migrants africains vers l’Europe…
A l’opposé du silence consternant des gouvernements, des sociétés civiles et des médias africains, en Europe cependant, le sujet occupe et agite régulièrement les rédactions et les états-majors des partis politiques. L’Europe a le sentiment d’être envahie. Le « péril noir » frappe à sa porte. « Le péril syrien », tout aussi envahissant et plus médiatisé, est venu quant à lui donner une résonnance planétaire au drame des migrants dans le monde. Si l’Europe se sent « victime » d’invasion, l’Afrique est davantage victime d’une hémorragie qui la vide de sa substance vivrière. Ses jeunes diplômés et ses bras valides la quittent et semblent l’abandonner à ses problèmes…
Qu’est-ce qui poussent les jeunes africains à fuir leur pays, en bravant intempéries et interdits, pour se retrouver, parqués comme des bêtes, dans les cages des centres d’accueil d’Italie ou de Grèce ?
L’enfer démocratique
Il serait très réducteur, voire bancal, de croire que, ces jeunes entassés dans des camions ou des bateaux pneumatiques, affrontant les sables mouvants du Sahara et les vagues meurtrières de la méditerranée, le font juste pour fuir la misère de leurs pays. Aussi, il serait très simpliste de croire qu’ils sont sous influence des télés occidentales qui leur miroitent des choses alléchantes quotidiennement. Il y’a peut-être de tout cela, mais le vrai problème pourrait être ailleurs.
En effet, un coup d’œil sur l’évolution du « cadre macro » africain, dévoile un continent bigarré, composé de pays aux parcours démocratiques divers ; autant des trajectoires les unes plus cahoteuses que les autres : Profusion de coups d’état et de Républiques par-ci (Niger, Nigéria, …) ; Succession dynastique, ou tentative, par-là (Gabon, les 2 Congo, Togo, Sénégal…) ; Modification de la constitution, ou tentative, à quelques mois des élections (Niger, Burkina, Congo B, Burundi, …) ; Captation et monopolisation du pouvoir, sous le couvert de la démocratie, par des groupes ethniques d’une même région ou d’une même religion (Côte d’Ivoire, Nigéria, Guinée K, Cameroun, Tchad, Rwanda, Togo, Ethiopie …) ; Des présidents, souvent « démocratiquement élus », mais décidés à mourir au pouvoir à tout prix (Algérie, Zimbabwe, Cameroun, Tchad, Gambie, Angola, Soudan, Burundi, …) … Bref, trop de ratées et de maldonnes qui ont transformé les pays africains en une source objective de conflits violents, plutôt qu’une solution pour harmoniser le mieux vivre ensemble et améliorer le quotidien des africains.
Conséquences de ces dysfonctionnements vécus au quotidien, des déferlantes de violences gratuites, pendant lesquelles des millions d’africains sont tués, enlevés, déplacés, violés, spoliés de leurs biens, … Dans le meilleur des cas, l’attelage démocratique tombe régulièrement en panne au bout d’un mandat, ou tout au plus, au bout du 2ème. Alors bienvenue au pays de la crise politique sans fin, avec des manifestations quotidiennes et violentes, des arrestations, voire assassinats d’opposants, de journalistes, d’acteurs de la société civile et de manifestants.
« No future… » ?
Aujourd’hui, les pays africains sont dans leur majorité, plantés dans un scénario catastrophe similaire. Les uns sont effondrés ou en voie de l’être (Lybie, RCA, Somalie, Erythrée, … ). D’autres sont menacés par des rebellions et des groupes islamistes (Algérie, Mali, Niger, Nigéria, Tchad, Cameroun, Kenya, …) ou minés par des oppositions ethniques, régionalistes ou religieuses (Mauritanie, Cote d’Ivoire, Nigéria, Guinée K, Burundi, Rwanda …) débouchant quotidiennement sur des violences, pendant que les autres sont tout simplement en perpétuelle crise politique, débouchant assez fréquemment sur des scénarios aussi ubuesques qu’incompréhensibles.
Ce contexte général de troubles et d’incertitudes, a transformé l’Afrique, malgré son apparente stabilité et une « croissance économique soutenue » depuis plus de 10 ans, en un enfer cuisant, faisant fuir en masse ses enfants. L’image des ces migrants africains, tant au Sahara qu’en Méditerranée, décidés à quitter le continent par tous les moyens, tel dans une procession de suicide collectif, est assez symptomatique de la faillite des démocraties africaines, pour ne pas dire des pays africains, comme « cadre macro » de développement et d’épanouissement des peuples africains.
En réalité, le vrai problème est qu’il n’ya pas d’avenir sur le continent noir. C’est du moins la perception qu’ont les jeunes migrants de leurs pays. Et ils ne sont pas les seuls à l’avoir. « No future », prophétisait déjà Eric Fottorino (Le Monde) dans les années 90. Il ya 20 ans en effet la situation était identique, mais les africains ne fuyaient pas en masse leurs pays. Ils n’avaient non plus appris à poser des bombes. Ils y restaient et mourraient sur place de famine, de guerre civile, de sida, de pauvreté et d’autres calamités naturelles, telle que l’a si bien dessiné Plantu, le célèbre caricaturiste français.
Les portes closes
Depuis lors, la situation n’a fait que s’empirer. Les mêmes « systèmes », inféodés par les mêmes « mafias », ont continué à régenter les peuples africains et à gérer leurs ressources. Sauf que cette fois-ci, les africains ne veulent plus mourir sur place. Convaincus que ces « systèmes » qui les privent de liberté et ces « mafias » qui pillent leurs pays sont téléguidés par les pays occidentaux, les migrants africains sont tout naturellement attirés, voire aspirés, par ces pays dont ils pensent être historiquement et moralement responsables de l’enfer qu’ils vivent dans leurs pays.
La traversée du Sahara et de la méditerranée est sans doute « le voyage » le plus périlleux que les africains aient connu, depuis « la traite négrière ». Selon les chiffres débités dans la presse occidentale, un africain sur 4, n’atteindra jamais les côtes européennes. Mort d’épuisement dans le désert ou noyé dans la méditerranée par les gardes-côtes européens, tel est leur sort. Et quand ils y réussissent, au péril de leur vie, ils se retrouvent face à de portes hermétiquement closes. Car l’Europe a, en effet, anticipé sur les effets induits d’une situation qu’elle a sciemment créée. Traumatisés et ébranlés par la « traversée », ces « nègres chanceux », se retrouvent donc bloqués dans des « centre d’accueil » qui ne sont rien d’autre que des prisons pour migrants.
C’est alors le début d’un autre enfer. Catalogués comme « migrants économiques », ils font l’objet d’un traitement humiliant : Camps de barbelés, Interrogatoires ininterrompus, surveillance permanente avec caméras et chiens de garde, sévices corporels, viol, menottes, charters, … et retour au pays … couvert de honte et de dette. Ce n’est pas fini. Les européens sont en train de mettre en place une autre stratégie pour couper la route des migrants. Déployer au nord Niger à partir de 2016, sous le couvert de Barkhane, des soldats belges chargés d’intercepter les camions des migrants dans le désert nigérien et les ramener à Agadez, où seront construits des camps d’accueil pour migrants africains financés par l’Union Européenne. C’est tout le sens des récentes visites successives du ministre français des l’intérieur Bernard Cazeneuse (15 mai) et de la Haute Représentante de l’Union Européenne pour les Affaires étrangères et les politiques de sécurité, mais aussi vice présidente de la Commission Européenne, Federica Mogherini (17-18 aout) au Niger.
« Au moment ou les Chinois, Américains, Français et autres se bagarrent dans leur ruée vers l’Afrique, des Africains veulent, eux, partir de leur continent ». Paroles d’un vieil émigré parisien qui ne comprend plus rien de ce qui se passe !
El Kaougé Mahamane Lawaly ( Le Souffle, Maradi)