Dans cette interview, M. AMADOU ADAMOU Bachir plus connu sous le nom de « Maître Bachir » aborde les contours de l’exercice du droit de réponse dans la presse. Qu’est-ce que le droit de réponse, sa philosophie, ses modalités ? C’est entre autres aspects techniques traités dans cet entretien. Maître Bachir est Doctorant en droit public à l’Université de Toulon en France, attaché de recherche au Centre de droit et politique Comparés (CDPC-Jean-Claude Escarras de Toulon). Il est membre élu au conseil de l’école doctorale Civilisations et société euro-méditerranéennes et comparées. Il analyse également ici la situation de la presse nationale. Un débat très intéressant sous forme d’une contribution citoyenne pour un changement qualitatif dans la pratique médiatique au Niger.
Niger Inter : Du point de vue juridique comment définissez-vous le droit de réponse dans le domaine de la communication ?
M. AMADOU ADAMOU Bachir: Selon la doctrine établie et une jurisprudence bien française, « Le droit de réponse trouve son assise dans la possibilité, pour une personne nommée ou désignée, de faire connaître ses explications ou ses protestations sur les circonstances et dans les conditions mêmes qui ont provoqué sa désignation. Le fait générateur du droit tient à cette simple mise en cause de l’auteur de la réponse, par nomination ou désignation, indépendamment de toute autre circonstance, ce qui a toujours été interprété comme l’expression d’un droit absolu et discrétionnaire ». Il en résulte essentiellement que la mise en cause doit être exprimée dans une publication déterminée en visant une personne identifiée ou au moins identifiable, c’est d’ailleurs l’esprit de la loi française du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, lorsque l’on sait que notre régime juridique est essentiellement inspiré du droit français. Au Niger, deux textes juridiques encadrent essentiellement ce domaine de communication, il s’agit notamment de l’Ordonnance n° 2010-35 du 04 juin 2010, portant régime de la liberté de Presse et celle du 93-31 du 30 mars 1993, portant sur la Communication audiovisuelle.
Il convient tout de même de préciser que le droit de réponse est différent du droit de rectification que certains journalistes ont très souvent confondu.
Contrairement au droit de réponse, le droit de rectification est essentiellement reconnu aux personnes dépositaires de l’autorité publique « au sujet des actes de leur fonction qui ont été inexactement rapportés ». L’idée est de leur offrir la possibilité de faire publier « en tête du prochain numéro du journal ou écrit périodique » une rectification qui peut aller jusqu’au double de l’article qui les met en cause, et ce sans autre limitation de taille. La doctrine est très critique par rapport à ce droit qui lui paraît tout à fait excessif et ce d’autant qu’il peut se cumuler avec un droit de réponse. Mais même en France où ce droit est consacré, il est très peu usité et quasiment tombé en désuétude, puisque les bénéficiaires préfèrent répondre directement aux publications dans lesquelles ils sont nommés ou désignés. On comprend donc pourquoi au Niger, l’ordonnance de 2010 a bien voulu étendre le bénéfice de ce droit à toute personne physique ou morale si elle estime que ses actes ou propos ont été inexactement rapportés par un organe d’information générale.( art. 30).
En matière de presse écrite périodique, le refus d’insérer une réponse est incriminé dans l’ordonnance de 2010 et toute méconnaissance entraîne une sanction pénale. L’article 34 de cette ordonnance dispose « Le refus de publication d’une rectification ou d’une réponse expose le directeur de publication à une peine d’amende de 250.000 à 500.000 francs CFA, sans préjudice des dommages et intérêts auxquels peut prétendre la victime.
En cas de récidive, l’amende est portée à 1.000.000 francs CFA. » Le droit de réponse constitue, la conséquence directe de la liberté accordée aux journaux et est exclu pour les livres, affiches, tracts… qui ne bénéficient pas d’une certaine périodicité.
En France, les infractions résultant du refus d’insérer une réponse en matière de presse écrite périodique et de communication en ligne sont explicitement énumérées par la loi. Les principes régissant ces infractions sont très proches ; la responsabilité pénale du directeur de la publication est engagée de la même façon dans les deux cas. Néanmoins, une condamnation de ce chef suppose un certain nombre de vérifications préalables : le refus d’insérer n’est incriminé qu’à partir du moment où la réquisition d’insertion était régulière.
Niger Inter : Comment s’exerce le droit de réponse ?
M. AMADOU ADAMOU Bachir: C’est l’article 31 de l’ordonnance portant régime de la liberté de la presse qui consacre ce droit en ces termes « Toute personne physique ou morale dispose d’un droit de réponse dans les cas où des imputations susceptibles de porter atteinte à son honneur ou à sa réputation, ou à ses intérêts commerciaux ou non commerciaux ont été diffusés par un organe d’information générale. »
Le législateur a voulu éviter que la prise à partie du public ne s’effectue de façon unilatérale par un organe de presse qui est en position dominante. Il lui est apparu normal que toute personne nommée ou simplement désignée puisse y répondre.
L’important, c’est que, dans l’esprit des lecteurs, un lien de causalité doit s’être établi entre cette réponse et l’article qui l’a suscitée. Il faut néanmoins souligner que la mise en cause doit être personnelle et directe. Lorsque la personne est désignée par son nom, le droit de réponse pose peu de difficultés. Peu importe la qualité de cette personne. Peu importe également que la personne mise en cause soit une personne physique ou morale, dès lors que sa personnalité juridique est reconnue.
Le droit de réponse est strictement personnel et ne peut être exercé que par celui qui a été expressément ou implicitement mis en cause dans une publication périodique.
Il suffit que la personne visée soit identifiable par ceux qui la connaissent pour qu’elle dispose d’un intérêt à solliciter l’insertion de sa réponse. Il en va ainsi chaque fois qu’une personne est mise en cause, sans avoir été nommée, dès lors qu’elle est susceptible d’être reconnue en raison des circonstances rappelées par l’article.
Le droit de réponse institué au profit d’une personne mise en cause dans un journal ou un périodique n’a pas pour objet de sanctionner la faute qu’aurait commise le rédacteur de l’article litigieux, mais tend à permettre à la personne concernée de défendre le droit au respect de sa personnalité et de faire connaître ses explications ou ses protestations sur les circonstances de sa mise en cause.
Pour exercer son droit de réponse, il faut au préalable déterminer la nature de la mise en cause nécessitant son insertion. Puisqu’il n’est pas possible de répondre à la rumeur il est loisible de répondre à ceux qui la propagent. La réponse doit donc être sollicitée dans l’organe même où la mise en cause a été faite. Elle peut l’être dans toutes les publications qui l’ont reprise à leur compte et autant de fois qu’elle est répétée. Si, d’aventure, l’insertion s’accompagne d’un commentaire qui prolonge la polémique, l’auteur de la réponse peut également y répliquer.
L’objectif ici est de faire persister le droit de se défendre autant que dure la provocation. Peu importe qu’à l’égard de certaines mises en cause l’intéressé ait protesté, et pas à l’égard d’autres. Il convient de préciser que le journaliste ne peut être privé du droit de répliquer à une insertion qui soutiendrait « d’évidentes contre-vérités ». L’essentiel est que la mise en cause ait pris une forme rédactionnelle ; aucune intention de nuire n’est exigée.
Le contenu de la mise en cause est indifférent dès lors qu’une personne y est identifiée ou au moins identifiable. L’intention de nuire n’est pas nécessaire pour justifier l’insertion en réponse. Il faut aussi préciser que l’insertion de la réponse devra être faite à la même place et dans les mêmes caractères que l’article qui l’aura provoquée, et sans aucune intercalation.
La presse périodique, est essentiellement une presse d’information, la plupart des mises en cause qui sont ainsi publiées ont trait à l’actualité : la vie politique, culturelle ou sportive, les découvertes scientifiques et les faits divers. Aucun de ces sujets ne peut faire échapper son auteur à l’exercice d’un droit de réponse. L’obligation d’insérer ne disparaît qu’à partir du moment où la mise en cause résulte d’une publication judiciaire ou légale que le directeur de la publication ne pouvait refuser. La solution inverse réduirait considérablement la portée de ces communications officielles : la publication perdrait son effet infamant, lorsqu’elle a été ordonnée comme peine complémentaire, et son effet compensateur, lorsqu’elle a été ordonnée à titre de réparation civile.
En effet, l’exercice d’un droit de réponse ne relève pas de la justice privée, il ne s’agit pas d’une action en justice. Ce n’est pas le désir de vengeance qui doit animer celui qui l’exerce, mais un idéal de transparence et de réciprocité. Ainsi, l’insertion d’une réponse n’est-elle pas subordonnée à une mise en cause dans des termes « injurieux ou même agressifs ».
Toutefois, l’insertion sollicitée peut être refusée par le directeur de la publication si elle est offensante pour le journaliste. C’est le cas par exemple en France où, le droit de réponse, en raison de sa formulation, est de nature à mettre en cause l’honnêteté intellectuelle du journaliste.
Le droit de réponse est un principe général et absolu dès lors qu’une personne est mise en cause dans un article. Cependant, par le contrôle qu’ils exercent sur le contenu même de la réponse, les tribunaux restreignent notablement son exercice.
Malgré leur proximité, les deux refus d’insérer constituent des infractions distinctes, car le droit de réponse ne s’exerce pas exactement de la même façon dans la presse écrite périodique et dans la communication en ligne. Les modalités de la demande pouvant varier, il convient donc de distinguer suivant le média auquel elle est adressée.
En réalité, au fil du temps, le droit de répondre à la presse périodique s’est complexifié. À côté du régime historique, et principal, il faut désormais faire état de régimes en partie dérogatoires, avec notamment l’apparition de la presse en ligne.
Niger Inter : Quels sont les motifs constitutifs d’un droit de réponse ?
M. AMADOU ADAMOU Bachir: Je le disais tantôt, la philosophie de la loi relative à la presse, n’a pas pour objectif de restreindre la liberté du journaliste, mais de permettre à une personne nommée ou désignée par une publication, d’exercer un droit de réponse, pour protester ou répondre à la publication mise en cause ou donner des précisions que la publication aurait omis. Il s’agit pour l’intéressé de sauver son honneur. Plusieurs éléments concourent à l’exercice de ce droit, mais deux conditions fondamentales méritent d’être précisées : le moment de la réponse et le caractère de la réponse.
Le droit de réponse était perçu à l’origine comme absolu. Les seules conditions pouvant entraver son exercice concernaient sa présentation matérielle. Il fallait limiter les conséquences d’une telle expropriation du journal à des fins privées. À l’inverse, lorsque le texte de la réponse satisfaisait aux exigences légales, il devait être inséré. Le juge, pas plus que le directeur de la publication, ne pouvait donc apprécier l’opportunité de cette insertion. Néanmoins, pour limiter le nombre d’insertions forcées, la jurisprudence a admis que des refus pouvaient également être opposés pour des motifs de fond. Aujourd’hui, comme dirait BEIGNIER, dans son ouvrage, L’honneur et le droit, un constat s’impose : « Le droit de réponse donne une fausse illusion, celle d’un duel de plumes. Mais qui ne se rend compte que face au fleuret acéré de l’un, celui de l’autre est énervé par la loi ? »
S’agissant du moment de la réponse, celui-ci doit obéir à une exigence de délai, c’est-à-dire que la réquisition doit intervenir au cours d’un délai déterminé. Il s’agit d’une sorte de délai de forclusion imposant à la personne visée d’agir sous peine d’être déchue de son droit de réponse.
L’insertion doit être demandée dans les trois mois qui suivent la publication et le directeur de la publication est tenu d’insérer la réponse dans un délai de 48 heures suivant sa réception, ou dans le numéro suivant la réception lorsque l’article ou l’émission mis en cause n’est pas publié dans un organe d’information périodique.
Quant au caractère de la réponse, la loi ne requiert aucune forme particulière : un directeur de publication ne peut donc refuser de publier une réponse au motif qu’elle se présente « comme un échange de propos épistolaires et non pas comme un communiqué de presse ». En revanche, la réponse doit obligatoirement être adressée au directeur de la publication : c’est lui le débiteur de l’obligation d’insertion. Il n’est pas tenu de publier une réponse parvenue au journal mais qui ne lui était pas spécialement adressée. La réponse doit être remise soixante-douze (72) heures au moins avant le tirage du journal écrit périodique ou le début de l’émission dans lequel elle doit être publiée, conformément à l’article 37 de l’ordonnance de 2010.
Niger Inter : Où se plaindre en cas de refus par l’organe de presse d’insérer un droit de réponse ?
M. AMADOU ADAMOU Bachir : Dès lors que le droit de réponse a été exercé régulièrement, le refus d’insérer constitue une infraction.
En France, après l’entrée en vigueur de la loi du 29 juillet 1881, l’avocat général RONJAT s’exprima ainsi : « Ce que la loi ordonne, c’est la publication de la réponse dans un délai et dans une forme déterminée ; et ce qui constitue le délit, c’est la publication du journal ne contenant pas la réponse dans la forme imposée par la loi ». Cette analyse s’impose encore aujourd’hui tant en matière de presse périodique que de communication en ligne.
Le refus d’insérer constitue une infraction d’omission reprochable au directeur de la publication. Cette infraction consiste en la publication du périodique sans la réponse qui aurait dû y figurer. En principe, l’insertion s’impose « dans le numéro qui suivra le surlendemain de la réception » (art. 34, al. 3 de la l’ordonnance du 4 juin 2010). Toutefois, lorsque le périodique est quotidien, l’insertion peut intervenir dans les deux jours qui suivent la réception de la réquisition en temps normal, et dans le prochain numéro si l’organe incriminé n’est pas un périodique, sachant que « la réponse devra être remise soixante-douze heures au moins avant le tirage du journal dans lequel elle devra paraître ». Le simple retard, dès lors qu’il n’est pas dû à un cas de force majeure, suffit à caractériser l’infraction.
Mais un ultime fait justificatif permet d’écarter le délit. La publication doit être conforme à ce qui était demandé. En conséquence, la jurisprudence admet que le directeur de la publication n’est pas tenu de diviser ou corriger une réponse trop longue ou irrégulière qui lui a été adressée. Il peut refuser de l’insérer.
En toute hypothèse, la non-insertion d’une réponse constitue un délit intentionnel. La solution a toujours été admise, même si son élément moral a, longtemps, été occulté. Le refus de publication doit donc être de mauvaise foi. Mais, compte tenu de ses fonctions, le directeur de la publication ne peut guère prétendre qu’il a « oublié ». La preuve de son intention se déduit du fait qu’il a reçu une demande d’insertion : son abstention est nécessairement punissable dès lors qu’aucun motif légitime ne peut l’expliquer. En effet, en tant que professionnel, son « droit » à l’erreur se trouve considérablement réduit. Le conseil supérieur de la communication, peut à ce titre être saisi pour statuer sur la question litigeuse.
En cas de refus d’insertion, le tribunal peut être saisi afin qu’il ordonne une insertion forcée.
Le demandeur peut saisir soit le tribunal correctionnel dans le cadre d’une procédure de nature pénale, soit le juge des référés dans le cadre d’une procédure de nature civile.
L’absence de réponse ayant l’accord du demandeur est assimilée à un refus et ouvre à ce dernier le droit de saisir le juge.
Niger Inter : Selon la nature du média à savoir un journal, une radio ou une télévision quelles sont les conditions déterminées par la loi pour l’insertion du droit de réponse ?
M. AMADOU ADAMOU Bachir: Le droit de réponse, quel que soit le média dans lequel il est exercé, tend à protéger toute personne mise en cause par des imputations diffamatoires à l’occasion d’une activité de communication. Celui qui l’exerce est juge de l’utilité, de la forme et de la teneur de la réponse mais il doit préciser les imputations auxquelles il entend répondre et il ne saurait mettre en cause l’intérêt légitime d’un tiers.
S’il s’agit d’une communication audiovisuelle, le journaliste animateur de l’émission au cours de laquelle des imputations diffamatoires ont été proférées ne saurait être considéré comme un tiers, l’allégation de la réponse, selon laquelle ce journaliste ne respecterait pas les règles déontologiques de sa profession en négligeant de s’informer, rend sérieusement contestable l’exercice du droit de réponse.
Il convient de souligner que contrairement au droit de réponse applicable au domaine de la presse écrite, l’exercice du droit de réponse audiovisuel est subordonné à la condition que les imputations contenues dans le reportage audiovisuel soient susceptibles de porter atteinte à l’honneur ou à la réputation de la personne mise en cause. Le droit de réponse audiovisuel n’exige nullement une réplique à l’ensemble des imputations contenues dans le reportage litigieux d’autant plus que les contraintes techniques imposent généralement au demandeur à l’insertion, pour une bonne compréhension des téléspectateurs, de se présenter au grand public et d’exposer, sous une forme simple et synthétique, les arguments de nature à réfuter les accusations et insinuations la visant personnellement.
Quel que soit la nature du média dans lequel elle est exercée, la réponse ne doit pas être contraire aux lois, aux bonnes mœurs, à l’intérêt légitime des tiers ou à l’honneur des journalistes. Tel est le cas si la réponse contient, notamment, des insinuations malveillantes concernant des tiers ou des propos mettant en cause la probité ou le professionnalisme d’un journaliste.
La conformité aux lois et à l’ordre public implique que la réponse ne soit pas susceptible d’enfreindre des dispositions pénales. Il en serait ainsi si elle contenait des provocations, des injures ou plus généralement des propos visés et réprimés par la loi.
Quant aux bonnes mœurs, la doctrine rappelle simplement qu’une réponse châtiée et point trop dévergondée évitera un délicat débat judiciaire sur les bonnes mœurs du temps présent.
L’intérêt légitime des tiers vise tant des mises en cause susceptibles de qualifications pénales, notamment des propos diffamatoires, que des critiques, insinuations ou révélations malveillantes.
Selon une jurisprudence bien établie, en qualifiant de mensongères et diffamatoires les allégations ou affirmations contenues dans un article, une réponse porte atteinte à l’honneur et à la considération du journaliste, dans des conditions que ne justifient pas en l’espèce la mise en cause.
C’est à l’aune de l’intensité des attaques que les juges doivent apprécier si les limites du droit de réponse ont été ou non dépassées. Ainsi, dans l’appréciation qu’ils ont à faire d’une réponse, les juges doivent, dans une juste mesure, prendre en considération la nature et la forme de l’article auquel il est répondu, les besoins de la défense et la légitime susceptibilité de la personne désignée dans le journal.
Niger Inter : Pouvez-vous nous parler un peu de l’expérience française en matière de droit de réponse concernant la presse en ligne ?
M. AMADOU ADAMOU Bachir : Le droit de réponse en ligne est reconnu « à toute personne nommée ou désignée dans un service de communication au public en ligne ». Sont visées par la loi tant les personnes physiques que les personnes morales mises en cause dans un contenu diffusé sur internet. La demande d’exercice du droit de réponse est adressée au directeur de la publication ou, lorsque la personne éditant à titre non professionnel a conservé l’anonymat, à l’hébergeur qui la transmet sans délai au directeur de la publication.
Une reforme introduite par une loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique est venue instituer un droit de réponse applicable aux services de communication au public en ligne (LCEN, art. 6.IV). Ainsi, l’article 6.IV de la loi de 2004 dispose: « Toute personne nommée ou désignée dans un service de communication au public en ligne dispose d’un droit de réponse, sans préjudice des demandes de correction ou de suppression du message qu’elle peut adresser au service ». Ce droit de réponse vise aussi bien les sites internet que les autres formes de communication au public en ligne tels les forums de discussion, les « chats » ou encore les lettres d’information adressées par courrier électronique. Cependant, des difficultés existent notamment lorsqu’il s’agit d’exercer un droit de réponse sur Twitter. En effet, même si les règles du droit de réponse s’appliquent en théorie, en pratique il est impossible de faire le lien entre le tweet d’origine et le tweet de réponse, car cela implique que non seulement l’auteur du tweet litigieux mais aussi tous les retweeters renvoient à l’ensemble des destinataires du message d’origine (les « followers ») le tweet de la réponse.
La jurisprudence, dans son application du droit de réponse à internet, a eu tendance à reprendre les solutions dégagées en matière de presse écrite. Ainsi, d’abord, le refus d’insertion de la réponse est justifié en cas d’atteintes aux droits des tiers ; c’est ce que précise la Cour de cassation à propos du droit de réponse sur internet dans sa décision du 3 avril 2007. Comme l’ont remarqué certains auteurs, il est introduit « un clivage entre les procédures relatives au droit de réponse dans la presse écrite et les services en ligne d’une part, qui exigent de se conformer aux dispositions procédurales de la loi sur la presse ; et les procédures concernant le droit de réponse audiovisuel qui ne sont pas soumises à ces règles. En effet, le refus de diffusion de la réponse ne constitue pas une infraction dans le cadre de la loi du 29 juillet 1982 relative à la communication audiovisuelle. En revanche, le refus de diffusion de la réponse sur un site internet est une infraction punie par la loi du 21 juin 2004 d’une amende de 3 750 €, sur le modèle de ce qui existe déjà dans la loi de 1881 à l’égard du droit de réponse de la presse écrite. Ce délit de refus d’insertion de la réponse se prescrit après trois mois révolus, en application de l’article 65 (L. 1881), puisque l’article 6-IV de la loi de 2004 précise que « les conditions d’insertion de la réponse sont celles prévues par l’article 13 de la loi du 29 juillet 1881 ».
Manifestation de la liberté d’expression, l’exercice du droit de réponse n’est donc pas subordonné à la preuve d’un quelconque préjudice ou d’un contenu injurieux ou diffamatoire. L’exercice de son droit de réponse par la personne physique ou morale ne la prive pas de son droit de demander la suppression du contenu litigieux.
En 2007, un décret est venu préciser que cette procédure du droit de réponse « ne peut être engagée lorsque les utilisateurs sont en mesure, du fait de la nature du service de communication au public en ligne, de formuler directement les observations qu’appelle de leur part un message qui les met en cause »). Le décret du 24 octobre 2007 délimite et restreint ainsi le domaine d’application du droit de réponse même s’il ne donne expressément aucune illustration de ces situations. On pense, par exemple, aux forums ou aux « chats » dans lesquels la liberté de la personne est normalement assurée, tels que Facebook, Tweeter… Une interprétation intéressante de cette disposition a été donnée par le tribunal de grande instance de Paris dans son ordonnance de référé du 19 novembre 2007, qui retient « qu’il y a lieu d’interpréter de façon étroite cette restriction apportée par voie réglementaire à l’exercice d’un droit que l’article 6.IV de la loi pour la confiance dans l’économie numérique ouvre largement… ».
La personne qui adresse une demande d’exercice de droit de réponse peut préciser que sa demande deviendra sans objet si le directeur de publication accepte de supprimer ou de rectifier tout ou partie du message à l’origine de l’exercice de ce droit. La demande précise alors les passages du message dont la suppression est sollicitée ou la teneur de la rectification envisagée. Le directeur n’est pas tenu d’insérer la réponse s’il procède à la suppression ou à la rectification sollicitée dans un délai de trois jours à compter de la réception de la demande. Dans le cas contraire, le directeur de la publication est tenu d’insérer dans les trois jours de leur réception, les réponses de toute personne nommée ou désignée dans le service de communication au public en ligne, sous peine d’une amende de 3 750 €, sans préjudice des autres peines et dommages-intérêts auxquels l’article pourrait donner lieu. La réponse demeure accessible durant la même période que celle pendant laquelle l’article ou le message qui la fonde est mis à disposition du public par l’éditeur du service de communication au public en ligne.
Niger Inter : Au Niger le plus souvent les hommes politiques préfèrent répondre par médias interposés au lieu d’exercer leur droit de réponse. Avez-vous un commentaire à ce sujet?
M. AMADOU ADAMOU Bachir : Au Niger, nous avons la réputation d’être en théorie des très bons démocrates. Et notre architecture institutionnel et l’arsenal juridique qui l’accompagne en est la parfaite illustration. Mais en pratique, le manque d’égards aux différents textes adoptés, constitue un coup dur pour la crédibilité de nos institutions.
On ne peut pas se soustraire aux obligations de la loi et soutenir en même être attaché aux valeurs républicaines. L’Etat de droit, pour s’affirmer, doit pouvoir s’appuyé sur les textes juridiques qui le fondent et du respect de ces textes, dépend véritablement sa consécration.
Or, en répondant à des imputations dont il a fait l’objet, dans un organe d’information autre que celui dans lequel il a été nommé ou désigné, l’individu méconnaît les dispositions consacrées par l’article 40 de l’Ordonnance n° 2010-35 du 04 juin 2010, portant régime de la liberté de la Presse. Mais c’est notamment à l’organe de presse qu’il incombe une obligation : celle de ne pas faire. En effet, l’article 40 de l’ordonnance précitée précise clairement l’interdiction faite à tout organe de presse de diffuser un droit de réponse ou de rectification qui aurait dû apparaître dans les colonnes d’un autre organe. Il dispose ainsi que « Le droit de réponse ou de rectification s’exerce uniquement et strictement dans l’organe ayant publié ou diffusé l’information contestée. Il est interdit à tout organe de publier ou de diffuser un droit de réponse ou de rectification concernant un confrère même contre paiement du demandeur, sous peine de paiement d’une amende de 250 000 à 500 000 francs CFA, et sans préjudice des dommages et intérêts auxquels peut prétendre le confrère. ». Dans ce cas, c’est au confrère, dans l’organe duquel le droit de réponse ou de rectification aurait dû être exercé, qu’appartient le bénéfice de l’action en réparation. En principe, le CSC devrait pouvoir, selon sa procédure de saisine d’office, statuer sur la question, même en l’absence de plainte du confrère.
Pour ma part, je crois que ces situations existent du fait de l’inapplication des textes. Les organes chargés de répondre promptement à une méconnaissance des textes sont parfois débordés ou manquent simplement de politique dans le suivi et la mise en œuvre des textes. Plus grave, c’est l’absence de services juridiques dans les différents organes de presse. Une assistance juridique dans le traitement des données et des informations des différents organes de presse, aurait permis d’éviter à ces organes, de s’exposer le plus souvent à des sanctions dont, on le sait, ont pour conséquences, d’entacher leur crédibilité.
Aujourd’hui, à l’heure du développement du numérique, le public devient de plus en plus exigeant sur la qualité, la spontanéité et la crédibilité de l’information qu’on lui rapporte. Un organe de presse, dont l’objet est essentiellement l’information du public, doit obéir à ces exigences, tant pour sa viabilité que pour sa crédibilité. Or, le traitement de l’information, nécessite beaucoup de prudence, car la frontière entre la liberté d’informer et le respect de la dignité de la personne humaine, peut s’avérer parfois très mince et nécessite, pour ce faire, l’intervention, d’un professionnel, le plus souvent un juriste, pour la déterminer.
Niger Inter : Pourtant les répliques comme le droit de réponse, le rectificatif chroniques contre un média entament sa crédibilité de sorte qu’en France, dit-on, certains patrons de presse préfèrent un arrangement financier pour échapper à un droit de réponse compromettant….
M. AMADOU ADAMOU Bachir: Vous savez, l’exigence du public quant à la qualité de l‘information est si grande, qu’il n’hésitera pas à s’informer lui-même sur les réseaux sociaux et tout autre moyen informel dont il peut disposer. Le risque est que, les informations rapportées sur les réseaux sociaux ne sont pas toujours fiables et peuvent parfois être suscitées par la rumeur. Cette exigence est certainement due à la nécessité, pour le public, de pouvoir distinguer la vraie information de la rumeur.
Selon l’entendement du public, en tant que professionnel de l’information, le journaliste n’a pas une grande marge d’erreur, pour ainsi dire que son droit à l’erreur est très souvent, considérablement réduit. Il est tout à fait compréhensible que le public ne veuille accorder cette marge d’erreur quant on sait qu’une information destinée à un public désormais exigeant, doit répondre à un certain nombre de critères, notamment de vérification et d’investigation. Ce n’est pas par hasard que la presse est considérée comme étant le quatrième pouvoir en démocratie. Car en l’absence de tout contre-pouvoir, elle est la seule qui soit en mesure d’exercer cette mission de manière professionnelle et désintéressée.
Dans les grandes démocraties, le journalisme est souvent considéré comme étant le plus noble des métiers nécessitant pour son exercice, une très grande probité morale. C’est le cas par exemple en France où la loi interdit de mettre en cause l’honnêteté intellectuelle du journaliste, même lorsqu’on estime que ses écrits porteraient atteinte à son honneur ou sa dignité. Il existe pour ce faire certaines voies de recours pour exiger réparation du préjudice subi. Selon l’entendement du législateur français, le journaliste doit pouvoir bénéficier du respect dû à sa fonction. On comprend aisément cette forme de « mise à l’honneur » ou dirai-je tout simplement cette « immunité déguisée», quand on sait le risque que peuvent prendre certains journalistes, parfois au péril de leurs vies, pour informer le public. C’est une forme de reconnaissance au dévouement citoyen, constaté le plus souvent chez le journaliste professionnel, notamment le journaliste d’investigation, les journalistes reporters, les documentaristes…pour ne citer qu’eux.
Face à cette vision que l’opinion se fait du journalisme, il est tout à fait important que l’information qu’il rapporte soit fiable. Elle devra pouvoir dépassée le stade de la simple rumeur et devra faire l’objet du traitement professionnel qu’elle requiert. Un organe de presse qui est connu pour ses publications provocatrices, satiriques et souvent encore au stade de la rumeur ; qui seraient susceptibles de remettre en cause l’honneur ou la réputation d’une personne, est aujourd’hui le plus attractif, mais il n’en demeure pas moins qu’il est le plus souvent l’objet d’attaques de la part des personnes nommées ou désignées. Toute réplique, rectification ou l’exercice d’un droit de réponse, peut leur être fatal, car leur but est d’atteindre un large public, ce qui leur permet de réaliser plus de bénéfice. On comprend donc, la motivation de certains responsables de presse à négocier un arrangement financier pour échapper à ces droits que vous citez.
Niger Inter : Vous avez dit dans un débat : « C’est malheureusement monnaie courante en Afrique pour les responsables politiques d’exercer le droit de réponse sur les médias internationaux et à utiliser la force policière contre les médias locaux ». Comment expliquez-vous ce deux poids, deux mesures ?
M. AMADOU ADAMOU Bachir: Je l’ai dit parce que je suis très révolté de voir le traitement réservé à la presse africaine par les décideurs politiques. Il y a une sorte de mépris, parfois une animosité servile à l’égard des médias locaux. Il est pourtant bien connu que le pouvoir des médias est une force importante qui permet, en principe, dans les démocraties de tenir le peuple informé du fonctionnement des institutions. Qui mieux que le journaliste local est plus prompt à connaître les réalités du terrain sur lequel il exerce ? Lui permettre de travailler dans un environnement propice avec la confiance des décideurs politiques, revient à lui donner le moyen qui lui manquait jusque-là, pour mener, convenablement sa mission, sans risque pour lui d’être arrêté, torturé ou assassiné. C’est inacceptable de constater qu’aujourd’hui encore, en Afrique, le journalisme est un métier à très haut risque, dévalorisé et méprisé des politiques, au lieu de concourir à asseoir une démocratie durable, saine et transparente via une presse responsable et mieux outillé pour s’imposer sur la scène internationale, à cette ère de mondialisation. Malheureusement, force est de constater que, même sur ce terrain, la presse internationale, est en train de s’implanter sur le continent et finira par leur voler la vedette, en les écartant dans le traitement des informations et dans l’accès aux sources. Au départ s’étaient des télévisions comme TV5 ou France 24, des radios comme BBC, Deutsche-Wele, RFI qui occupaient le paysage médiatique africain et depuis peu, on constate curieusement la présence d’une certaine presse écrite. Par exemple, le journal français « Le monde » a ouvert sa filiale africaine : « Le monde Afrique ». Le plus étonnant, ce que ce journal est bien mieux informé que la presse locale qui se nourrit le plus souvent de rumeurs.
En Afrique, les journalistes exercent en général dans des conditions difficiles et leur cadre de travail est le plus souvent peu propice à la réflexion, à l’accès à l’information et même au traitement des données. Cette situation est si évidente, que le secret des sources d’informations n’existe qu’en théorie. Le sort réservé aux journalistes, dissuade certainement les personnes qui auraient pu contribuer par les rangs qu’elles occupent, à une saine information du public, à se résigner, car elles ne disposent d’aucune garantie que le journaliste, puisse par respect à sa déontologie, taire sa source d’information, face à la torture dont il peut éventuellement faire l’objet. Ce qui est malheureusement le cas dans beaucoup de pays africains. On peut tout de même s’en féliciter chez nous, car assurément, le journaliste nigérien bénéficie d’une large marge de liberté et d’un environnement propice à l’exercice de sa profession, malgré les travers constatés parfois chez certains acteurs, qui n’acceptent pas la critique et qui ne se donnent pas du mal à souiller les règles juridiques établies, à travers des actes d’intimidation à l’égard des journalistes.
C’est tout aussi regrettable, de constater que la plupart des autorités africaines, n’utilisent la presse locale qu’à des fins de propagandes politiques et préfèrent, pour des questions sérieuses, touchant le plus souvent la vie de la nation, s’entretenir avec la presse étrangère au point où, aux yeux du public, tout fait rapporté par les médias locaux s’apparente à une simple rumeur qui doit être confirmée par la presse internationale pour être acceptable. Toute cette utopie, est un complexe entretenu par les dirigeants africains, qui, pour la plupart, payent à coup de millions de dollars, des instituts privés de communication, à l’étranger, pour disent-ils, soigner leur image à l’internationale et faire parler d’eux. Pendant ce temps, s’instance une réelle crise de confiance entre les médias et le public.
Niger Inter : Au Niger la presse a acquis la dépénalisation du délit par voie de presse. D’ aucuns pensent que c’est une discrimination positive en faveur des journalistes. Quelle est votre appréciation de cette loi sur la dépénalisation ?
M. AMADOU ADAMOU Bachir : Je n’aime pas vraiment cette expression « discrimination positive » car à mon avis ça ne rime à rien et ne veut rien dire. Une discrimination a toujours pour objectif de distinguer une certaine catégorie sociale ou professionnelle, dans la jouissance d’un droit consacré. C’est pourquoi je préfère l’expression « régime spécial » réservé aux journalistes, pour permettre un développement de leur environnement de travail.
Pour revenir à votre question, la dépénalisation du délit commis par voie de presse, consacrée par l’Ordonnance du 4 juin 2010 portant régime de la liberté de la presse, place assurément le journaliste nigérien, dans un environnement propice à l’exercice de son métier. C’est cette sorte « d’immunité journalistique » qui le met à l’abri de toute intimidation et lui procure une arme d’une puissance redoutable qu’est l’indépendance. Ce qui, devrait permettre une véritable avancée de notre système démocratique. Car une presse libre, suppose une démocratie saine, en bonne santé et en plein essor. C’est pourquoi, dans le combat pour la dépénalisation du délit commis par voie de presse, et connaissant l’attitude peu honorable de certains responsables politiques qui œuvrent inlassablement contre la vérité, beaucoup de nigériens (acteurs de la société civile, syndicats, élus, juristes, enseignants, ONG…) ne sont pas restés en marge. Car de la liberté d’expression, dérivent plusieurs libertés fondamentales telles la liberté de pensée, la liberté de conscience, la liberté d’association…Ces libertés constituent les véritables fondements démocratiques, en d’autres termes, les piliers de la démocratie. C’est à ce souffle nouveau qu’aspirent tous les peuples du monde. Ce n’est donc pas par simple admiration que les Nigériens, à l’instar de tous les peuples du monde, vouent un grand respect pour la profession de journaliste. Comme l’exprimait fort bien Benoîte Groult « Un droit que l’on n’exerce pas est un droit qui meurt. Une liberté dont on oublie le prix est une liberté en péril.»
C’est pourquoi, il convient d’inviter les journalistes à en jouir pleinement de cette liberté pour mieux exercer. C’est la seule façon, de rendre à cette ordonnance tout le mérite qui lui est dû, l’hommage qui devrait normalement lui être rendu. C’est à ce prix que notre démocratie sera honorée et c’est seulement à ce prix qu’au Niger, le journaliste sera perçu comme le véritable « chien de garde de la démocratie. »
Niger Inter : La vie privée du citoyen est protégée par la loi alors selon vous quelle est la frontière entre le privé et le public dans la vie d’une personne publique ?
M. AMADOU ADAMOU Bachir: Cette question est très délicate et a toujours suscité le débat sur les rapports entre la presse et le public médiatisé, notamment les hommes politiques. Ici deux droits semblent se rencontrer et qu’il convient de sauvegarder, l’équilibre entre ces droits est nécessaire. Ainsi, le journaliste est en présence ici d’une situation délicate entre la nécessité pour lui d’informer et le respect de la vie privée d’autrui auquel il est tenu.
Généralement, il est tenu à certaines obligations de contrôle et de vérification de l’information, l’analyse de la publication de façon à exclure chez son auteur, toute intention de nuire à une personne nommée ou désignée. Ce sont des obligations minimums de précautions auxquelles le journaliste est tenu. Mais il appartient au juge d’en établir le tracé de cette frontière. Le plus souvent, dès lors que le journaliste n’a pas manqué à son obligation de vérification, le juge, au nom de la liberté d’expression, accorde une large marge d’intervention au journaliste. On peut donc légitimement affirmé que c’est le droit fondamental à l’information qui prime sur le droit à la vie privée de la personne. Il y a là, une forme de hiérarchie établie par la jurisprudence, au nom de la nécessité démocratique.
Niger Inter : Vous critiquez sur votre profil Facebook l’instrumentalisation des médias publics par le pouvoir. Pourtant depuis le début de notre processus démocratique notre classe politique au pouvoir comme à l’opposition a failli dans la gestion de ces médias. Que faire selon vous pour que le Conseil Supérieur de la Communication (CSC) l’instance habilitée à réguler la communication puisse jouer pleinement son rôle ?
M. AMADOU ADAMOU Bachir : Dans le traitement de l’information qui en est faite, on constate parfois chez beaucoup d’organes de presse une mauvaise foi patente, un parti pris et beaucoup d’amalgames. Des choix éditoriaux et des techniques de montage qui enfreignent toutes les règles de la déontologie journalistique. Cette situation dénote de l’absence de volonté politique pour une réelle indépendance des médias et est révélatrice de la lutte politique persistante pour le contrôle de l’information.
Vous conviendrez bien avec moi qu’aucune véritable démocratie n’est possible sans une saine information. Or, il est clairement établi qu’au Niger, la manipulation de l’information à des fins de propagande prend des proportions de plus en plus inquiétantes. Des journalistes généralistes, sans spécialisation aucune, nous distillent une information parfois dénuée de toute analyse critique, comme si les informations issues des rangs des politiques étaient une vérité universelle qui requiert l’adhésion de tous.
Tenez ! Par exemple, le coup fumant réalisé et entretenu par la télévision nationale a toujours été celui de graver dans l’imaginaire des dirigeants du moment, qu’ils œuvrent sans relâche aux cotés des populations, que le chef de l’Etat est le père bien aimé de la nation, que ses actions sont visibles et saluées de tous, même si en réalité, il n’en est rien parfois. Souvenez-vous de l’épisode « COSIMBA » ou encore le « TAZARTCHE » auréolé par la chaîne de télévision nationale. L’information est entretenue en faveur des autorités en place et l’opposition politique est tenue ostensiblement à l’écart. Les médias publics deviennent alors un patrimoine et profitent exclusivement à un clan politique. Malheureusement, cette situation, semble encore se perpétuer et nécessite une reforme de ce secteur. Et comme je l’ai souligné sur ma page Facebook, la télévision publique n’est pas l’apanage de l’exécutif, elle appartient au public issue de toutes les opinions, qui payent la redevance. Présenter ou soutenir le contraire est une atteinte fondamentale au principe du libre accès aux médias. À mon sens, tout ce qui est important aux yeux de la nation, doit être traité à la télévision publique.
Mais le déséquilibre affiché est bien entretenu par les différents protagonistes politiques, oubliant complètement que ce sont les redevances payées par les citoyens qui contribuent à entretenir le fonctionnement de cette institution qu’est l’ORTN.
Le secteur médiatique nigérien est à reconstruire (tant sous l’angle professionnel et déontologique), car largement marqué par des années de corruption, de peur et de conflits d’intérêts. Pour ce faire, il convient de garantir leur indépendance et à travers eux l’indépendance de l’organe régulateur : le Conseil supérieur de la Communication. Les membres de cet organe devraient être élus par les dirigeants des organes de presse, des journalistes et autres acteurs médiatiques et son budget de fonctionnement doit être inscrit au budget de l’Etat, de façon à garantir leur indépendance vis-à-vis du pouvoir politique. C’est à mon avis, la seule issue favorable à un journalisme citoyen, responsable et essentiellement professionnel.
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Niger Inter : Au Niger il est établi par certaines structures de défense de la liberté de la presse la légèreté voire l’irresponsabilité des journalistes dans le traitement de l’information de sorte qu’on a même assisté à une situation sous le régime actuel où notre pays a reculé en matière de liberté de presse du fait des hommes de médias. Quelle est votre perception du traitement de l’information par la presse nationale ?
M. AMADOU ADAMOU Bachir : Le Niger est un des rares pays du continent où la presse privée s’est développée de manière importante ces cinq dernières années. Généralement, les télévisions sont couplées avec des stations de radio dont elles constituent une extension et auxquelles elles empruntent leurs animateurs. Leur programmation est de faible qualité technique et professionnelle, la plupart d’entre elles ne disposant pas de moyens suffisants pour assurer leurs propres productions, restant très dépendantes d’émissions offertes par l’extérieur.
Les médias au Niger manquent de ressources, le marché publicitaire demeurant restreint dans un pays troublé et dominé par l’économie informelle. Outre les grandes industries brassicoles, les entreprises de téléphonie mobile sont les seules à investir dans la promotion de leurs produits. Dès lors, les médias privés fonctionnent souvent, faute de moyens, grâce au bricolage (technique, humain et financier) et n’ont guère de perspectives d’évolution. La plupart d’entre elles sont proches d’hommes politiques et de milieux d’affaires.
Aujourd’hui, le journaliste, pour subsister, doit s’adapter à tous les supports qui s’offrent à lui et ne doit surtout pas laisser de côté les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Certains journalistes nigériens ont compris cela autrement. C’est ainsi qu’ils pensent que leurs moyens de subsistance ne dépendraient que du langage élogieux entretenu à la faveur de certaines personnalités ou parfois en se servant de leur plume pour dénigrer et critiquer des personnalités publiques au grand bonheur de quelques adversaires qui n’hésiteront pas à mettre la main dans la poche. En témoigne fortement les multiples légèretés notoires constatées dans la façon de présenter certaines situations au public qui attend d’être informé sur des faits qui émanent des sources sûres. Certains articles de presse nous donnent aujourd’hui l’impression d’une épopée ou d’un véritable conte de fée. Comment peut-on en effet donner du crédit à une information dans laquelle aucune source ne semble à l’évidence? Comment peut-on prétendre informer un public sur des suppositions absurdes? Comment respecter un journaliste qui attend toujours d’être appelé pour un pot de vin après une publication? Pourtant, c’est le quotidien de bon nombre de nos concitoyens qui, du fait de la dépénalisation du délit de presse, semble mettre à mal la profession au détriment de la déontologie et de l’éthique qui encadrent ce noble métier.
En 2012, selon le classement mondial de Reporters sans Frontières, le Niger était le 29e Etat où le journaliste peut s’épanouir du fait de la liberté dont il jouit devant les Etats Unis (47e) et la France (68e). Mais en 2013, c’est sous la stupéfaction générale, que le Niger dégringola de 14 rangs en se plaçant à la 43e position. Tout comme en 2014, la raison de ce recul s’explique du fait de »… l’irresponsabilité de quelques journalistes tentés d’abuser de la liberté qui leur est accordée ». Un état de fait qui vient une fois de plus interpeller l’ensemble de la presse nationale, clairement indexée comme étant la cause du problème.
Il sied impérativement d’assainir la profession et ses pratiques afin d’asseoir durablement l’indépendance des journalistes, dans un monde où le chantage à la publication, les connivences avec le pouvoir politique et l’absence de limite claire entre information et publication commerciale ne sont pas anecdotiques. Il est proprement décevant, de réaliser que dans le cas du Niger, le véritable prédateur de la liberté de la presse, ce n’est plus toujours l’homme politique, mais parfois aussi le journaliste lui-même.
Niger Inter : L’ancien président américain Thomas Jefferson disait : « Puisque l’opinion du peuple constitue le fondement de notre gouvernement, notre premier objectif devrait être de bien l’informer ; et si je devais choisir entre un gouvernement sans journaux ou des journaux sans gouvernement, je retiendrais sans hésiter la seconde solution ». Avec les réseaux ou médias sociaux aujourd’hui on se rend compte de l’exigence de l’opinion publique de la transparence dans la gouvernance sur toute la ligne. Mais le revers de la médaille c’est que ces médias sociaux échappent à tout contrôle et peuvent encourir des périls graves pour le pays. N’est-ce pas que trop de liberté tue la liberté ?
M. AMADOU ADAMOU Bachir : De la même façon que les forces de défense et de sécurité assurent notre quiétude, de même que le médecin soigne son malade pour garantir sa santé, de même, le journaliste a le devoir de garantir une démocratie exempte de tares et d’incongruités à un peuple. Aucune véritable démocratie n’est possible sans une saine information. Le journaliste détient la magie de l’analyse, la force des arguments et le pouvoir des mots pour relater et distiller facilement des faits. Il ne doit pas perdre de vue cette responsabilité qui lui incombe.
Depuis que les médias sont apparus comme des rouages importants du processus de libéralisation de la vie publique, les journalistes sont devenus des acteurs de premier plan de cette histoire encore en train de s’écrire chez nous. Ils ont acquis un pouvoir relatif qui les place sur le devant de la scène. Quand leur travail est apprécié, ils sont célébrés et récompensés ; lorsqu’il est jugé préjudiciable aux intérêts que les uns et les autres défendent et selon la nature du préjudice, des individus, des groupes ou des institutions n’hésitent pas à exercer des représailles à leur encontre.
Ainsi, dans la nouvelle guerre idéologique qu’impose la mondialisation, les médias sont utilisés comme une arme de combat. L’information, en raison de son explosion, de sa multiplication, de sa surabondance, se trouve littéralement contaminée, empoisonnée par toute sorte de mensonges, polluée par les rumeurs, par les déformations, les distorsions, les manipulations. Elle nous empoisonne l’esprit, nous pollue le cerveau, nous manipule, nous intoxique, elle tente d’instiller dans notre inconscient des idées qui ne sont pas les nôtres. C’est pourquoi il est nécessaire d’élaborer ce qu’Ignacio Ramonet qualifiait d’ « écologie de l’information».
Dès lors, un devoir de vigilance s’impose à tous! Les médias et les réseaux sociaux peuvent aussi être des instruments de manipulation et d’attisement de la haine et même de la guerre. La radio a été savamment utilisée en ce sens au Rwanda pour commettre le plus ignoble fratricide et en Allemagne par le régime nazi. C’est pourquoi, lorsque l’information est désobligeante, elle doit être censurée, car la liberté d’expression n’est assurément pas la liberté de tout dire. Celle-ci prend fin dès lors qu’elle atteint la frontière d’une autre liberté : celle d’autrui. Mais je pense que nous devrons tous œuvrer pour une meilleure prise en compte de l’information.
C’est le sens de la pensée de Jospeh Pullitzer lorsqu’il écrit qu’« Une presse compétente, désintéressée, dévouée à la chose publique, intelligente, exercée à discerner le bien et ayant le courage de le faire peut préserver la morale publique sans laquelle un gouvernement populaire est une imposture et une parodie. Une presse cynique, mercenaire et démagogue finira par produire une population aussi vile qu’elle-même. Le pouvoir de façonner l’avenir de la République sera entre les mains des journalistes des générations à venir ».
Niger Inter : merci de nous avoir accordé cet entretien
M. AMADOU ADAMOU Bachir : Je vous remercie très sincèrement de m’avoir permis de m’exprimer sur un sujet aussi intéressant que celui relatif du droit de réponse. Je souhaite également profiter de votre tribune pour souhaiter une très bonne fête d’indépendance à tous mes compatriotes nigériens.
Réalisée par Elh. Mahamadou Souleymane