La nouvelle était tombée, comme un couperet, en milieu de semaine dernière, le Ministre des Finances, le vénérable Gilles Baillet a été limogé de ses fonctions d’argentier national. Nommé après le limogeage du Ministre Ouhoumoudou suite à l’affaire de l’autorisation du fameux marché de l’Equipement attribué à l’entrepreneur-député Amadou Oumarou Maïnassara, en 2012, Gilles Baillet aura tenu plus de deux ans à la tête d’un ministère réputé difficile à gérer, tant ce département ministériel suscite beaucoup de convoitises.
Fiscaliste de formation, on peut dire que le Vieux Gilles était chez lui aux finances, un ministère qu’il connaît donc comme les cinq doigts de sa main. Nourri à la vieille école de l’orthodoxie budgétaire, il considérait les finances publiques comme profondément sacrées et sur lesquelles tout agent de l’Etat, mieux tout citoyen, devrait veiller avec la plus grande attention qui soit. Austère et d’une grande probité morale, il avait voulu instaurer une culture de l’orthodoxie budgétaire aussi bien au Ministère des Finances que dans toutes les entités publiques par une réorganisation de la chaîne de dépenses avec la création de nouvelles règles de contrôle de la dépense publique, dont notamment la fameuse ARF (Attestation de Régularité Fiscale) qui a fait beaucoup jaser dans les milieux d’affaires. Sous son magistère, sans doute, les finances publiques se sont beaucoup améliorées, les traditionnels scandales financiers ayant quasiment disparu de la circulation !
Cependant, le malheur du Vieux Gilles serait peut- être de s’être trompé d’époque, car les valeurs d’orthodoxie et de droiture morale qu’il prône détonent fortement dans ce Niger contemporain où servir loyalement son pays est devenu une qualité en voie de disparition que les rares citoyens qui le font paraissent anachroniques, voire venus d’une autre planète. Gilles Baillet aurait peut-être oublié que le contexte politique a profondément changé au Niger ces 25 dernières années. Aux régimes d’exception qu’avaient connu le pays dans la décennie 70 et 80 a succédé le règne démocratique. Or, si dans un régime d’exception, seule la confiance du Chef suffisait à un cadre pour s’éterniser à un poste de responsabilité, en revanche, dans une démocratie populaire comme la nôtre, en plus de la confiance du Chef, il faut également une bonne dose de finesse politique et de sens du compromis pour ne pas tomber dans l’antipathie totale. Or, visiblement, le Ministre Baillet s’est trompé d’un train en estimant qu’il pouvait se passer de cette réalité incontournable.
Le second point qui explique également son départ, c’est qu’en plus de son ignorance de la forte politisation de la société nigérienne, le pays est aussi profondément syndicalisé. En voulant s’attaquer à la suppression de certains privilèges de droit ou de fait accordés aux agents de certaines régies financières, le Ministre Gilles Baillet était sûrement allé trop loin dans son intransigeance. Dans cette posture inconciliable, il avait réussi le tour de force de cristalliser, inutilement, toutes les rancœurs et toutes les frustrations des agents de la Direction Générale des Impôts (DGI), la plus grande pourvoyeuse de recettes fiscales au Niger. En plus de cette grogne syndicale, des mécontentements sont observés au niveau de certaines entités publiques dont les budgets de fonctionnement ont toutes les peines du monde à être exécutés correctement du fait des blocages des crédits au Trésor.
En outre, les opérateurs économiques ne sont point en reste dans ce mécontentement général, lorsqu’ayant fourni leurs prestations, ils ont beaucoup de peines à se faire payer au Trésor du fait des lourdeurs et des lenteurs dans la chaîne de la dépense publique. Voilà succinctement, les principaux griefs qui ont eu raison du Ministre Gilles Baillet au Ministère des finances, pour n’avoir pas su avoir du tact politique afin de mieux appréhender les enjeux majeurs de cette époque contemporaine. Au demeurant, il faut, néanmoins, reconnaitre que le monsieur fut un excellent gestionnaire des deniers de l’Etat, mais un piètre politique. Or en démocratie, la compétence doit s’allier au sens politique.
Zak
ECHOS DU NIGER N° 02 – DU 10 JUIN 2015