Originaire de la Tribu des Kinana, Aisha était née environ 9 années avant l’Hégire, alors que la Révélation avait débuté depuis environ 3 ans. Elle était la fille d’Abû Bakr, ami fidèle et Compagnon le plus proche du Prophète qu’on appelait «As-Siddîq » (le véridique). C’est en compagnie de celui-ci que le Prophète accomplit l’Hégire vers Médine. Abu Bakr était marchand de vêtements à la Mecque.
La mère de Aisha, Um Rummân, était la fille de Umayr ibn Amr. Elle fut – avec son époux – parmi les premiers musulmans dès la première année de la Révélation et connut toutes les persécutions menées contre les fidèles de la nouvelle religion. Elle fut très active aux côtés de son époux et le Prophète lui annonça qu’elle aurait une place au Paradis. Elle mourut avant la disparition de l’Envoyé d’Allah et ce fut lui qui la déposa dans sa tombe. Aisha nous a rapporté : « Je n’ai pas connu mon père et ma mère autrement que pratiquant la religion musulmane. »
Outre son frère ‘Abdallah, Aisha avait une demi-sœur, Asmâ, fille d’Abû Bakr.
En ce qui concerne le mariage du Prophète avec Aisha , on nous rapporte que l’Envoyé d’Allah vit en rêve l’Ange Gabriel lui présenter un morceau d’étoffe dans lequel quelque chose était enveloppé.
Le Prophète lui demanda : « Qu’est-ce ? » et l’Ange Gabriel lui répondit : « Ta femme ! » En soulevant un coin de l’étoffe, il découvrit la jeune Aisha . Ce message lui parvint comme un ordre divin. Il se rendit donc chez son ami Abu Bakr pour lui demander la main de sa fille, que ce dernier lui accorda avec joie. On situe cet événement aux alentours de l’an 3 avant l’Hégire (620 ap. J. C.).
Aisha avait déjà été demandée en mariage par une famille de polythéistes, mais ceux-ci se mirent à craindre qu’en mariant leur fils avec Aisha , il n’embrasse également la nouvelle religion et abandonne leurs traditions. Ils furent donc extrêmement contents lorsqu’une opportunité leur permit de renoncer à cette union. […]
Le jour où elle entra dans la Maison du Prophète , les choses se déroulèrent avec la plus grande simplicité, le repas de noces également. Ce jour-là, il n’y avait dans la maison qu’un bol de lait. L’Envoyé d’Allah en but une gorgée, donna le bol à Aisha qui en but également une gorgée, ainsi que les quelques autres personnes présentes. On était au mois de Shawwâl.
Aisha fut installée dans son appartement dont l’unique porte donnait sur la mosquée et fermait par un simple rideau. Le mobilier consistait en un matelas, un oreiller de fibres de dattiers, un tapis, deux jarres, l’une pour les dattes, l’autre pour la farine, ainsi qu’une cruche pour l’eau et un bol. Il y avait aussi une lampe à huile, qui, faute d’huile, ne fonctionnait pas souvent. Nous avons vu que le mobilier de chacune pouvait être différent en raison de ce qu’elles avaient apporté avec elles ou reçu en cadeau de leurs familles.
C’est la seule femme vierge que le Prophète épousa, toutes les autres Épouses avaient été déjà mariées et étaient devenues veuves. On nous rapporte que Aisha était jolie. Dinet écrit qu’elle était gracieuse, très spirituelle et instruite. Plus tard, Aisha devait dire que parmi les Épouses, certaines étaient plus belles, en particulier Zaynab, Juwayriya et Safiya (Qu’Allah soit satisfait d’elles).
Nous savons que Aisha fut, après Khadîja , l’Épouse préférée du Prophète . Mais elle n’était pas la « préférée » pour sa seule beauté, ni sa jeunesse, mais plutôt pour son intelligence et la vivacité de son esprit. Aisha a été choisie par « destin d’Allah » ; Allah est Le plus Savant ! Sa jeunesse était précisément un atout majeur pour la mission qu’elle allait devoir remplir tout au long de sa vie, comme nous le verrons plus loin.
On nous rapporte qu’un Compagnon posa la question au Prophète : « Qui aimez-vous le plus ? » – « Aisha, répondit-il » – « Pour les hommes, précisa-t-il. » – « Le père de Aisha ! » – « Et après lui ? » – « ‘Umar ibn Al-Khattâb. » Puis, il énuméra d’autres personnages.» [Rapporté par Bukhârî]
II avait besoin d’une femme jeune, intelligente et enthousiaste, capable d’assimiler et d’interpréter les lois de l’islam auprès des femmes. Or, dès sa plus petite enfance, elle voyait le Prophète pratiquement chaque jour, lorsqu’il rendait visite à son ami Abu Bakr, dans sa maison, lui transmettant, au fur et à mesure, les versets du Coran qui lui étaient révélés par l’Ange Gabriel. Ils évoquaient également ensemble les différents événements concernant la Communauté des musulmans. Elle était vive et intelligente, nous l’avons dit, et elle apprit donc, dès son jeune âge, de la bouche même du Prophète , au fur et à mesure de la Révélation et des événements, tant avant qu’après son mariage, tout ce qu’elle devait savoir pour la mission d’enseignante qui allait lui incomber tout au long de sa vie.
Elle avait les qualités requises et, en raison de sa jeunesse qui la rendait assez perméable, elle était davantage susceptible de recevoir et de retenir, pour ensuite retransmettre les enseignements de l’islam. Elle était encore jeune au moment de l’Hégire. Cependant, chacun était unanime à dire que nul ne pouvait mieux raconter tous les détails de l’Émigration, même plusieurs années après. Toute jeune fille qu’elle était alors, elle participa avec sa sœur Asmâ aux préparatifs secrets destinés au voyage du Prophète et de son père Abu Bakr. Plus tard, lorsqu’elle fut entrée dans la Maison de l’Envoyé de Dieu, son éducation se poursuivit.
Dès qu’il rentrait, elle lui posait des questions. Lorsqu’il parlait aux gens dans la mosquée, elle se tenait auprès de la porte de son appartement, écoutant ce qu’il disait afin de profiter de son enseignement. C’est notamment par le fait de toutes les questions qu’elle posait à l’Envoyé d’Allah que nous sont parvenus bon nombre d’enseignements et de traditions.
Il nous a été rapporté que son savoir était égal à celui de tous les Compagnons et des Mères des Croyants réunis. Cela est facile à expliquer : elle était presque toujours présente lors des entretiens que le Prophète avait avec les Compagnons lorsqu’il leur transmettait la signification du message divin. Elle le voyait vivre au quotidien et rien de ce qu’il disait ou faisait ne lui échappait.
Ibn Abu Hurayra nous rapporte que :
« Aïsha, épouse du Prophète, n’entendait jamais une chose qu’elle ne comprenait pas, sans revenir à la charge auprès de lui, jusqu’à ce qu’elle l’eût bien saisie. » [Rapporté par Bukhârî]
Elle est reconnue pour avoir été l’une des plus grandes juristes de son époque. Elle avait, en outre, un goût développé pour les lettres et se distingua dans la poésie. Nous devons à l’insatiable curiosité de Aisha , des enseignements sur les sujets les plus divers. En voici quelques exemples :
– A la suite de la question sur le jihâd : « Ne pourrions-nous pas la faire ? » « Non, lui répondit le Prophète, le jihâd la plus méritoire pour vous les femmes, c’est un pèlerinage pieusement accompli » [Rapporté par Bukhârî] Ou selon une autre version : « Votre jihâd, c’est le pèlerinage ! »
– Le consentement obligatoire de la future épouse à son mariage. « La vierge a honte » avait fait remarquer Aisha . Le Prophète avait alors précisé : « Son consentement vaut par son silence. » [Rapporté par Bukhârî]
Nous verrons que de nombreux événements furent générateurs d’enseignements importants à la fois pour les femmes et pour l’ensemble des musulmans.
Aisha connaissait la généalogie et l’histoire de toutes les tribus de l’Arabie préislamique, ce qui était très important pour la « stratégie » que le Prophète dut mettre en place, afin que la Communauté puisse nouer des alliances avec les unes et les autres. Et nous constaterons que plusieurs des mariages du Prophète participèrent à ces rapprochements.
Aisha passe encore pour avoir eu de bonnes connaissances en médecine. Il semble qu’elle ait acquis ce savoir en particulier lors de la maladie du Prophète , alors que de nombreuses délégations se sont succédées à son chevet, en provenance de toutes les régions de l’Arabie, pour tenter de le délivrer de son mal, en lui prescrivant des médicaments que Aisha se chargeait elle-même de préparer.
On nous rapporte aussi à son sujet qu’elle participa, avec certaines des Épouses et d’autres femmes parmi les premières musulmanes, à plusieurs des campagnes militaires qui eurent lieu, notamment à Uhud, à la Guerre du Fossé, où les femmes apportèrent leur participation active en soignant les blessés et donnant à boire aux combattants. Le hadîth rapporté par Anas en témoigne :
« Je vis Aisha et Um Salama, les vêtements retroussés au point que je pouvais apercevoir le bas de leurs jambes, bondir avec les outres sur le dos et les vider dans la bouche de la troupe. Ensuite, elles venaient remplir leurs outres et retournaient à nouveau les vider dans la bouche de la troupe. » [Rapporté par Bukhârî]
Nous savons qu’il y eut des femmes musulmanes à toutes les campagnes militaires, sauf la première, à Badr. […]
On signale que du vivant de l’Envoyé d’Allah , on comptait déjà 20 femmes juristes parmi les Compagnons. C’est dire l’importance du savoir pour tous les musulmans, y compris les femmes.
« La recherche du savoir est une obligation pour chaque musulman. »
[Rapporté par Bukhârî et Ibn Mâja]
Mais revenons à Aisha pour dire que nous lui sommes redevables d’un grand nombre de ahadith (environ 2.200). À ce propos, le Prophète a dit : « Aisha est la moitié de la religion ».
Le rôle de Aisha au sein de la famille du Prophète fut des plus important. Aisha fut, nous l’avons déjà dit, après Khadîja , l’Épouse préférée du Prophète. Anas ibn Malik a rapporté que le Prophète a dit : « La supériorité de Aisha sur les autres musulmanes est comme celle du tsarîd sur les autres mets. » II s’agissait du plat que préférait le Prophète.
De nombreux événements ont marqué la vie conjugale du Prophète.
Aisha était assez spontanée… ce qui provoquait parfois quelques incidents ; mais ceux-ci furent autant d’enseignements donnés aux musulmans, soit que la révélation d’un verset, soit qu’une parole ou un acte du Prophète soient parvenus aux musulmans avec, pour objectif essentiel, de les instruire dans leur religion en leur montrant la solution en fonction des circonstances. Nous relaterons ci-après ceux des événements qui semblent les plus marquants du point de vue des bienfaits apportés à la Communauté, événement liés à la présence de Aisha dans la maison de l’Envoyé d’Allah .
1 – L’affaire de la calomnie
L’affaire se situe en l’an 5 de l’Hégire. Aisha doit avoir autour de 14 ou 15 ans. Cet incident eut un caractère plus grave que tous ceux qui émaillèrent la vie de Aisha. Il survint après la révélation concernant le port du voile. Lorsque l’une des Épouses voyageait avec le Prophète , on descendait son palanquin de son chameau au moment des haltes. Ainsi, lorsqu’elle avait besoin de s’isoler un moment, elle le faisait de façon discrète, en s’éloignant du camp.
Il arriva donc, lors d’une halte, au retour de la campagne victorieuse menée contre la tribu des Banul Mustaliq, tandis que Aisha avait quitté son palanquin, que le Prophète donna le signal du départ et le palanquin de celle-ci fut remit sur le chameau. Compte tenu de sa légèreté, personne ne s’aperçut qu’elle n’était pas à l’intérieur, et la caravane reprit la route sans elle. Lorsqu’elle revint au camp, elle ne trouva plus personne ; sans s’affoler, convaincue qu’on s’apercevrait rapidement de son absence et qu’on reviendrait la chercher, elle demeura sur place et s’endormit.
Au petit matin, c’est un membre de la caravane, Safwân (dont la mère était la tante maternelle d’Abû Bakr), qui la trouva ainsi endormie. Il avait marché toute la nuit (il était chargé d’assurer l’arrière-garde afin de récupérer les retardataires ou encore les objets perdus). Il l’appela, puis la reconnaissant, la fit monter sur son chameau et la ramena en tenant l’animal par la bride, à marche forcée, pour rejoindre la caravane au moment où celle-ci faisait une nouvelle halte.
Cet incident – qui se situe après la révélation sur le voile – n’aurait pas eu d’autres suites si la jalousie n’avait habité le cœur de quelques personnes, les unes à l’égard de Aisha , les autres à l’égard de Safwân. Le voyage se termina sans que rien ne survienne. Arrivée à Médine, Aisha tomba malade pendant un mois. Elle n’imaginait pas qu’elle et Safwân étaient l’objet d’une telle « affaire ».
Le Prophète venait d’épouser Juwayriya , fille du chef de la tribu des Banul Mustaliq et ne se doutait pas non plus de ce qui se tramait. C’est pourtant à ce moment que débuta la calomnie contre Aisha et Safwân. Ce que le Prophète finit par savoir. Aisha s’étonnait de ce que l’Envoyé d’Allah ne s’attarde guère auprès d’elle alors qu’elle était malade. Il prenait de ses nouvelles et repartait, sans rester pour bavarder avec elle selon son habitude. Elle n’apprit les rumeurs calomnieuses dont elle était l’objet qu’après être rétablie, de la bouche de Um Mistah, mère d’un des auteurs de la rumeur.
Aisha en fut abasourdie et tomba de nouveau malade. Elle demanda au Prophète la permission de se rendre chez ses parents, afin de s’assurer auprès d’eux de ce qu’elle venait d’apprendre. Elle interrogea sa mère ; Um Ruman lui confirma la rumeur qui circulait, mais tenta de la réconforter en lui disant de ne pas trop attacher d’importance à ces commérages, […].
Aisha , au lieu d’être réconfortée ou rassurée, pleura abondamment. On nous dit même qu’elle se serait évanouie.
Mais, contrairement à ce que pensait sa mère, aucune des Mères des Croyants (Qu’Allah soit satisfait d’elles) ne prit part à ces rumeurs. Il s’agissait de femmes pieuses et dignes, et, quelque motif de jalousie qu’elles auraient pu avoir, aucune ne contribua à colporter ces bruits. Bien au contraire, elles parlaient toutes en faveur de Aisha.
Par contre, Hamna, la sœur de Zaynab bint Jahsh, une des Épouses, participa à la calomnie, espérant discréditer Aisha au profit de Zaynab , aux yeux du Prophète . Mais Zaynab ignorait tout. On nous rapporte même que, comme les autres Épouses, le Prophète l’interrogea sur ce qu’elle savait. Elle avait répondu :
« Ô Envoyé d’Allah ! Je respecte mes yeux et mes oreilles. Je ne sais que du bien. » Et aisha ajouta : «Zaynab était la seule des Épouses qui fut sur un pied d’égalité avec moi. Allah la préserva à cause de sa réserve. Sa soeur se mit alors à lui être également hostile. » [Rapporté par Bukhârî]
En réalité, la calomnie avait pris naissance par un certain Ibn Ubbay et quelques autres « hypocrites », puis fut reprise et propagée par Mista (pour se venger d’un différend entre lui et Abu Bakr) et par le poète, Hassan Ibn Thâbit (qui avait un grief contre Safwân), et enfin, Hamna, sœur de Zaynab, dont nous venons de parler.
Aisha fut ramenée chez elle par ses parents. Elle ne cessait de pleurer et espérait être innocentée.
De son côté, le Prophète n’avait pas le moindre doute quant à l’innocence de sa jeune épouse et de Safwân mais il ne pouvait l’innocenter uniquement parce que sa conviction était faite. Il attendait de recevoir la preuve de cette innocence et comme celle-ci tardait, il interrogeait les autres Épouses et ses proches. Tous disaient la même chose :
« Cela n’est que mensonges. Nous ne connaissons de Aisha que du bien. » [Rapporté par Bukhârî]
Parmi les Compagnons, il interrogea également ‘Ali ibn Abu Tâlib et Usâma ibn Zayd. Usâma, certain qu’elle était innocente également, conseilla :
« Garde ton épouse. Nous ne savons que du bien d’elle. » Quant à ‘Ali, il lui répondit : « Ô Envoyé d’Allah, Allah n’a pas voulu te contrarier. Il y a en dehors d’elle beaucoup d’autres femmes. Interroge sa servante, elle te dira la vérité ! » [Rapporté par Bukhârî]
Cette réponse, un peu ambiguë, blessa Aisha qui s’en souvint longtemps après. Mais nous le verrons plus loin.
Le Prophète interrogea aussi la servante de Aisha , Barîra, qui répondit : « J’en jure par Celui qui t’a envoyé, je n’ai jamais rien vu de répréhensible, sinon qu’étant une toute jeune femme, il lui arrive parfois de s’endormir auprès du dîner de son mari et de laisser manger sa pitance par le mouton familier de la maison ! »
Le Prophète résolut d’évoquer publiquement cette affaire en s’adressant aux fidèles. Il leur tint à peu près ce langage:
« O Gens ! Que vous semble-t-il de ceux qui m’offensent au travers des membres de ma famille en répandant sur eux de faux bruits ? Par Allah, je ne connais que du bien des gens de ma maison et que du bien de l’homme dont ils parlent, qui n’est jamais entré dans l’une de mes maisons sans que je sois avec lui. » [Rapporté par Bukhârî]
II s’ensuivit même une altercation entre plusieurs personnes, et le Prophète dut ramener le calme entre eux. Aisha ignorait alors que le Prophète Muhammad l’avait ainsi publiquement défendue ; cependant, cela l’eut bien réconfortée. Elle continuait de pleurer tout en plaçant sa confiance en Allah. Il ne suffisait évidemment pas que le Prophète et quelques autres personnes soient convaincus de l’innocence de Aisha et Safwân pour que tout rentre dans l’ordre ; il fallait une preuve et celle-ci tardait à se manifester !
C’est par les épreuves auxquelles II soumet les Croyants qu’Allah élève leur foi. Il y a là, pour tout musulman, de quoi méditer sur le fait que la confiance en Dieu est essentielle dans les moments difficiles de l’existence.
Un mois s’était écoulé depuis le début de l’affaire. Un jour, alors que ses parents étaient près d’elle, ainsi qu’une femme des Ansar venue la réconforter, Aisha vit le Prophète entrer chez elle. Il la salua et s’assit, ce qu’il n’avait pas fait depuis le début de sa maladie.
Bukhârî nous rapporte que le Prophète prononça la shahâda, puis s’adressa à elle en ces termes :
« O ‘Aïsha, il m’est parvenu telle ou telle chose sur ton compte ; si tu es innocente, Allah te justifiera ; si tu as commis quelque faute, demande pardon à Allah et reviens à Lui. Le fidèle qui reconnaît ses fautes et qui revient à Allah, Allah revient à lui. »
À peine avait-il achevé de parler qu’elle cessa de pleurer et, s’adressant à son père, le pria : « Réponds à l’Envoyé d’Allah pour moi ! » Abu Bakr lui dit alors : « Je ne sais pas quoi lui dire ! » Elle adressa la même demande à sa mère, qui lui fit la même réponse. Alors, s’adressant elle-même au Prophète , elle lui dit :
« Je sais que vous avez entendu ce que les gens disent ; cela est entré dans vos âmes et vous y ajoutez foi. Si je vous dis que je suis innocente – et Allah sait que je suis innocente – vous ne me croirez pas. Mais, si je vous avouais que j’ai commis ce dont Allah sait que je suis innocente, vous me croiriez. Je vous dirai donc ce qu’a dit le père de Joseph :
{ La résignation est une belle chose et Dieu me viendra en aide contre ce que vous avez raconté.}
[Sourate 12 – Verset 18]
II s’agit-là des paroles de Jacob à ses fils venus lui annoncer la mort de Joseph, alors qu’ils s’étaient mis d’accord entre eux pour le jeter dans un puits.
Après cette réponse, Aisha retourna s’allonger sur son lit tandis que le Prophète prolongeait sa visite, avec ses parents. Et, tandis qu’il était encore là, il reçut la révélation qui innocentait enfin Aisha :
« Oui, ceux qui sont venus avec la calomnie, c’est tout une bande des vôtres. Ne la comptez pas pour un mal, au contraire, cela vous est un bien. À chacun d’eux ce qu’il gagne comme péché. À celui, cependant, qui se charge de la part la plus grande parmi eux, un énorme châtiment.
Pourquoi, lorsque vous l’avez entendue (la calomnie), Croyants et Croyantes, n’avez-vous pas pensé à bien en vous-mêmes et n’avez-vous pas dit : « C’est une calomnie évidente. »
Pourquoi les autres ne produisent-ils pas quatre témoins ? Alors, s’ils ne produisent pas de témoins, ce sont eux auprès de Dieu les menteurs. Et n’étaient la Grâce de Dieu sur vous, et Sa miséricorde ici-bas comme dans l’au-delà, un énorme châtiment vous aurait touchés pour ce que vous avez lancé.
Quand vous receviez sur vos langues et disiez de vos bouches ce dont vous n’aviez aucune science, et vous le comptiez pour rien, alors que – auprès de Dieu – c’était énorme.
Et pourquoi ne disiez-vous pas, lorsque vous l’entendiez : Qu’avons-nous à en parler ?
Pureté à Toi ! C’est une énorme calomnie !
Dieu vous exhorte à ne plus jamais répéter une chose pareille si vous êtes Croyants. Et Dieu vous expose les signes. Dieu, cependant, est Savant et Sage. » [Sourate 24 – Versets 11-18]
Le Prophète redevint souriant et annonça à Aisha : « Ô ‘Aïsha ! Allah te déclare innocente ! »
Ses parents, toujours présents, lui conseillèrent : « Va vers lui et sois-lui reconnaissante. » Mais elle leur répondit : « Je n’irai pas à lui et c’est Allah Seul que je vais louer. » Comme on le voit, malgré son jeune âge, Aisha avait du caractère et une forte personnalité.
Mais nous devons ici constater que la révélation de ces versets fut un grand bien pour la Communauté des musulmans ; ces versets, en effet, interdisent toute supputation sur la conduite d’une femme et il interdit de porter atteinte à qui que ce soit en l’accusant d’adultère, à moins de pouvoir présenter le témoignage de quatre personnes de bonne foi.
2 – L’ablution sèche (Tayamûm)
Aisha et Um Salama avaient accompagné l’Envoyé d’Allah lors d’une expédition. La troupe avait fait une halte au moment de la prière du soir et s’apprêtait à repartir lorsque Aisha s’aperçut qu’elle avait perdu le collier d’onyx qu’elle portait. Selon une version, il lui avait été offert par sa mère le jour de son mariage, selon une autre version, il lui avait été prêté par l’une des Mères des Croyants. On le chercha, en vain.
Le Prophète fit établir le camp pour la nuit. Mais il n’y avait pas d’eau à cet endroit. Les Compagnons se plaignirent à Abu Bakr de la futilité du motif qui les obligeait à passer la nuit dans cet endroit, les privant de l’eau nécessaire à leurs ablutions.
Abu Bakr vint faire des reproches à sa fille et lui dit : « Tu crées constamment des problèmes… » Vers la fin de la nuit, le Prophète reçut une révélation qui institua l’ablution sèche (tayamûm).
[…] Si vous êtes malades ou en voyage, ou si l’un de vous revient d’un endroit où il a fait ses besoins, ou si vous avez approché vos femmes et que vous ne trouviez pas d’eau, faites ablution sèche en touchant une terre pure. Essuyez votre face et vos mains. Dieu est certes Pardonneur et Miséricordieux. [Sourate 4 – Verset 43]
Du coup, toute la troupe se réjouit alors et dit : « Ô Famille d’Abû Bakr ! Ce n’est pas votre premier don à l’Islam. »
Abu Bakr – qui était bien fâché contre sa fille – vint lui dire : « Je n’imaginais pas que tu puisses être la source d’une telle bénédiction pour les musulmans. Grâce à toi, les gens se sont vus accorder une grande facilité. »
Un autre hadîth nous rapporte que Usayd ibn Hudayr vint dire à Aisha :
« Allah te récompense en bien ! Car, par Dieu, il ne t’est jamais arrivé une chose déplaisante sans qu’Allah n’en ait fait quelque chose de bon pour toi et tous les musulmans. » [Rapporté par Bukhârî]
N’oublions pas que le moindre des déplacements dans cette région avait lieu dans le désert et les points d’eau étaient souvent éloignés les uns des autres, ce qui ne rendait pas les voyages faciles ! D’ailleurs, à propos de cette remarque, Abu Hurayraa rapporté que le Prophète a dit :
« Le voyage est un des aspects de la torture où le voyageur s’empêche de dormir, de manger et de boire. Lorsque vous avez terminé vos affaires, hâtez-vous de retourner dans votre famille. » [Rapporté par Bukhârî]
Cet événement eut donc une incidence bénéfique pour tous les musulmans qui, jusqu’à nos jours, utilisent ce moyen lorsqu’ils se trouvent dans des circonstances où ils n’ont pas d’eau. Puis, comme pour bien souligner que cet incident avait essentiellement valeur d’enseignement, le collier fut retrouvé sous le chameau de Aisha au moment où il se releva !
3 – L’affaire du pot de miel
Le Prophète s’attardait depuis quelque temps chez Hafsa , l’une des Épouses, qui lui donnait à boire du miel qu’elle avait reçu, ce qu’il appréciait particulièrement. Nous savons que le Prophète aimait les mets sucrés.
Aisha et quelques-unes des Épouses (Safiya et Sawda, semble-t-il) se mirent d’accord pour dire au Prophète , lorsqu’il revenait, que son haleine dégageait une odeur désagréable. Cela mit un terme aux moments « gourmands » du Prophète, mais elles prirent conscience qu’elles l’avaient privé d’un plaisir. [Rapporté par Bukhârî]
Selon une autre version, il s’était attardé à boire du miel chez Zaynab. C’est à cette occasion que fut révélé le verset suivant :
Ô Prophète ! Pourquoi, en recherchant l’agrément de tes Épouses, t’interdis-tu ce que Dieu t’a permis […]
[Sourate 66 – Verset 1]
4 – Les bagages de Safiya
Au retour du pélerinage de l’Adieu, ‘ Aisha avait peu de bagages alors qu’elle montait un puissant chameau, tandis que Safiya, une autre des Épouses, avait des bagages lourds et un chameau faible qui ralentissait la marche de la caravane.
Afin de répartir la charge, le Prophète donna l’ordre de placer un bagage lourd sur le chameau de ‘Aïsha, sans avoir demandé l’accord de chacune. Aisha en fut contrariée.
Le Prophète lui proposa : « Veux-tu que Abu Ubayda arbitre entre nous ? – Non dit-elle, il ne me donnera jamais raison contre toi ! – Alors ‘Umar ? Proposa-t-il. – Oh non ! J’ai peur de lui ! Même Satan a peur de lui ! – Eh bien, veux-tu que ce soit ton père, Abu Bakr ? »
Elle y consentit et on fit appeler Abu Bakr , qui, apprenant la cause de l’incident et l’entêtement de sa fille avant même que le Prophète n’ait terminé son exposé et que Aisha puisse défendre sa cause – leva la main et la gifla… Le Prophète l’arrêta en disant : « Je n’ai pas voulu cela. » II se leva et lava de ses mains le visage et la robe de sa jeune épouse. [Rapporté par Bukhârî]
[…] Bien des anecdotes nous ont encore été rapportées sur Aisha en particulier. […]
Nous savons que l’Envoyé d’Allah confiait à Aisha ses projets les plus secrets. Par exemple, en matière de stratégie, il lui arrivait de préparer une expédition en ne faisant part de ses intentions ou de la destination qu’à sa jeune épouse. À ceux qui venaient ensuite l’interroger sur tel ou tel sujet, elle répondait qu’elle ne dirait rien, même à son propre père !
Quant à Aisha , elle aimait tellement le Prophète qu’elle était inquiète dès qu’il s’éloignait. Un jour, elle l’entendit se glisser dehors en pleine nuit, et pour savoir où il se rendait, elle le suivit ; il allait au cimetière pour prier pour ceux qui étaient morts. Bouleversée, elle dit alors : « Je donnerais la vie de mon père et de ma mère pour lui ! » Souvent, il s’endormait la tête posée sur ses genoux.
Nous avons vu que Sawda , devenue âgée, lui avait cédé son jour de visite. Ainsi, le Prophète passait plus de temps encore avec ‘Âïsha, lui permettant encore de multiplier les occasions de parfaire ses connaissances. Lors de l’expédition de Khaybar, l’étendard (râyah) du Prophète fut confectionné dans la houppelande de Aisha. Il était noir et carré.
Sur la maladie du Prophète
Lorsque le Prophète fut atteint de la maladie qui devait l’emporter, il continuait de visiter successivement chacune de ses Épouses (Qu’Allah soit satisfait d’elles) et interrogeait chaque jour en disant : « Où serai-je demain ? » et ce, jusqu’au jour de sa visite chez Aisha , chez laquelle il restait calme, sans interroger sur le lendemain.
On nous rapporte qu’à partir du moment où il fut immobilisé par cette maladie, il sollicita des Mères des Croyants la permission d’être soigné chez ‘Âïsha, ce qu’elles acceptèrent. [Rapporté par Bukhârî] Il fut donc transporté de l’appartement de Maymûna à celui de Aisha , soutenu d’un côté par ‘Ali, de l’autre par ‘Abbâs.
La maladie empirait. Toutefois, un jour, il put se rendre dans la mosquée et il parla aux fidèles, invoquant longuement Allah pour les martyrs de Uhud en particulier. Puis, il donna l’ordre que soient fermées toutes les portes donnant sur la mosquée, sauf celle d’Abû Bakr.
Il vécut ses derniers instants chez Aisha . On nous rapporte que peu avant sa mort, le Prophète vit le frère de Aisha entrer dans la pièce avec un bâton de miswâk (brosse à dent naturelle). Aisha lut dans ses yeux qu’il en avait envie. Elle le mâchonna d’abord un peu et lui en frotta les dents. Puis, elle lui prit la tête et la plaça dans le creux de son épaule, afin qu’il soit aussi confortable que possible et c’est ainsi qu’il rendit le dernier soupir.
Aisha nous a rapporté au sujet de ses derniers instants que le Prophète répéta : « II n’y a aucun dieu si ce n’est Allah lui-même. Quelle agonie que la mort. » Puis, Aisha l’entendit dire d’une voix à peine perceptible, « …mais avec le Compagnon le plus haut », comme s’il faisait un choix.
Aisha nous dit encore : « J’étais jeune et je ne comprenais rien. Dans ma stupidité, le Prophète rendit le dernier soupir dans mes bras et je ne le sus pas. Ce n’est que lorsque les autres femmes présentes se mirent à pleurer que je compris ce qui s’était passé… » [Rapporté par Bukhârî]
Aisha a rapporté : « II mourut le jour même où c’était mon tour de le recevoir dans mon appartement. Allah recueillit son âme tandis que sa tête reposait entre ma gorge et ma poitrine et ma salive fut mélangée à la sienne. » [Rapporté par Bukhârî]
Le Prophète fut enterré sur place, dans la chambre de Aisha. Elle continua d’y habiter. Sawda, l’une des Épouses qui mourut en l’an 24 de l’Hégire, lui légua son appartement qui était mitoyen du sien, ce qui permit à Aisha d’agrandir son habitation devenue très petite du fait de la place occupée par le tombeau du Prophète . Lorsque, chacun à son tour, Abu Bakr, puis plus tard, ‘Umar, quittèrent ce monde, ils furent tous deux enterrés auprès du Prophète.
On sait que lorsque ‘Umar fut à l’agonie, il envoya son fils ‘Abdallah chez ‘Aisha , qui la trouva assise, pleurant. « ‘Umar t’adresse le salut et te demande l’autorisation d’être enterré avec ses deux Compagnons. – Je l’aurais désiré pour moi-même, mais je lui donne la préférence sur moi-même. » […]
Après la disparition du Prophète , elle continua d’occuper une place importante au sein de la communauté des musulmans, malgré sa jeunesse.
Elle jouissait d’une grande réputation. On venait la consulter. Elle était particulièrement savante en matière de jurisprudence. On nous rapporte qu’un grand nombre de Compagnons venaient étudier la jurisprudence islamique avec elle. Atâ a rapporté : « Aisha était plus instruite qu’aucun homme de son temps. »
‘Aisha , avec quelques autres Compagnons, firent de Médine un centre d’études parmi les plus importants du monde pour l’époque. On nous précise encore que les gens qui avaient eu le privilège d’étudier avec elle étaient ensuite parmi les plus brillants. Au temps de leur califat respectif, Abu Bakr et ‘Umar venaient consulter Aisha pour lui exposer tel ou tel problème auquel ils se trouvaient confrontés et l’interroger pour savoir ce que le « Prophète aurait dit ou fait en pareille circonstance ». […]
Alors qu’il était devenu à son tour calife, Mu’âwiya l’interrogea. Elle donna comme réponse ce hadîth de l’Envoyé d’Allah : « Celui qui essaie de contenter Allah, ne se préoccupant pas du mécontentement des gens, sera protégé contre la méchanceté des gens. Mais celui qui contente les gens en ne se préoccupant pas du mécontentement de Dieu, sera abandonné par Allah et à la merci des gens. »
Elle avait les moyens de vivre mieux car elle recevait, comme les autres Mères des Croyants, une pension versée par les Califes successifs. Mais Aisha , qui était d’une extrême générosité, chargeait sa servante, dès qu’elle recevait cette pension, de distribuer aussitôt le tout aux nécessiteux, négligeant de garder quelque chose pour elle. Le soir venu, elle disait à sa servante : « Pourquoi ne m’as-tu pas fait penser de garder de quoi dîner ce soir ? »
Ainsi donc, parfois, elle n’avait même pas de quoi dîner. Elle avait tellement pris l’habitude d’une vie frugale au cours de ses années difficiles passées dans la maison du Prophète , jeûnant beaucoup, qu’elle continua de vivre de la même manière après sa disparition, alors que les moyens de la communauté s’étaient améliorés.
Urwa a rapporté qu’un jour, il a vu Aisha qui avait reçu 70.000 dirhams, les distribuer aux pauvres, tandis qu’elle-même portait une chemise rapiécée.
Un Compagnon s’étant ému de ce qu’elle redistribuait aux pauvres tout ce qu’elle recevait au fur et à mesure, elle s’était écriée en l’apprenant : « Comment ? On m’interdirait mes libéralités ? » et elle avait bien entendu continué ses pratiques ! [Rapporté par Bukhârî]
Un jour, elle reçut – sur la demande de celui-ci – Hassan ibn Thâbit, qui avait été l’un des acteurs de l’affaire de la calomnie. Comme on s’était étonné qu’elle le reçoive, elle répondit : « Pourquoi pas. N’a-t-il pas été déjà frappé d’un terrible châtiment ? » II était, en effet, devenu aveugle.
Avant qu’elle ne meure, alors qu’elle était à l’agonie, Ibn ‘Abbâs demanda à être reçu par elle. Comme elle hésitait, dans la crainte qu’il ne lui fasse des compliments, on lui fit valoir qu’il s’agissait de l’oncle paternel du Prophète et l’un des principaux personnages parmi les musulmans. Elle le reçut donc.
– « Comment te trouves-tu, lui demanda-t-il ? » – « Bien, si je crains Dieu, répondit-elle. » – « Tu seras bien, s’il plaît à Dieu, car tu as été l’Épouse de l’Envoyé d’Allah et la seule vierge qu’il ait épousée. Enfin, la Révélation t’a reconnue innocente. »
Après cette visite, Aisha devait dire « Ibn ‘Abbâs m’a fait des compliments. J’aurais préféré qu’on m’eût oubliée. »
Aisha vécut jusqu’à l’âge de 67 ans et mourut pendant le mois de Ramadan de l’an 57 de l’Hégire, sous le califat de Mu’âwiya.
Elle fut enterrée, comme elle l’avait souhaité, après la prière de la nuit, dans l’heure qui suivit sa mort, dans le cimetière des femmes à Médine, auprès de ses compagnes, les Mères des Croyants (Qu’Allah soit satisfait d’elles) qui l’avaient devancée.
Abu Hurayra fit la prière sur elle avec les autres Compagnons . Ce sont ses neveux qui la déposèrent dans sa tombe.
Qu’Allah soit satisfait de Aisha !