Portrait d’artiste: Abdoulaye Alhassane, le ‘’Mozart’’ de la musique nigérienne.

« Je suis un autodidacte qui a appris finalement que la musique est une science » 

Au Niger que  des  Mozarts assassinés! Après notre rencontre avec l’artiste musicien compositeur Abdoulaye Alhassane, cette bouleversante question ne cesse de nous tarauder l’esprit : à quand notre pays pourra-il permettre aux différents talents de s’épanouir ?

Le parcours d’Abdallah illustre bien l’idée qu’il y a souvent des professions ingrates. Ce genre de métier  ou on reconnait votre œuvre qu’a titre posthume comme l’atteste la vie du peintre Vincent Van Gogh.

Abdallah, très peu connaissent ce nom mais tous ou presque ont consommé sa musique. Ce producteur, compositeur, arrangeur de la musique reste et demeure un véritable faiseur de rois (pardon de stars) sur la scène musicale nigérienne.

Né le 1er janvier 1963 au quartier Liberté de Niamey, cet artiste multi instrumentaliste (il joue tour à tour la guitare, le violon, le gurmi, le molo, la flute, le komsa, la calebasse, le piano, la batterie, le saxo…), jovial,  de petite taille,  père de cinq filles et deux garçons, polyglote, Abdallah est devenu musicien par un pur ‘’appel du destin’’. C’est un ‘’don de Dieu, c’est mon destin car a l’école primaire déjà la musique  a pris tout mon esprit de sorte que j’ai tout perdu pour elle’’, explique-t-il. S’agissant de sa rencontre avec la musique, il avoue qu’il est né quand même dans un milieu très favorable à la musique. Dans son Liberté natal,  à Gandaké, non loin du grand marché ‘’habou Bene’’ et de la maison de l’information (ex appellation de la bourse du travail), dans les années 70, se souvient-il, les ambassadeurs du Sahel (un groupe musical de l’époque), johny Ali Maiga,   les émissions musicales sur la radio Voix du sahel(Radio Niger) et les stars maliennes comme  Fissa Maiga, Ibrahim Diko et Ali Farka Toure, etc. n’ont pas manqué d’influencer notre musicien en herbe. Il y a aussi l’influence d’un oncle très porté sur le pope américain  James Brown. Il a plus tard appris à découvrir et à savourer la musique indienne a travers le cinéma. Mais ce processus de formation de notre futur musicien n’a pas trouvé l’assentiment de sa famille. Comment un jeune noble (maiga ou toure)  peut-il devenir musicien se demande ses parents qui estiment que ce métier assez servile doit épargner le petit Abdallah. « Mon père n’a jamais voulu que je joue a la guitare, le noble Sonhray que je suis ne doit pas jouer la musique », nous a-t-confié. Mais c’est sans tenir compte de la force du destin et  la passion de l’homme qui trouve dans la musique une partie de lui, une sorte de raison d’être au monde.

Ses premiers contacts avec la guitare…

Abdallah a commencé son initiation à la guitare par le biais d’un ami d’enfance nommé Seydou Nagoura. Ils ont ensuite évolué  en encadrant les jeunes collégiens dans le cadre des concours et compétitions culturelles interscolaires de la capitale. Les deux jeunes guitaristes furent membres du 1er groupe musical Johny Ali Maiga dénommé ‘’troupe Mamar’’ ( faisant allusion a Mamar Kassey appellation d’Askia Mohamed par les Songhay du Niger). Il faut dire qu’Abdallah et ses co-équipiers font partie de la seconde génération des musiciens (modernes) du Niger. Une des spécificités de celle-ci c’est la touche locale de sa musique en s’inspirant des traditions musicales du terroir à la différence de la première génération qui avait une tendance extravertie.

 Le goupe Mamar de Johny Ali Maiga a connu son heure de gloire avec l’arrivée de la jeune Mariama Cisse. Celle-ci a rejoint le groupe par simple curiosité du groupe qui a su détecter la belle voix de la jeune mendiante touarègue de passage.  Celle-ci fut récupérée et devint par la suite chanteuse talentueuse du groupe. Entre temps, après un long déplacement de Johny Ali Maiga le groupe se disloqua. Abdallah fonda le groupe Super Kassey en collaboration avec Moussa Mahaman dont entre autres membres feu Moussa Poussy comme principal chanteur du groupe. Le succès ne tarda pas à venir au groupe Super Kassey avec comme chef d’orchestre Abdallah Alhassane quand il fut lauréat (1er prix) de la 1ere édition du prix Dan Gourmou.

  Abdallah, comme Mozart, connut plusieurs déceptions dans sa carrière musicale. Les différents groupes qu’il fonda chaque fois c’est après une prouesse que le groupe se disloqua. A notre question de savoir pourquoi tant de gâchis  et de perte d’énergies, Abdallah était très gêné de nous avouer les raisons. Il y a selon lui entre autres : l’ingratitude et la folie de grandeur des artistes arrivistes. A peine le groupe décroche un prix, nous confie Abdallah, le chanteur prend un air de tout puissant au sein du groupe comme si les autres n’ont rien apporté a son succès. L’esprit d’équipe s’arrête comme qui dirait a la porte de la victoire.

Cependant, quelques mois après la première édition du prix Dan Goumou, feu Elhaj Taya et son frère  Kazelma Taya firent appel à Abdallah et son groupe le Super Kassey pour remplacer leurs musiciens  suite a la déconfiture  du groupe  l’International de la capitale d’Elhaj Taya. La aussi la conjugaison des compétences a très vite débouché sur la notoriété non seulement au prix Dan Gourmou mais aussi et surtout avec la sortie des trois volumes du groupe enregistrés au Nigeria. Et Abdallah de commenter : « pour la première fois après Johny Ali Maiga, la musique nigérienne a traversé les frontières nationales ».

Très malheureusement, après la disparition d’Elhaj Taya,  par un concours de circonstances, l’International de la capitale a vécu. En tirant les conséquences, Abdallah  reprit son Super Kassey jusqu’à la création du Centre de Formation et de promotion de la musique moderne nigérienne (CFPM) qui était initialement un projet.

AbdoulayeAlhassane

Sa rencontre avec la science musicale au CFPM

Abdallah fut recruté au CFPM comme enseignant de la guitare par Dominique Pagani, un français responsable du projet du CFPM. Ce recrutement a d’ailleurs permis au CFPM de faire des économies puisque avant il fallait amener des instructeurs en musique de la France avec tous les frais subséquents a la charge du CFPM pour enseigner la même chose que quelqu’un sait faire localement.  C’est donc après un test théorique et pratique qu’Abdallah fut jugé apte à assumer les fonctions d’enseignant au CFPM. Et nous confie-t-il, bien avant la création du Cfpm dans le cadre de l’atelier de musique du CCOG, feu Dr Mamane Garba eut appel a lui comme enseignant pour dispenser des cours pratiques.  Abdallah se souvient dans ce cadre qu’il avait tenu des élèves en guitare comme feu Adams Junior, le célèbre animateur de la radio Anfani feu David Koh, Fati Mariko, etc.

Au sein du Cfpm, Abdallah enseigna la guitare et fonda le groupe Takeda ou l’orchestre du CFPM. Ce dernier représenta le Niger au Marché des arts et du spectacle d’Abidjan (MASSA) à l’édition de 1995. Profitant du matériel sophistiqué du Cfpm, Abdallah enregistra clandestinement plusieurs artistes nigériens. On peut citer entre autres : ‘’US of Africa’’ et ‘’sauver la femme’’ d’Adams Junior,   ‘’Kidin zamani’’ de Moussa Poussy, King Noma, Mali Yaro, Djibo Fiti, Fati Mariko, Mamane Sani Abdoulaye,  Abdoussalam ‘’le tendiste’’, Lakal Kaney, Kouakou, Hansi Bonkoyo, Denke Denke, etc.

C’est dire qu’Abdallah aurait pu être pour les artistes nigériens ce qu’un maestro Bonkano Maiga fut pour les artistes ivoiriens. Sauf qu’à la différence  Bonkano a énormément joui de la reconnaissance de ses poulains qui n’ont jamais fait mystère  que tout le mérite revenait a cet homme de l’ombre tant a travers les medias et les revenus des droits d’auteur.

 Mais Abdallah ne désarme jamais. Sa passion pour la musique fait qu’ hier comme aujourd’hui, il est toujours disposé à produire les artistes nigériens. Ce trait de caractère, cette tolérance de l’artiste a fait dire un de ses amis et admirateur qu’Abdallah a tendance a reprendre les mêmes erreurs dans sa vie a savoir que tout le temps il se laisse faire par les artistes.  C’est peut-être ignorer la vision du monde de l’artiste qui n’a jamais mis en avant le gain dans son rapport avec la musique. Il est ce partisan de l’art pour l’art qui se délecte de sa musique, de son œuvre.

Son engagement pour les droits d’auteurs 

C’est sous son mandat comme président de l’Association nationale des auteurs, compositeurs et interprètes de musique moderne (ANACIM) que cette association a fait beaucoup parler d’elle après bien entendu l’invocation de l’application de la loi sur la protection de la propriété intellectuelle a la conférence nationale par les représentants de l’ ANACIM en son temps, Mamane Sani Abdoulaye et Rabe Mamane. C’était un vrai combat engagé par Abdallah et ses collègues à l’époque pour l’application de la loi sur les droits d’auteur. Un vrai tabou a l’époque. Pour entendre leur cause Abdallah et ses camarades bousculèrent beaucoup d’intérêts. Ils ont eu à faire fermer des comptes d’établissements comme l’Ortn en collaboration avec le BNDA. Ils menèrent parallèlement une lutte énergique contre les vendeurs des cassettes et autres pirates tapis dans l’ombre. En tant qu’ancien membre du conseil d’administration du Bureau nigérien du droit d’auteur (BNDA), Abdallah se félicite aujourd’hui que le concept de droits d’auteur soit une réalité avec laquelle désormais il faut compter même si il reste encore beaucoup à faire. Avant seuls quelques artistes privilégiés membres de l’Association française des auteurs compositeurs et éditeurs de musique (SACEM) percevaient ces droits d’auteurs alors qu’aujourd’hui tout créateur artistique et littéraire peut prétendre à cette opportunité.

Dans ce parcours,  l’expérience au Cfpm fut très fructueuse pour Abdallah. Il a acquis un important bagage intellectuel grâce a la documentation du CFPM, au stage pédagogique sur l’enseignement de la musique classique et la lutherie. Et aussi en s’initiant à l’électronique musicale et  a la technologie du son grâce a la collaboration de l’ingénieur de son japonais,  Hiroshi Suzumura. Désormais Abdallah,  comme qui dirait lumière sur lumière,  mit pied dans le monde ésotérique de la musique. Il capitalisa ses différents déplacements et rencontres à l’extérieur.  Il fit adhérer l’ANACIM a la fédération internationale des musiciens (FIM) qui a abouti a l’élaboration d’une enquête sur la vie sociale des artistes musiciens du Niger recommandée par le Bureau international du travail (BIT).

Entre temps, le projet du Cfpm tira à sa fin. Et en collaboration avec Yacouba Denke Denke, Abdallah sélectionna quatre musiciens de son groupe Takeda pour créer un autre groupe de fusion neotraditionelle dénommé Mamar kassey avec Yacouba Denke Denke comme  chanteur. Adallah admnistra et dirigea ce groupe 10 ans durant en tant que guitariste compositeur arrangeur. Cet intermède a eu comme consécration plusieurs années sur la scène internationale (cf Touring History) et la production de deux albums : ‘’Denke Denke’’ et ‘’Alatoumi’’.

Sa sortie de la scène nigérienne et la poursuite de son odyssée musicale

« J’ai quitté Niamey pour les Etats-Unis en 2003. C’est pour acquérir ce matériel que tu vois que j’ai quitté mon pays. Et puis j’ai de la famille. Je me suis puni par ma passion (la musique), je n’ai pas le droit de punir mes enfants », nous confie-t-il, dans son studio situé au 149eme Street, Avenue Saint Nicholas a Harlem ( New York City). La, avouons le, l’artiste est dans son élément. « Ici aussi j’ai du me battre pour acquérir ce matériel nécessaire qui me permet de produire de la musique avec la ‘’High’’ technologie ». Il se délecte de voir se parachever sa formation de musicien avec la maitrise des nouvelles technologies. Son véritable rêve de tout temps. Aujourd’hui Abdallah décortique le son pour en faire ce qu’il veut. Il se sent bien ici dans la peau d’un compositeur et pédagogue valable. Il a non seulement acquis son studio personnel mais aussi sa musique est très prisée par les américains. Il fut artiste vedette de Helen Keller International en 2010 pour un appel de fonds pour venir en aide aux nécessiteux en Afrique et en Asie. A cette occasion c’est un Album d’Abdallah (300 CD) qui a été distribué aux invités. Il anime des concerts et enseigne sa musique. Il a commencé à produire des artistes qui seront très bientôt sur le marché. Il amorce une nouvelle vie bien comblée avec le sentiment de voir son rêve enfin se réaliser après une très longue traversée de désert. Et cette petite phrase de l’artiste en dit long : « Je suis un autodidacte qui a appris finalement que la musique est une science ». Comme pour confirmer que ‘’rien de grand ne se realise sans passion’’, Abdallah travaille aujourd’hui en temps réel. Il dispose aussi de son propre site web créé par lui-même. Il a su s’imposer ici ce qui lui a valu d’être évoqué ici par des grands medias américains et revues culturelles et de jouer avec des célèbres guitaristes aux Usa. Il a du reste une très grande estime de son art car pour lui la ‘’musique ce n’est pas un métier de délinquants, c’est un art qui s’apprend comme un autre’’. Il soutient d’ailleurs que les premiers musiciens ‘’modernes’’ du Niger étaient des ingénieurs, des économistes, des médecins … Il dénonce l’indécence dans la musique. Et l’ancien élève du franco arabe (du primaire au Lycée et même enseignant pendant 6 ans dans une école franco arabe) aime bien, dit-il, prêcher a ses collègues artistes que la musique est un métier assez noble. Il appelle de tous ces vœux les musiciens à  promouvoir des valeurs sociales positives avec leur art pour le bien des communautés. ‘’Je ne cesse de prier Dieu pour qu’il me guide toujours dans la bonne direction’’, nous confie-t-il. Une visite sur page facebook en dit long sur l’attachement de l’artiste a sa foi musulmane.

The last but not the least, à l’ endroit des autorités nigériennes, Abdallah déplore la régression du pays sur le plan culturel. L’état de délabrement des maisons des jeunes et de la culture atteste la démission du ministère de la culture et par conséquent de l’Etat sur le plan culturel, soutient-il. Et tirant les leçons de sa propre expérience, Abdallah fais le rêve qu’un jour l’Etat du Niger offre a tous ses fils l’opportunité de réaliser la plénitude de leur talent.

Elh. Mahamadou Souleymane

Contact Abdallah Alhassane  : [email protected]

Website : http://www.askiamusic.com/